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Une transmission tout en douceur

A l’aube de leur retraite, Gérard et Pascale Boissièras ont décidé de transformer l’exploitation familiale, productrice de petits fruits rouges en Corrèze, en une SCEA afin de pouvoir accueillir deux nouveaux associés et opérer ainsi une transmission tout en douceur.

« Mon épouse et moi-même sentions bien que nous commencions à vieillir. Soit nous arrêtions notre activité dans les deux ou trois ans qui venaient, soit nous trouvions des repreneurs, nos enfants n’étant pas intéressés par la reprise de l’exploitation. Aujourd’hui, nous nous considérons comme chanceux d’avoir pu trouver Sophie Ponson et Martin Bouvier qui ont accepté d’être nos associés », indique Gérard Boissièras, producteur de petits fruits rouges sur la commune de Juillac. Une rencontre qui n’est pas totalement due au hasard. Sophie avait, en effet, fait la connaissance de Gérard dans le cadre de ses activités professionnelles précédentes, travaillant pour l’entreprise espagnole Royal, productrice de pêches, framboises et myrtilles à laquelle Gérard collaborait techniquement et commercialement. « Je me rendais sur son exploitation une fois par an, Gérard venait au Maroc et nous nous téléphonions souvent », explique Sophie. « Je ne lui ai pas fait la proposition directement. J’évoquais simplement avec elle mon souhait de trouver des repreneurs, la chose étant encore à l’état de projet », poursuit Gérard. « Et l’occasion a fait les larrons », s’amuse Martin qui est aussi, à la ville, le mari de Sophie et qui travaillait pour la même entreprise. « Professionnellement, il est vrai que nous avions envie de changer. Nous vivions en Espagne. Cela a donc été l’opportunité pour nous de revenir en France. Et surtout, nous voulions avoir notre propre projet », ajoute Martin.

Création d’un atelier de production de myrtilles

Six mois de réflexion leur ont été nécessaires avant de se lancer dans l’aventure. Aventure qui a démarré le 1er février 2018. Gérard et Pascale ont alors transformé leur exploitation en nom propre en la SCEA Jolibois et ont cédé 40 % de leurs parts à Sophie et Martin. « Le fait que Gérard et Pascale restent majoritaires au sein de l’exploitation leur donne une certaine sécurité et puis, pour des raisons financières, nous n’aurions pas pu aller au-delà de 40 % d’engagement », indique Sophie. La SCEA compte donc quatre associés dont trois associés exploitants en les personnes de Gérard, Sophie et Martin, Pascale étant associée non exploitante, en charge de la gestion de la SARL, structure commerciale que les époux Boissiéras avaient créée afin d’offrir à Pascale un statut plus avantageux que celui de conjointe d’exploitant agricole. A noter que Sophie et Martin sont entrés à parts égales dans l’exploitation et dans l’entreprise de commercialisation. Avant de prendre leur décision, ils ont eu accès à toute la comptabilité de l’entreprise. Et puis, il a fallu estimer la valeur de cette dernière à un instant donné. « Un expert a donc été mandaté et j’ai été surpris par le chiffre élevé qu’il m’a donné, son estimation étant basée sur un calcul de rentabilité et non pas sur les seuls surfaces et matériels présents sur l’exploitation. Nous avons donc dû trouver un compromis acceptable par les deux parties », explique Gérard. Car il fallait s’assurer que l’entreprise puisse être viable pour les quatre associés. Dès son officialisation, la SCEA Jolibois a acquis un nouveau site de production, constitué d’une parcelle de 4 ha. « Disposer d’un nouvel atelier de production était logique et indispensable », estime Sophie. « J’avais une expérience en myrtilles et il nous a semblé d’autant plus évident de se lancer dans cette production qu’il y a une forte demande ». Aujourd’hui, seulement 2,30 ha de myrtilles ont été plantés. Mais l’objectif est bien d’utiliser les 4 ha en plein. « Plus nous aurons de production, plus l’entreprise sera rentable », souligne Martin.

