Les mycotoxines du blé sous étroite surveillance
Déoxynivalénol (DON) en tête, les mycotoxines du blé font l’objet d’un suivi très poussé, y compris avant qu’elles n’apparaissent. Pour prévoir ce risque et faire les analyses, les outils d’aide ne manquent pas.
Déoxynivalénol (DON) en tête, les mycotoxines du blé font l’objet d’un suivi très poussé, y compris avant qu’elles n’apparaissent. Pour prévoir ce risque et faire les analyses, les outils d’aide ne manquent pas.
Elles sont surveillées comme le lait sur le feu. Les mycotoxines du blé se doivent de ne pas échapper à la vigilance, avec des seuils réglementaires de présence dans les grains à respecter. Pour les blés, la surveillance porte essentiellement sur le déoxynivalénol (DON), toxine produite par les Fusarium sur les épis et les grains. À destination des agriculteurs et des collecteurs, des outils existent pour aider à prévoir le risque DON et mettre en œuvre les moyens de lutte. Des grilles de risque éditées par Arvalis mettent en évidence le poids du précédent cultural, du choix variétal et de la gestion du sol dans le développement des fusarioses.
« Nous sommes très concernés par les successions maïs-blé dans notre secteur. Or le maïs en précédent blé est un facteur de risque fort pour l’infestation en fusariose. Auprès des agriculteurs, nous insistons pour qu’au moins un broyage des chaumes soit réalisé et avec enfouissement de façon à réduire ce risque, informe Philippe Lefebvre, responsable collecte à La Dauphinoise, coopérative basée à Vienne dans la vallée du Rhône. En outre, nous proposons un choix de variétés de blé peu sensibles à cette maladie, afin de diminuer encore le risque de DON. Après l’année 2008 qui fut forte en mycotoxines, nous avons éliminé de notre gamme toutes les variétés de blé sensibles à la fusariose. » La surveillance du DON est prise au sérieux à La Dauphinoise, à cause de la forte présence du maïs dans les rotations et des risques de pluie qui ne sont pas négligeables au moment de la floraison du blé. Ces conditions favorisent les contaminations par les Fusarium.
4 millions d’hectares de blé sous suivi Qualimètre
« Depuis plusieurs années, nous avons recours à l’outil de prévision Qualimètre. Il prend en compte les caractéristiques des parcelles de production (précédent cultural, travail du sol, variété de blé, date de semis…) et il combine ces informations aux données météorologiques pour donner le niveau de risque en fusariose », explique Philippe Lefebvre. Qualimètre est un service proposé par la société Syngenta, pour accompagner son offre commerciale en fongicides céréales. Il a été proposé dès 2004. Une cinquantaine de distributeurs collectant l’équivalent de 4 millions d’hectares de blé tendre et de blé dur l’utilisent, selon la société. « Le climat autour de la floraison est le facteur numéro 1 de la contamination en fusariose. On peut estimer qu’il pèse sur plus de 50 % de la variabilité des analyses DON, souligne Alain Froment, responsable filière grandes cultures chez Syngenta. Mais les pratiques agronomiques ont un impact également. Un risque agronomique est établi dès le mois d’avril sur notre outil ouvert en ligne, avec une interface web que peuvent utiliser nos clients. »
Les parcelles à risque agronomiques peuvent alors être identifiées pour y prévoir une protection fongicide adéquate. Ensuite, 15 jours après la floraison du blé, un pré-diagnostic est envoyé sur le risque DON sur les parcelles par zone de production. « Le diagnostic final est établi 25 jours après la floraison, avec des prévisions exprimées en ppb de DON dans les grains, précise Alain Froment. Les collecteurs ont donc l’information suffisamment tôt pour anticiper leurs plans de surveillance et organiser leurs allotements. »
Un niveau de risque par zone de culture
« Nous recevons des niveaux de risque par bassin de production, c’est-à-dire par zone homogène présentant les mêmes typologies de culture comme la plaine de Lyon, la vallée du Rhône… enchaîne Philippe Lefebvre. Nous réfléchissons à un plan d’allotement si la prédiction est celle d’un risque élevé de fusariose. Dans ce cas, nous intervenons en faisant des analyses de DON aux premières récoltes pour confirmer la prédiction et nous appliquons le plan pour orienter le flux des récoltes contaminées dans des cellules à part. Il s’agit de ne pas mélanger les récoltes saines avec celles présentant de fortes teneurs en DON. » Le risque peut être défini comme faible et le plan de surveillance s’en retrouve allégé.
L’outil de Syngenta fonctionne avec un modèle de prévision dont la conception repose sur les analyses de 18 000 parcelles de blés depuis l’année 2000. « Tous les ans, l’outil fait l’objet d’une remodélisation en intégrant les données de la dernière campagne, telles que la température, la pluviométrie, et aussi l’humidité relative qui a son importance sur le développement des fusarioses », précise Alain Froment. Société vendant des fongicides également, Bayer met à disposition de ses clients son service DON-Cast de prévision du risque mycotoxines et fusarioses à floraison, sur le même modèle commercial que Syngenta.
