L’inflation met à mal les efforts faits pour Egalim
Alors que tous les acteurs de la restauration collective et des filières sont mobilisés pour une alimentation plus durable, l’inflation pourrait ruiner les efforts faits depuis deux ans pour atteindre les objectifs de la loi Egalim, notamment pour le bio.
Alors que tous les acteurs de la restauration collective et des filières sont mobilisés pour une alimentation plus durable, l’inflation pourrait ruiner les efforts faits depuis deux ans pour atteindre les objectifs de la loi Egalim, notamment pour le bio.
Issue des États généraux de l’alimentation (Egalim), publiée au Journal Officiel le 1er novembre 2018, la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi « Agriculture et Alimentation » ou loi Egalim, prévoit depuis le 1er janvier 2022 un approvisionnement de la restauration collective d’au moins 50 % en valeur de produits de qualité et durables, dont au moins 20 % de biologiques. « Depuis deux ans, suite à Egalim, il y a une réelle dynamique de la restauration collective vers des achats de fruits et légumes plus durables, avec une augmentation notamment du bio et de la HVE, qui était déjà achetée mais n’était pas identifiée », constate Marie-Cécile Rollin, directrice de Restau’Co, réseau de la restauration collective en gestion directe.
En pratique, beaucoup de fruits et légumes HVE ou au niveau 2 de la certification étaient déjà achetés par la restauration collective, mais les cantines doivent aujourd’hui les identifier comme tels.
En 2021, selon le ministère, la restauration scolaire, qui représente 35 % de la restauration collective, était proche des 50 % de produits durables et de qualité. « Les établissements du premier degré, poussés par les collectivités, atteignent souvent les objectifs, les collèges et lycées étant un peu moins avancés », précise Marie-Cécile Rollin. Le secteur médico-social, qui représente 47 % des repas de la restauration collective, mais a commencé plus tardivement, serait en revanche à moins de 10 % des objectifs. La restauration d’entreprise, administrative et de loisirs, entrée depuis peu dans Egalim, serait également peu avancée.
Le bio, mais pas que …
En 2021, selon l’Agence bio, la part du bio en restauration collective était de 5 ou 6 % tous produits confondus, avec une part sans doute plus importante en fruits et légumes. « Les produits bio les plus introduits sont les fruits et légumes et les laitages, dont les établissements ne peuvent réduire les achats et pour lesquels le surcoût en valeur est le moins élevé », indique Marie-Cécile Rollin. S’y ajoutent pour l’essentiel les produits HVE ou au niveau 2 de la certification environnementale (Vergers écoresponsables, Demain la Terre, Bee Friendly… ), complétés par quelques Siqo. « La HVE et le bio sont complémentaires, assure Marie-Cécile Rollin. La restauration collective a besoin de tous les produits pour répondre à Egalim ».
« Egalim a donné de la notoriété à la HVE qui a été identifiée comme le levier le plus simple et entraînant le moins de surcoûts pour les collectivités pour atteindre les objectifs d’Egalim », analyse Olivier Ayçaguer, responsable service économie et compétitivité filière à Interfel. En pratique, beaucoup de fruits et légumes HVE ou au niveau 2 de la certification étaient déjà achetés par la restauration collective, mais les cantines doivent aujourd’hui les identifier comme tels. « La filière peut fournir toutes les catégories de produits pour répondre aux objectifs d’Egalim, assure-t-il. La restauration hors domicile représente 10 % des fruits et légumes produits en France, dont la moitié en restauration collective. S’il faut 20 % de bio, c’est tout à fait possible ».
« Chaque jour, des cantines arrêtent des références bio si elles trouvent des alternatives moins coûteuses ». Marie-Cécile Rollin, directrice de Restau’Co
Inflation : 0,20 € pour Egalim et 0,20 € pour l’inflation
Depuis deux ans, la filière et les collectivités sont donc mobilisées pour atteindre les objectifs de la loi Egalim. De nombreuses initiatives sont mises en place dans les territoires à l’initiative des collectivités, des grossistes, des producteurs, permettant une progression vers une alimentation bio et durable.
