Cinéma
[Film] « La Terre des hommes » : élevage, pouvoir et domination
Constance, fille d’éleveur charolais, veut reprendre, avec son fiancé, l’exploitation agricole de son père et la sauver de la faillite. Elle obtient le soutien du président du marché aux bestiaux, mais ce dernier impose son désir au milieu des négociations avec la Safer. Tel est le synopsis de la Terre des hommes, deuxième long métrage de Naël Marandin, avec Diane Rouxel, Finnegan Oldfield, Jalil Lespert et Olivier Gourmet. Interview du scénariste et réalisateur qui a réalisé cinq ans d’enquête dans l’élevage bourguignon avant de réaliser son œuvre.
Constance, fille d’éleveur charolais, veut reprendre, avec son fiancé, l’exploitation agricole de son père et la sauver de la faillite. Elle obtient le soutien du président du marché aux bestiaux, mais ce dernier impose son désir au milieu des négociations avec la Safer. Tel est le synopsis de la Terre des hommes, deuxième long métrage de Naël Marandin, avec Diane Rouxel, Finnegan Oldfield, Jalil Lespert et Olivier Gourmet. Interview du scénariste et réalisateur qui a réalisé cinq ans d’enquête dans l’élevage bourguignon avant de réaliser son œuvre.
Comment avez-vous eu l’idée de faire ce film dans le milieu de l’élevage bovin bourguignon ?
Naël Marandin : L’origine du film remonte à 10 ans en arrière quand je me suis retrouvé par hasard dans un marché aux bestiaux, à Corbigny, en Bourgogne. L’endroit m’a fasciné pour sa théâtralité. J’ai eu envie d’y tourner un film. A partir de là j’ai voulu comprendre le milieu, j’ai passé cinq ans à aller rencontrer des agriculteurs. Au fil des rencontres je me suis lié avec des éleveurs. En parallèle, j’ai vu dans le milieu de l’élevage le moyen de relier mes préoccupations sur les questions du pouvoir, de la domination et de la politique avec leurs conséquences sur le corps et le désir. De manière générale, à ce moment-là je prenais conscience qu’autour de moi beaucoup de femmes me racontaient des agressions, des viols, des situations très désagréables et que ça se généralisait. J’arrive alors dans le milieu agricole avec beaucoup de préjugés. J’avais l’image de paysans assez seuls et je découvre un monde très organisé. Ce marché aux bestiaux devient pour moi le théâtre symbolique assez parfait pour aborder mes thèmes de prédilection. Pour autant, je pense que le film n’est pas sur l’agriculture mais dans l’agriculture. L’histoire se passe là mais elle pourrait se passer chez France Télécom.
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Vous avez plutôt choisi l’agriculture comme décor ?
Non c’est réducteur de dire ça. La Terre des hommes a aussi un côté film-enquête. Mon idée était aussi de montrer la structuration des rapports de force, le rapport entre générations.
Comment avez-vous mené votre enquête sur le milieu ?
Pendant cinq ans, j’ai beaucoup rencontré d’agriculteurs en Bourgogne mais pas seulement. Tardivement j’ai rencontré, par les hasards de la vie, un couple de jeunes éleveurs au sud de Toulouse qui m’a beaucoup inspiré dans la définition des personnages de Constance (jouée par Diane Rouxel) et Bruno (joué par Finnegan Oldfield). Les deux acteurs sont allés chez eux pour prépare le film. Un autre éleveur a beaucoup inspiré Bernard, le père de Constance (joué par Olivier Gourmet). Je me suis même demandé à un moment donné s’il n’allait pas jouer le rôle.
« Nous avons tourné en complicité avec les éleveurs, sous leur regard »
Où avez-vous tourné ? Dans quelles exploitations agricoles notamment ?