L’outil Myco-Lis fournit des informations à la parcelle
Arvalis, qui ne commercialise pas de produits phytosanitaires, propose l’outil Myco-Lis depuis dix ans. L’institut met en avant son indépendance et sa neutralité. Le service est payant : 4000 euros pour un an pour le blé tendre (5000 euros si l’on choisit blé tendre et blé dur). « Nous proposons Myco-Lis à l’échelle de la parcelle, sans limitation de leur nombre, expose Guénolé Grignon, du pôle qualité technologique et sanitaire des céréales d’Arvalis. Nous avons une dizaine d’importants distributeurs comme clients. À partir de modèles agronomiques et climatiques, nous leur apportons une première restitution en avril mai : le risque agronomique à la parcelle. » En outre, Myco-Lis inclut un modèle de prédiction des stades végétatifs du blé, précis à la variété près. Pour chaque parcelle, il fournit une date de traitement fongicide optimale autour du stade floraison. L’outil Myco-Lis livre dans une seconde restitution autour de la mi-juin le niveau de contamination en DON en quatre classes. « L'organisme stockeur a les données par parcelle avec une cartographie qui permet de spatialiser le risque. Elle mettra alors en place le plan de surveillance des récoltes adapté à la situation en cours", informe Guénolé Grignon.
La coopérative Acolyance est utilisatrice de Myco-Lis. Elle est abonnée également aux services Farmstar, ce qui facilite le transfert et les échanges de données. « En 2016, nous avions ainsi 3000 parcelles référencées avec Myco-Lis, équivalentes à 30 000 hectares de blé tendre environ, détaille Antoine Grasser, directeur de mise en marché de la coopérative couvrant l’Aisne, la Marne, la Seine-et-Marne et les secteurs limitrophes. Risques agronomiques et risques à la floraison permettent à notre service agronomique d’alerter le terrain sur la nécessité de protéger les cultures ou non. Ensuite, nous avons les zones et les parcelles identifiées à risque élevé de DON pour lesquelles nous organiserons les allotements en conséquence. » Sur l’année 2016 où le risque de maladie était important sur les épis, Acolyance est allé jusqu’à faire des analyses sur les grains avant récolte pour les 50 parcelles les plus à risque, avec l'aide financière et organisationnelle d'Arvalis. La coopérative avait alors une vision précise de la situation pour anticiper au mieux la récolte et les allotements. C’est le prix à payer pour fournir une marchandise saine aux clients.
Des années à mycotoxines et des années sans
L’année 2016 est à classer parmi les années fortes en moyenne de DON, proche de 1000 ppb, mais pas dans toutes les régions. Rappel : les normes réglementaires définies en 2006 à ne pas dépasser sur des blés destinés à l’alimentation humaine sont de 1250 ug/kg (ppb) pour le blé tendre et 1750 ug/kg pour le blé dur. Les conditions humides au moment de la floraison des blés sont la cause principale de cette forte présence.
Il existe des années avec quasi-absence de mycotoxines, comme en 2015 ou 2011, où les conditions sèches à la floraison ne nécessitaient pas de traiter contre les fusarioses. Aussi bien dans les années à forte infestation comme en 2016 ou années sans, de grandes disparités se rencontrent entre régions avec les conditions météorologiques qu’elles ont connues au moment de la floraison des céréales à paille.
Des analyses de DON en moins de vingt minutes
Les analyses de DON sont devenues incontournables et monnaie courante chez les distributeurs. Elles sont de deux types : un test qualitatif pour connaître le dépassement d’un seuil de DON ou non dans une récolte et une analyse quantitative pour déterminer précisément la valeur de DON. Plusieurs laboratoires délivrent ce type de service. La société BASF a proposé le service Quali’DON jusqu’en 2014 puis en a délégué le développement au laboratoire R Biopharm. « Plus de cent organismes stockeurs avaient référencé Quali’DON en 2014, présente Dominique Jonville, responsable filière au pôle céréales de BASF. L’outil a l’avantage d’être rapide avec une analyse possible en moins de vingt minutes pour trois niveaux de seuil de DON. »
AVIS D’EXPERT
Florence Forget, directrice adjointe de l'Unité mycologie et sécurité des aliments à l'Inra de Bordeaux
Des composés du grain de blé agissent sur la production de DON
« Parmi les champignons responsables de la fusariose des épis, Fusarium graminearum est le principal responsable de la contamination des grains en déoxynivalénol (DON). Mais cette production est très dépendante des souches de ce Fusarium qui présentent une très grande diversité. L’Inra a une collection de 500 spécimens de ces souches, qui représentent une petite portion de ce qui existe dans la nature. Le DON est un facteur d’agressivité pour le champignon. Sa production bloque les défenses naturelles de la plante et favorise la colonisation des tissus végétaux. La production de DON est dépendante des conditions de l’environnement : température, humidité, pH, lumière, nutriments… Pour ces derniers, nous connaissons des composés chimiques du grain qui favorisent la production de DON chez les Fusarium. Il s’agit de certains sucres, de polyamines (agmatine)… À l’inverse, d’autres éléments lui sont défavorables comme des composés phénoliques, des caroténoïdes… D’ailleurs, la tolérance de variétés de blés au DON et aux Fusarium pourrait être liée à la richesse en certains de ces éléments dans le grain. Ces composés peuvent être utilisés comme marqueurs de tolérance chez les variétés. De plus, il existe chez les céréales et en particulier les orges et le blé dur, des enzymes capables de glycoliser le DON pour le transformer en un DON moins phytotoxique. Les travaux que nous conduisons à l’Inra apportent des informations utiles pour la sélection variétale, le screening du matériel génétique et pour l’identification de molécules naturelles (extraits de plantes, de bactéries…) qui bloquent la production de toxines, avec des perspectives de méthodes de biocontrôle. »