Medfel 2023 : « Gagner 5 points de souveraineté alimentaire, ça ne veut rien dire »
Jean-Marie Séronie, grand témoin des débats de Medfel, s’est exprimé sur la souveraineté alimentaire. Autonomie, importations, guerre en Ukraine, production d’intrants… Il a abordé de nombreux sujets, pas toujours au goût des producteurs présents dans la salle. Il a aussi souligné des points d’inquiétude.
Jean-Marie Séronie, grand témoin des débats de Medfel, s’est exprimé sur la souveraineté alimentaire. Autonomie, importations, guerre en Ukraine, production d’intrants… Il a abordé de nombreux sujets, pas toujours au goût des producteurs présents dans la salle. Il a aussi souligné des points d’inquiétude.
Le salon Medfel a tenu son édition 2023, et comme chaque année a été l’occasion de lancer les campagnes de nombreux produits d’été comme l’abricot ou le melon. Et comme chaque année et encore d’avantage depuis quelques années, l’origine France était sur toutes les lèvres, la panacée à atteindre.
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Parce ce que oui, la France doit retrouver sa souveraineté alimentaire. C’est même le président Macron qui l’a dit. Brandi en étendard depuis la crise Covid et encore plus depuis la guerre en Ukraine, le terme de “souveraineté alimentaire”. N’était-il pas temps de remettre en place ce terme un peu galvaudé ? C’est ce à quoi s’est attelé le grand témoin de Medfel, Jean-Marie Séronie, invité à s’exprimer sur le sujet sur le plateau TV du salon Medfel le 27 avril.
Jean-Marie Séronie, ingénieur agronome, est membre de l’Académie d'Agriculture de France et actuellement responsable de la section économie et politiques agricoles. Il est aussi l’auteur de “2041, l’odyssée paysanne pour la santé de l’Homme et de la planète”.
La souveraineté alimentaire, une vision française
« On mélange un peu tout, affirme-t-il. La souveraineté alimentaire est un concept qui vient de la confédération paysanne en 1996, quantitative qualitative et culturelle : garantir à un peuple de suivre le régime alimentaire qu’il souhaite en quantité suffisante et selon les ressources pour la planète. Le président de la République, quand il a déclaré en mars 2020 que « déléguer notre alimentation, (…) à d'autres, est une folie », devait surement vouloir parler d’autonomie alimentaire. »
Pour schématiser grossièrement : la sécurité, je remplis l’assiette ; l’autonomie, je la remplis avec les produits de chez moi.
En brandissant la notion de souveraineté alimentaire, il s’agit plus selon Jean-Marie Séronie de se protéger des importations à bas prix. « Pour un Néerlandais, pour un Allemand, la souveraineté alimentaire ça va plutôt être de faciliter les flux pour ne pas assécher l’Europe. Les Allemands ont un solde déficitaire et ce n’est pas un problème pour eux. Chez nous l’alimentation est un fait culturel très fort. Et nous avons un territoire immense et des cultures diversifiées. »
Il évoque la filière Fraise, qui a axé ses efforts sur la qualité gustative pour se différencier de l’origine Espagne et se sauver. « Mais pour une courgette qui sera perdue dans ma ratatouille, je ne verrai pas la différence d’origine. Difficile de se différencier. »
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Le plan de souveraineté alimentaire : utile ?
« Le plan de souveraineté fruits et légumes dit qu’il faut gagner 5 points de souveraineté alimentaire. Pour moi, ça ne veut rien dire. On ne sait même pas comment on mesure la souveraineté alimentaire. Selon FranceAgriMer, le rapport de consommation sur production est de 85 % pour les fruits tempérés et les légumes. Si la souveraineté était vraiment un objectif, il ne faudrait consommer que ce qu’on peut produire, des pommes plutôt que des ananas. »
«Est-ce que le plan de souveraineté va aider la compétitivité ? Sûrement. Mais aider la production en augmentant le nombre de producteurs et les volumes ? J’ai des doutes. »
Décalage offre/demande, baisse de consommation et inflation : le triptyque d’inquiétudes
Pour lui, nous ne sommes pas sur une agriculture moins performante, mais sur un décalage entre l’offre et la demande. « Est-ce qu’on produit ce que le consommateur demande ? Dans le secteur de la viande bovine c’est clair que non. Alors qu’on le pourrait. Et en fruits et légumes , j’imagine que c’est le cas aussi. »
Il s’inquiète aussi de la baisse globale de consommation à laquelle on assiste : -4 % de volumes achetés au global, baisse qu’on retrouve encore plus fort en bio.
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Et la troisième chose qui l’inquiète : la baisse de compétitivité. « On produit trop cher, et je ne parle pas des phénomènes actuels de hausse de coûts. Le phénomène d’inflation actuel, je ne comprends pas son ampleur, cette hausse des prix on va la payer très cher. » Et de rappeler que 10 % de la population française a recours à l’aide alimentaire et la moitié est à 10-15 € près pour boucler son budget alimentaire à la fin du mois. « Donc le prix ne doit pas être un levier. Il avait été évoqué l’idée d’un chèque alimentaire, et je propose aussi de transférer une partie des aides directes européennes, de la production à la consommation, comme aux Etats-Unis. »
Amont agricole, le vrai risque
Autant Jean-Marie Séronie est « convaincu » par la souveraineté des filières, autant il est très inquiet et il est urgent selon lui d’agir sur l’amont de la production agricole. « On est ultra dépendant. On achète quasi la quasi-totalité de nos engrais PK [phosphore potassium], et avant la crise on produisait un tiers de nos besoins en azote de synthèse. » Une dépendance qui rappelle celle au pétrole, mais qui pourtant nous fait moins peur : la France a eu tout un raisonnement avec des accords avec les pays producteurs de pétrole, organisé des stockages stratégiques, etc.
Une dépendance qui s’étend aussi aux produits phytosanitaires, pour lesquels nous somme comme pour la pharmacie soumis à la Chine et à l’Inde. « On a une vraie question de logique industrielle à se poser. Manquer de phytos ou d’intrants, ce n’est pas une question agricole c’est une question industrielle. »
Il conclut son intervention en rappelant la crainte pour la ressource en eau, sujet sur les lèvres de tous lors du Medfel. « C’est une décision stratégique majeure d’avoir assez d’eau pour les différents besoins notamment celui de la production. Socialement ce n’est pas gagné. »