Le film a été tourné dans des endroits en activité. Au marché de Saint-Christophe en Brionnais notamment. Toutes les scènes avec les camions, les bêtes on les a tournées au milieu du marché. On a seulement recréé la scène de vente. Nous avons aussi tourné dans trois exploitations en activité et je pourrais même dire sous le regard des éleveurs qui étaient là. On tournait avec leurs bêtes et ils nous disaient comment faire avec telle vache. Par exemple pour une scène où les jeunes marchent dans le pâturage au milieu des bêtes c’est l’éleveur qui nous ont donné l’astuce pour qu’elles ne partent pas à l’arrivée de l’équipe de tournage. Il nous a dit : « je vais fermer ce pâturage pendant 15 jours et le jour J on l’ouvrira, on aura de l’herbe fraîche et les bêtes ne vont pas bouger ». Ainsi on a tourné en complicité avec les éleveurs, sous leur regard, si ce n’était pas bien ils nous le disaient.
Olivier Gourmet est très à l’aise et pour cause son père était marchand de bestiaux, vous le saviez ?
Oui on a eu une aide assez formidable de la part d’Olivier Gourmet dont le père était marchand aux bestiaux et dont le frère a repris l’exploitation. Il a passé son enfance dans une ferme. Il était très à l’aise, il savait même conduire un tracteur. Et non je ne savais pas qu’il connaissait le milieu.
On a eu une aide assez formidable de la part d’Olivier Gourmet dont le père était marchand aux bestiaux
Est-ce que c’est pour cela qu’il a accepté le rôle ?
Il ne me l’a pas dit mais oui je pense que ça a beaucoup à voir avec le fait qu’il ait trouvé le film juste.
Comment avez-vous choisi les fermes ? Le marché ? Avez-vous eu un bon accueil ?
J’ai choisi le marché de Saint Christophe en Brionnais car il était plus moderne, plus grand, plus impressionnant que celui de Corbigny. Pour choisir les exploitations, j’ai visité plus de 200 fermes entre le Charolais et le Brionnais. Et j’ai reçu un très très bon accueil. Certes, les éleveurs étaient curieux de savoir ce que j’allais faire mais le film n’a été possible que parce que l’on a été très bien accueillis. On avait un très petit budget et je voulais par exemple des vêtements réalistes. Et bien les cottes de travail on les a récupérées chez les éleveurs et nous leur en avons commandé des neuves. On utilisait aussi les tracteurs des exploitations. De même que l’on a pu tourner dans le marché aux bestiaux, nous n’aurions pas eu les moyens de faire venir des centaines de bêtes. Les deux tiers des figurants lors de la scène de vente aux enchères étaient des usagers du marché avec leurs propres tenues.
J’ai visité plus de 200 fermes entre le Charolais et le Brionnais
Vous avez déjà présenté le film, comment a-t-il été accueilli par le monde agricole ?
Le film a été très bien reçu dans la région où il a été tourné et dans d’autres. En vue de sa sortie on l’a montré à des organisations agricoles et là aussi il a été très bien reçu. On est d’abord allés plutôt vers certains syndicats mais au final tous l’ont vu notamment à travers le festival d’avant-première Télérama durant lequel des débats ont été organisés avec des éleveurs.
C’est une fiction, pas un documentaire mais rien n’est inventé
Vous montrez un milieu très masculin, très politique, où la jeune héroïne est victime d’un jeu de domination, ne vous reproche-t-on pas de donner une image caricaturale du milieu ?
Je ne trouve pas du tout qu’il soit caricatural. Il met l’accent sur une dimension. Il y a de la grandeur et de la bassesse dans ce milieu, mais comme partout ni plus ni moins qu’ailleurs. On espère que l’image que le film renvoie est fidèle à la réalité. Chacun y retrouvera une situation proche de celle qu’il a connue. Comme cette agricultrice qui est venue me disant : « vous l’avez su pour mon problème d’original certifié du cadastre ? » (comme l’héroïne qui voit son dossier d’installation retoqué en commission, ndlr). Certes je rassemble beaucoup de situations différentes. C’est une fiction, pas un documentaire mais rien n’est inventé. Nous montrons un monde qui n’est pas tout beau mais avec un regard respectueux.
