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Création variétale de la pomme : « Les marqueurs moléculaires permettent un gain de temps et de moyens d’expérimentation »

Anne Rodier, responsable du service création variétale et analyses d’ADN au Centre R & D de Végépolys Valley, présente les intérêts de l'utilisation des marqueurs moléculaires pour la création variétale de pomme et pour leurs autres applications.

L'utilisation de marqueurs moléculaire dans la sélection variétale a permis d'accélérer la création de nouvelle variétés.
L'utilisation de marqueurs moléculaire dans la sélection variétale a permis d'accélérer la création de nouvelle variétés.
© Franck Petit
« Les marqueurs moléculaires permettent un gain de temps et de moyens d’expérimentation »
Anne Rodier, responsable du service création variétale et analyses d’ADN au Centre R & D de Végépolys Valley

Quelles sont les activités du centre R & D de Végépolys Valley ?

« Le Centre R & D de Végépolys Valley comporte trois grands services : le service création variétale et analyse d’ADN dont je m’occupe ; le service protection et nutrition des plantes, qui inclut les activités de phytodiagnostic qui identifie des maladies à partir d’échantillons reçus au laboratoire ; et le service phytochimie, qui travaille sur les métabolites secondaires des végétaux. Nous réalisons des prestations de services pour toutes les entreprises du végétal, qu’elles soient adhérentes au pôle de compétitivité ou non. Par exemple sur pommier, nous avons des clients qui font de la création variétale, des producteurs, des éditeurs… Au départ, notre offre a été conçue pour la création variétale. Mais une fois qu’on a des marqueurs moléculaires, ils peuvent être utilisés pour d’autres problématiques que l’obtention, par exemple l’identification variétale, l’étude de la traçabilité… »

 

Quels sont les avantages de l’utilisation de marqueurs moléculaires ?

« Les marqueurs moléculaires permettent de gagner du temps et de l’espace et donc d’accélérer les programmes. Par exemple on peut d’une part mieux choisir ses géniteurs et d’autre part cribler les descendances de croisements très tôt, quelques mois après le semis, sur des plantules très petites, avant que les caractères ne s’expriment. On peut éliminer les individus qui ne nous intéressent pas à un stade précoce, et donc utiliser moins de place et de ressources en verger. L’utilisation de marqueurs est d’autant plus intéressante sur une espèce comme le pommier, pour laquelle il faut du temps avant de pouvoir évaluer certains caractères comme la qualité du fruit.

 

Pour analyser un individu grâce aux marqueurs moléculaires, on n’a besoin que de quelques disques de tissu végétal d’un demi-centimètre de diamètre. De plus, pour s’adapter aux besoins des entreprises, on est capables aujourd’hui de rechercher certains marqueurs non plus uniquement à partir de feuilles, mais aussi à partir de bourgeons, de bois et de fruits. Nos clients peuvent donc nous envoyer des échantillons exploitables tout au long de l’année. Les marqueurs que nous utilisons sont pour certains issus d’un projet collaboratif, Fruit Breedomics (voir encadré, ndlr). D’autres proviennent de publications scientifiques. »

 

Pour quelles applications utilisez-vous des marqueurs moléculaires ?

« Sur pommier, de nombreux clients qui font de la création variétale sont intéressés par des critères de résistance aux maladies. Nous utilisons des marqueurs pour la tavelure, le feu bactérien, l’oïdium, l’anthracnose, le puceron cendré. Aujourd’hui, le Graal des obtenteurs est d’arriver à cumuler plusieurs gènes de résistance, avec des « pyramides de gènes ». Pour cela, les marqueurs moléculaires présentent un grand intérêt. La sélection de variétés résistantes sans utiliser de marqueurs est beaucoup plus longue car elle nécessite d’inoculer la maladie aux pommiers et même plusieurs races du même pathogène voire plusieurs pathogènes si on veut cumuler plusieurs sources de résistance.

 

Nous avons aussi des marqueurs moléculaires pour la qualité du fruit. Nous travaillons avec quatre marqueurs qui ont été développés pour viser les caractères de fermeté, de texture et d’aptitude à la conservation post-récolte du fruit. Ces marqueurs sont liés d’une part à la production d’éthylène, une hormone végétale impliquée dans la maturation du fruit et d’autre part à la synthèse de la polygalacturonase, une enzyme clé dans la dégradation de la paroi pectocellulosique. L’objectif est de sélectionner pour une faible production d’éthylène et une dégradation réduite de la paroi cellulaire pour le maintien d’une fermeté élevée.

 

Nous disposons également de marqueurs pour travailler sur l’auto-incompatibilité chez le pommier. Enfin nous avons travaillé sur un panel de marqueurs nous permettant de faire de l’identification. Ces marqueurs ont été choisis parce qu’ils sont polymorphes et globalement bien répartis sur le génome. Nous les utilisons quand des clients veulent comparer un échantillon avec un témoin. Par exemple pour identifier une variété ou un porte-greffe, ou bien, dans un programme de création variétale, pour savoir si un hybride est bien issu de ses deux parents théoriques. »

 

Quelle est l’importance du critère d’auto-incompatibilité du pommier ?