Mais l’inflation, apparue il y a un an en restauration collective, pourrait ruiner les efforts engagés. « Il y a un renchérissement global de tous les produits alimentaires, auquel s’ajoute la hausse du prix des emballages, de l’énergie, du transport, des salaires…, constate Marie-Cécile Rollin. Le surcoût lié à Egalim était déjà de 0,20 € pour un coût du repas de 2 €, notamment pour les 20 % de produits bio. L’inflation atteignant 10 % en restauration collective, cela représente encore un surcoût de 0,20 €, soit pour les établissements qui n’avaient pas commencé Egalim, un surcoût total de 0,40 € par repas, auquel ils ne peuvent faire face et qui est notamment un frein à l’achat du bio. Chaque jour, des cantines arrêtent des références bio si elles trouvent des alternatives moins coûteuses. »
Risque de retour en arrière
« Si les collectivités n’augmentent pas leur budget alimentation, il y a un vrai risque de retour en arrière au niveau d’Egalim », insiste Olivier Ayçaguer. L’augmentation du soutien à la restauration collective pour une alimentation plus durable n’ayant pas été soutenue dans le projet de loi de Finances 2023, une tribune collective parue au JDD du 5 novembre 2022 a été signée par les agriculteurs (FNSEA, La Coopération agricole), la restauration collective (Geco Food Service, SNRC, SNERS, Restau’Co), les grossistes (CGF), la Fnab et des ONG. Elle demande la reconnaissance du rôle indispensable de la restauration collective et une dotation ambitieuse pour faire face à l’inflation et soutenir Egalim, soit une augmentation de 0,20 à 0,40 € par repas. Mi-novembre, les signataires n’avaient pas reçu de réponse du gouvernement.
Ruptures d’approvisionnements
S’ajoutent à ce tableau des ruptures d’approvisionnement très fréquentes depuis deux ans du fait de la désorganisation des filières à la suite de la crise Covid-19, notamment en IVe et Ve gammes, avec de plus cette année des ruptures annoncées pour 2023 liées à la baisse des rendements du fait de la sécheresse. « Nos fournisseurs nous annoncent des ruptures sur certains légumes surgelés, les haricots verts, les brocolis, indique Magali Bony, responsable achats marché publics du Silgom, établissement public du Morbihan. La restauration collective n’est pas prioritaire pour les fournisseurs. Nous devrons nous adapter à ce que nous aurons. » Enfin, toute mention de préférence nationale étant interdite dans les marchés publics, les fruits et légumes bio, IGP… ou produits selon des démarches équivalentes à la HVE par exemple, mais importés, peuvent entrer dans les objectifs d’Egalim. Des démarches collectives de certification environnementale seraient actuellement portées par des opérateurs anglais.
Un contexte plus favorable au menu végétarien
La loi Climat et résilience du 22 août 2021 a introduit de nouvelles obligations de diversification des sources de protéines en restauration collective, notamment la pérennisation du menu végétarien hebdomadaire en restauration scolaire, l’obligation d’une option végétarienne quotidienne pour la restauration collective de l’État et la possibilité d’une option végétarienne quotidienne pour toutes les collectivités. « Certaines avaient déjà des options végétariennes, notamment pour répondre à des demandes confessionnelles, analyse Marie-Cécile Rollin. Et l’inflation aide aujourd’hui à l’acceptation du menu végétarien, moins coûteux qu’un menu intégrant de la viande. »
Dans un premier temps, par méconnaissance et manque de savoir-faire, beaucoup d’établissements se sont tournés vers les produits industriels. Sur la base de l’analyse de 800 menus, l’UFC-Que Choisir constate ainsi un plus grand recours aux produits industriels, à base de soja notamment, dans les cantines scolaires proposant quotidiennement un menu végétarien, avec 35 % de plats industriels contre 23 % pour les autres cantines et jusqu’à 84 % dans certaines cantines.
Les enquêtes montrent aussi plus de gaspillage, les enfants appréciant peu le goût et la texture des produits végétariens industriels. Actuellement, grâce à l’accompagnement et aux formations proposés par les collectivités et la filière et poussé aussi par l’inflation, un rééquilibrage semble toutefois s’opérer vers les légumineuses.
En chiffres
* La restauration hors domicile pèse 8 % en valeur des fruits et légumes frais commercialisés et 10 % en volume, à environ 50 % en restauration collective et 50 % en restauration commerciale.
* Hors bananes et pommes de terre, les fruits et légumes en RHD représentent 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires.
* En 2018, hors pommes de terre, 342 350 tonnes de fruits et légumes frais ont été achetées en restauration collective, dont 160 700 tonnes de fruits frais Ire gamme, 149 300 tonnes de légumes frais Ire gamme et 32 350 tonnes de IVe gamme, ainsi que 25 250 tonnes de pommes de terre fraîche.