« Nous sommes devenus une PME »

« Agrandir, nous n’y pensions pas », reconnaît Gérard. « On se disait qu’on était trop vieux, que ça ne valait pas le coup, que ça sentait un peu le sapin ! Mais si nous voulions stabiliser l’exploitation et la transmettre dans les meilleures conditions possible, on s’est dit qu’il fallait qu’on accompagne Sophie et Martin dans ce projet. Nous ne voulions pas les envoyer dans une galère. Même si cela nous a quand même quelque peu bousculés. On sait d’où on vient. Aujourd’hui, l’entreprise marche bien mais il y a eu des périodes plus difficiles. D’où une certaine prudence mais pas de blocage pour autant. Mais il est clair que nous avons franchi une étape. Nous sommes devenus une PME ». Et pour Sophie et Martin, d’autres investissements sont nécessaires pour pouvoir travailler sereinement. « Nous souhaitons agrandir la station de conditionnement et disposer de vrais bureaux. Pour l’instant, ceux-ci étant installés dans un mobil-home ». Et puis il y aura l’après Gérard et Pascale. Rien n’est arrêté à ce jour. « Je peux faire valoir mes droits à la retraite en 2020 mais mon but n’est pas encore d’arrêter mais de me sentir soulagé, de partager la charge de travail mais aussi la charge morale. Je voudrais attendre au moins un an ou deux avant de décider. Je pourrai rester associé alors que Sophie et Martin deviendraient majoritaires. La société pourrait aussi s’ouvrir et accueillir de nouveaux associés mais il est encore trop tôt pour envisager cela ». Pour Sophie et Martin, la chose est entendue : pourvu que Gérard et Pascale ne partent pas trop vite ! « Nous avons été clairs dès le départ. Notre objectif n’a jamais été de les pousser vers la retraite. Plus ils seront là longtemps pour nous accompagner et plus nous en serons heureux ».

Parcours

1er février 2018 création de la SCEA Jolibois, entrée dans la SCEA de Sophie Ponson et Martin Bouvier

6 ha de framboises sous serres et abris à 80 % plantés en Tulameen

2,30 ha de myrtilles

0,8 ha de mûres

0,6 ha de groseilles

10 salariés permanents

60 saisonniers issus d’une main-d’œuvre locale

Activité de pépiniériste

« Nous partageons une même vision de l’entreprise »

« Notre entrée dans la SCEA Jolibois a représenté un gros changement pour nous », expliquent Sophie et Martin, qui ne sont pas issus du milieu agricole même s’ils ont tous les deux en poche un diplôme d’ingénieur agricole. « Un changement d’environnement, de vie, de statut professionnel, de maison. Tout ceci, nous ne l’aurions pas fait avec n’importe qui. Nous connaissions la très bonne réputation technique et commerciale de Gérard et Pascale et nous savions que nous partagions une même vision de l’entreprise, que nous étions d’accord sur la façon de la faire grandir. Tout ceci est raisonné techniquement et économiquement. C’est sans doute une des clés de la réussite de notre association ». Mais il y en a une autre : « Nous ne sommes pas arrivés en voulant tout révolutionner et prendre à tout prix les rênes. Nous nous sommes adaptés à la façon de travailler de Gérard et Pascale et c’est aussi pour cela que ça marche ».

« Avant, je disais je »

« J’avais l’habitude de dire je et maintenant, avec l’arrivée sur l’exploitation de Sophie et Martin, il faut dire nous. C’est une grosse difficulté d’arriver ainsi à intégrer les autres dans la prise de décision. Mais c’est sans aucun doute le lot commun à toutes les reprises d’exploitation », indique Gérard. Pascale reconnaît également que les choses ne sont pas faciles : « c’est un moment important et compliqué à la fois. Nos habitudes sont perturbées. Il y a aussi une différence générationnelle, culturelle. Cela se ressent notamment au niveau de tout ce qui est numérique. Pour nous, c’est laborieux, pour eux, c’est quelque chose de totalement intégré. Mais c’est bien car cela nous bouge. Et il y a cette nouvelle production de myrtilles que l’on découvre ensemble. On revisite ainsi des schémas préétablis et c’est très intéressant ». Cela leur aurait même donné un coup de jeune. « Quand on vieillit, on est vite découragé. Tout cela m’a remotivé. Le matin, désormais, je me lève avec un objectif : faire en sorte que ça marche. C’est notre intérêt à tous ».

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