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Crise du bio : « J’assume parfaitement d’avoir valorisé mes fruits bio sur le marché conventionnel »

La journée filière fruits bio d’Auvergne-Rhône-Alpes a été l’occasion de mettre en débat la distribution des fruits et légumes bio et de faire un état des lieux chiffré du marché.

Une table-ronde réunissant le transformateur bio le Mas de l’Amandine (Erwan Le Capitaine, directeur général), Carrefour (Théo Manesse, chef de projets Filières Bios), la coopérative fruitière Lorifruit (Florent Germon, directeur général), et la plateforme Relais Local (Thomas Vivier-Merle, fondateur) a mis en débat la situation du bio, les prix, les besoins et les références qu’il faudrait développer, la valeur ajoutée de la transformation.
© Julia Commandeur

Pas la peine de nous faire un dessin, 2022 a été compliqué pour le bio. 2023 s’est déroulé sur les mêmes tendances. « 2023 a été chamboulé, avec une déconsommation alimentaire, et une orientation vers les entrées de gamme et les  1er prix et une baisse du prix moyen de mise en marché. Mais avec toujours l’exigence des clients du maintien de la qualité », résume Florent Germon, directeur général de la coopérative Lorifruit, lors d’une table ronde sur la distribution et la transformation des fruits bio lors de la journée Fruits Bio de la région Auvergne-Rhône-Alpes du 30 novembre.

Lire aussi : Concrètement, pourquoi le bio est-il plus cher ? 

 

Le prix, le frein de la consommation

« L’élasticité-prix est une réalité, rappelle Thomas Vivier-Merle, fondateur de la plateforme Relais Local. Le premier fruit vendu en magasin bio, c’est la banane. Et ça, parce qu’elle n’est pas chère. » 

Pourtant cette année, on a pu voir parfois, des prix de détail GMS du bio inférieurs à ceux du conventionnel. Bastien Boissonnier, chargé de projets filières bio au Cluster Auvergne-Rhône-Alpes, témoigne ainsi, photos à l’appui, avoir vu quelques semaines auparavant dans un magasin de la GMS des pommes conventionnelles à 3,99 €/kg et d’autres, bio en sachet, « cachées derrière un poteau », à 2,39 €/kg ; et dans un magasin bio voisin, des prix pour la pomme bio variant de 2,20 à 3,20 €/kg. 

© Bastien Boissonnier

 

De quoi déstabiliser les producteurs. Florent Germon ne s’en cache pas. Il a parfois vendu les fruits bio de la coopérative sur le marché conventionnel au prix du conventionnel alors plus élevé que celui du bio : « J’assume parfaitement d’avoir valorisé des produits bio sur le marché conventionnel. L’idée étant toujours d’aller chercher de la valeur pour le producteur. »

Chez Carrefour aussi, le constat est amer. « On risque de finir l’année sur un recul de -3 % pour le bio. Pour les fruits et légumes bio spécifiquement, on serait sur -9,5 % en volume et -4 % en valeur, témoigne Théo Manesse, chef de projets Filières Bios chez Carrefour. Mais on y croit et on est sûrs que ça va repartir, on reste présents sur le bio. »

 

La GMS a baissé le nombre de références bio

La GMS a été pointée du doigt pour avoir réduit le nombre de références bio afin de faire face à la crise. L’écart des prix entre bio et conventionnel joue sur les rotations, estime Thomas Vivier-Merle.

Pour Carrefour, Théo Manesse répond : « On ne peut pas avoir la même taille de linéaires bio qu’avant alors que la demande baisse. Mais ce n’est pas mon plaisir, croyez-moi. Il faut convaincre nos collègues de Carrefour de continuer à offrir du bio au prix Carrefour à nos consommateurs. » Les axes de travail prioritaires de son équipe : promouvoir l’offre bio et son accessibilité ; développer les filières bio ;  justifier et expliquer le surcoût du bio face à la concurrence des labels, « ce qui est délicat vu qu’on vend de tout à tous types de clients et qu’on représente toutes les productions ».

 

Une montée en gamme nécessaire

La montée en gamme du bio est nécessaire et attendue. Normal, il y a plus d’offre aujourd’hui. « Aujourd’hui, le bio doit être bon ET beau, confirme Thomas Vivier-Merle. Il y a deux ans avec les gelées, c’était pas bon, c’était pas beau, alors qu’en conventionnel ça l’était, les consommateurs n’ont pas compris. » 

Par ailleurs, Thomas Vivier-Merle appelle la filière régionale à « trouver le bon équilibre de prix au regard des volumes en début de saison. En Auvergne-Rhône-Alpes, nous avons une ou deux voire trois semaines de décalage de début de saison par rapport au Sud de la France. On peut avoir envie de commencer la saison avec des prix de l’offre régionale élevés mais il faut prendre conscience que l’offre nationale est déjà là, avec des volumes et des prix qui ont déjà commencé à baisser. Ça peut être préjudiciable en termes d’image-prix. »

 

Le recul du marché bio en chiffres

Côté chiffres, pour les fruits et légumes bio, le recul des volumes achetés en 2022 est de -12 % sur un an, et de -11 % en valeur, selon les données d’Interfel. « A titre de comparaison, en conventionnel on est autour des -6 %. C’est toujours plus prononcé sur le bio malheureusement », regrette Paulin Matchon, responsable du Comité bio d’Interfel. La légère hausse du prix payé (+2 %) n’a pas permis de compenser ce recul.