« Le critère d’auto-incompatibilité est très important, à la fois pour la création variétale et pour la production des vergers. De nombreuses espèces possèdent des systèmes d’auto-incompatibilité qui font que le pollen d’un individu ne peut pas féconder les ovules du même individu. Le pommier présente un système d’auto-incompatibilité gamétophytique. Pour que le pollen d’un pommier puisse féconder les fleurs d’un autre pommier, les deux individus doivent être génétiquement compatibles. Chez les pommiers diploïdes, si les deux allèles S d’un individu sont différents des deux allèles S d’un autre individu, la compatibilité sera complète : tous les grains de pollen seront compatibles avec les ovules ; si un des allèles S est identique entre les deux individus, il y aura une semi-compatibilité : seulement la moitié des grains de pollen pourront féconder les ovules ; enfin si les deux paires d’allèles S sont strictement identiques, il y aura une incompatibilité complète, donc pas de reproduction possible entre les deux individus et pas de fruits.

 

En production, on recherche la compatibilité la plus large possible, pour qu’un maximum de fleurs se transforment en fruits. La semi-compatibilité peut aussi poser des problèmes des fruits déformés : si seulement une partie des ovules est pollinisée, le fruit sera asymétrique et donc déclassé. Il y a aussi des cas décrits où la semi-compatibilité a des effets sur la composition biochimique du fruit, et donc potentiellement les propriétés organoleptiques. La compatibilité complète est donc vraiment la situation idéale au verger. Il faut soit un verger composé de plusieurs variétés fruitières compatibles, soit avoir des arbres spécifiquement dédiés à la pollinisation, comme des pommiers « sauvages » c’est-à-dire d’autres espèces compatibles appartenant au genre Malus.

 

Enfin, la détermination des allèles S peut être importante dans le processus de création variétale, car certains caractères peuvent être liés à l’allèle d’auto-incompatibilité. Par exemple, le locus S est situé sur le chromosome 17, il est proche du locus Rvi5 impliqué dans la résistance à la tavelure. Récemment, un chercheur a étudié l’impact de la prise en compte des allèles S sur la sélection pour la résistance à la tavelure. Il a montré que selon le choix du type de croisements (allèles S et choix du sens d’hybridation), le pourcentage de descendants résistants à la tavelure peut être de 3 %, 50 % ou 97 % ! »

« Le Graal des obtenteurs est d’arriver à cumuler plusieurs gènes de résistance »

Le projet Vinquest, pour résister à la tavelure

 
La recherche de gènes de résistance à la tavelure est un enjeu majeur de la sélection variétale de pomme. © CTIFL La Morinière
Regrouper plusieurs gènes de résistance à la tavelure dans une variété permet d’obtenir une résistance plus durable. Le choix des gènes de résistance à combiner dans les pyramides de gènes doit tenir compte de la fréquence des contournements de résistance et de la répartition géographique des races de tavelure responsables de ces contournements. Afin d’acquérir ces informations et de les mettre à disposition des sélectionneurs de pommes, le projet Vinquest a été initié en 2009. Dix ans après le lancement de ce projet, 24 partenaires de 14 pays apportent régulièrement des données. Ces informations ont été utilisées pour identifier les gènes de résistance à la tavelure du pommier les plus prometteurs : Rvi5, Rvi11, Rvi12, Rvi14 et Rvi15.

Une sélection variétale plus efficace

Le projet de recherche européen Fruit Breedomics, démarré en 2011, a permis d’améliorer l’efficacité de sélection d’espèces fruitières en comblant le fossé entre la recherche en génétique et son application. L’objectif était d’adopter une approche multidisciplinaire, liant la génétique, la génomique, l’écophysiologie et la bioinformatique, afin d’améliorer l’efficacité des programmes de sélection chez le pommier et le pêcher. Le projet a permis de développer des outils moléculaires et de bioinformatique pour exploiter la diversité présente dans les collections européennes de matériel génétique et les populations de croisement. Les données recueillies fournissent des informations génétiques sur le pool de géniteurs et fondateurs à utiliser dans les programmes de sélection. Vingt-six équipes participaient au projet Fruit Breedomics, dont vingt en Europe (y compris plusieurs équipes INRAE).

Végépolys Valley et son centre R & D

Végépolys Valley est un pôle de compétitivité rassemblant des entreprises, des centres de recherche et de formation du domaine du végétal autour de projets pour renforcer la compétitivité des entreprises. Il est implanté dans quatre régions : Bretagne, Pays de la Loire, Centre-Val de Loire et Auvergne-Rhône-Alpes.

Le Centre R & D de Végépolys Valley est une association distincte, créée en 2007 par le pôle de compétitivité et les institutions angevines de recherche. Son laboratoire est basé à Angers, au sein de la Maison de la Recherche sur le Campus du Végétal, aux côtés de l’IRHS (Institut de recherche en horticulture et semences, unité mixte de recherche INRAE - L’institut Agro Agrocampus Ouest - Université d’Angers).

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