On ne peut pas parler avec des agriculteurs sans que la Safer arrive à un moment dans la discussion
Vous décrivez les relations de pouvoir au sein des instances agricoles, il est notamment question du rôle de la Safer, comment vous êtes vous documenté sur le sujet ?
On ne peut pas parler avec des agriculteurs sans que la Safer arrive à un moment dans la discussion. Au début du projet je n’avais aucune idée de ce que c’était. J’ai travaillé sur le sujet auprès de gens qui ont eu affaire à la Safer et auprès d’amis qui travaillent en préfecture (j’ai fait des études de sciences politiques). Après les Safer sont différentes d’un département à l’autre, suivant leur conseil d’administration. Le film ne veut pas tomber dans une généralisation.
Le jeune couple veut engraisser ses animaux, faire de la vente directe, agrandir son troupeau, passer en vente directe, c’est la stratégie de la montée en gamme confrontée à la stratégie d’agrandissement des anciens… Vous vous êtes inspiré là encore de situations rencontrées sur le terrain pour cette partie du scénario ?
L’histoire se nourrit du conflit et ce que je voyais dans la lutte des générations - pas forcément violente - dans le secteur me semblait très beau. Chez le jeune couple qui m’a inspiré, le garçon reprenait la ferme de son père et bien qu’à la retraite il était là tout le temps. La relation était pleine d’amour mais pleine d’engagements dans des pratiques différentes. Le film s’intéresse aussi à l’avenir du métier.
Les jeunes agriculteurs sont des jeunes d’aujourd’hui
Vous montrez aussi une jeune femme plus préoccupée par la santé de son veau que son père, vous voulez montrer une génération plus soucieuse du bien-être animal ?
Oui, il y a un rapport aux bêtes, à la nature, à l’environnement, à la durabilité qui est très différent dans les générations. Et ça vaut dans tous les milieux. Je ne voulais pas faire un rapport exotisant, ce qui m’intéresse c’est ce qu’il y a en commun. Les agriculteurs sont des gens qui vivent avec leur temps. Les jeunes agriculteurs sont des jeunes d’aujourd’hui. Nous vivons dans le même monde.
Vous montrez aussi la difficulté de tirer un revenu de ce métier, vous avez été marqué je crois par les problèmes financiers rencontrés par certains éleveurs ?
Oui cela faisait partie des choses qui m’ont interpelé au début de mes rencontres avec les éleveurs. J’ai vu des éleveurs qui tiraient des revenus minuscules de leur activité alors qu’ils travaillaient non stop. J’ai aussi vu des éleveurs qui vivaient très bien de leur métier. Je voulais ainsi rendre compte dans le film de la disparité qui existe dans ce milieu.
Être paysan ne dit rien des gens, derrière il y a une grande richesse humaine
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué lors de la création de ce film ?
C’est surtout la diversité des profils que j’ai rencontrés. J’ai visité 200 exploitations, parfois rapidement, et ce qui m’a fasciné c’est la diversité de ce monde entre le fan de Pink Flyod, celui qui peint, celui qui aime la poésie, celui qui est engagé en politique, un autre qui aime l’art contemporain… Être paysan ne dit rien des gens, derrière il y a une grande richesse humaine. Pour moi ce film a été un voyage humain d’une richesse incroyable. Chaque rencontre était pleine de surprise et de diversité. Par exemple, un jour j’arrive en repérage avec un éleveur dans le fond d’une vallée dans le Nivernais et je tombe sur un éleveur qui me raconte avoir fait avec la MSA de nombreuses missions dans des pays africains. Les agriculteurs ne sont pas réductibles à un cliché, à une fonction.
Cela vous a-t-il donné d’autres envies de films dans ce secteur ?
Ce film s’inscrit dans un parcours de cinéaste. Certaines personnes que j’ai rencontrées sont devenues des amis que je reverrai toute ma vie. Mes deux prochains films ne se tourneront pas dans ce milieu, mais je ne dis pas que je n’y reviendrai pas. Le prochain se situera à la montagne.
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