En septembre 2023 sur 12 mois glissants, les quantités achetées par les ménages étaient en recul de -10 % et les sommes dépensées de -7%, pour un prix moyen payé en hausse, lui, de +3 %. « La situation est toujours compliquée. Depuis le début de l’année, on voyait une progression des prix, jusqu’en juin, et depuis on semble aborder une baisse. »

Le taux moyen de pénétration des fruits et légumes bio (hors pomme de terre, fraîche découpe et IVe gamme) est inférieur à celui des années précédentes, ainsi que la fréquence d’achat alors que le panier moyen des ménages semble en hausse. En gros, depuis juin-juillet-août, on va moins souvent en magasin mais on achète un peu plus.

La consommation des fruits et légumes bio est en berne alors que les prix à l’achat sont en hausse. Un léger mieux semble avoir été constaté en septembre.© Paulin Matchon d’Interfel

 

Quant à la part de marché des fruits et légumes bio*, on dégringole de 8 % de PDM volume à 6,8 % en 4 ans (en cumul 12 mois à septembre). La chute est encore plus marquée en valeur : 9,9 % à 8,1 % de PDM valeur, à mettre en lien avec la hausse du prix moyen payé à l’achat

A noter : la hausse des prix a été plus marquée sur le conventionnel que sur le bio. D’ailleurs, l’écart de prix entre le bio et le conventionnel continue de se tasser. C’est sans doute pour ces raisons que le recul des achats est plus marqué dans les circuits généralistes (en particulier EDMP et en proxi) que pour les autres circuits de distribution, les primeurs, marchés et vente directe limitant la casse. Il n'y a pas un mais des prix du bio et ils sont très variables d'un circuit à l'autre (la vente directe cartonne à juste titre, très compétitive).

*La tendance est la même pour la seule catégorie fruits

 

Quelle offre sur le marché ?

A l’échelle du marché français, Interfel estime les volumes de fruits bio mis sur le marché en 2021 à près de 225 000 tonnes, dont 76 % origine France. C’est une légère diminution observée depuis 2018 après des années en forte progression. La progression de l’origine France est continue et constante sur les 10 dernières années.

La pomme sans surprise arrive en tête des volumes commercialisées (55 %), suivis des agrumes (19 %) et de la poire (6 %). « Les fruits rouges bio, dont on note un intérêt des consommateurs, ne représentent que 1 % de l’offre », note Paulin Matchon.

Interfel estime l’offre bio en fruits et légumes frais à 225 000 tonnes sur le marché français.© Paulin Matchon d’Interfel

 

Diversifier l’offre au niveau régional est un enjeu. Thomas Vivier-Merle, fondateur de Relais Local, une plateforme de distribution de produits bio et locaux pour la région Auvergne-Rhône-Alpes, témoigne des manques sur certaines références : « L’aberration que je voudrais souligner est ma difficulté à trouver de la figue bio de la région ! En Rhône-Alpes ! Le raisin blanc et rouge non plus, la région est sans doute davantage orientée sur la viticulture. Il y aurait de la valorisation à aller chercher en grenade, coing et kaki, que l’on a du mal à trouver de manière régulière. En pomme bio l’hiver, la qualité et la quantité sont là. En poire et en kiwi, la qualité est là mais pas les volumes, surtout cette année. Côté estival, les volumes en pêches et abricots sont globalement là, à nuancer ces deux dernières saison. La prune est compliquée depuis 2-3 ans. Le choix n’est pas très large en melon et pastèque, notamment en termes de calibres disponibles. Nous cherchons désespérément des petits fruits rouges. Et la fraise a été catastrophique cette année, avec une qualité absente. »

 

Une hausse des surfaces à l’arrêt

Le bio a connu son âge d’or, avec une hausse des surfaces qui a triplé entre 2013 et 2022. « La dynamique a été particulièrement forte à partir de 2017, avec une moyenne de 10 000 hectares supplémentaires en arboriculture fruitière en conversion par an », confirme Myriam Desanlis, de la Frab Auvergne-Rhône-Alpes. 

Selon les données de l’Agence Bio, retravaillées par Interfel au périmètre de l’interprofession, les fruits frais en France en 2022 représentent 30 269 ha en bio et 9 464 ha en conversion. « Après 5 années de hausse des surfaces, on observe un arrêt de cette hausse et même  un recul pour ce qui concerne les conversions (-23 %) », souligne Paulin Matchon

Le bio représente aujourd’hui 27 % de la SAU fruitière française, sachant que les fruits et légumes tout confondu tournent autour de 20 % de la surface agricole utile. « On performe en bio », confirme Paulin Matchon. Trois principales régions concentrent l’offre de fruits bio : Nouvelle-Aquitaine (20 % des surfaces), Occitanie (11 %) et Paca (15 %).

Après 5 années de hausse des surfaces en fruits bio, on observe un arrêt de cette hausse et même  un recul pour ce qui concerne les conversions, selon Interfel. Les vergers de fruits frais en France en 2022 représentent 30 269 ha en bio et 9 464 ha en conversion.© Paulin Matchon d’Interfel

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