En Martinique, ces éleveurs ovins ont amélioré les parcelles pour des fourrages de meilleures qualités
En Martinique, la production de fourrages riches en protéines permet de limiter l’importation de coûteux concentrés. Trois éleveurs ovins martiniquais racontent.
En Martinique, la production de fourrages riches en protéines permet de limiter l’importation de coûteux concentrés. Trois éleveurs ovins martiniquais racontent.
À Rivière-Salée, en Martinique, Alex Feval s’est lancé dans l’élevage ovin en 2005. Aujourd’hui, il élève 38 brebis et une demi-douzaine de bovins sur 5 ha. Il y a quinze ans, l’éleveur a voulu améliorer ses savanes en implantant des graminées et des légumineuses locales. « Le troupeau de brebis n’est pas complémenté et j’ai dû trouver un moyen d’apporter la protéine aux animaux », indique l’éleveur de 63 ans.
Pour produire de l’herbe de qualité, il a d’abord préparé les parcelles en amont et supprimé les mauvaises herbes comme les épineux. « Il faut attendre que l’herbe soit bien enracinée, au moins six mois après l’implantation pour la faire pâturer sinon les graminées nouvellement semées vont être détruites », recommande-t-il.
Des prairies enrichies par les légumineuses locales
Aujourd’hui les parcelles sont riches en légumineuses locales qui ont repris naturellement le dessus sur les graminées implantées. Le fourrage est de meilleure qualité et varié avec une dizaine de légumineuses différentes présentes sur les parcelles. Il a aussi implanté des légumineuses arbustives originaires d’Amérique latine (Gliricidia sepium) qui lui permettent d’avoir des piquets en périphérie mais surtout un apport de protéines lors de l’élagage des haies.
Avec un chargement de seulement 1,4 UGB/ha [unité de gros bétail par hectare], l’éleveur a suffisamment de fourrage pour passer l’année et surtout la période sèche de janvier à juin, appelée ici Carême. Et pour combler le manque d’herbe pendant cette période, Alex Feval apporte aussi des drêches de brasserie, de la canne broyée et de la mélasse de canne à sucre.
Des parcelles améliorées et entretenues pour produire une herbe riche et résistante à la sécheresse
À Saint-Esprit, toujours en Martinique, Olivier Palcy a lui aussi adapté ses prairies aux territoires. L’éleveur de 25 brebis Martinik a planté des graminées il y a plus de douze ans. « Le coût des concentrés a été le déclic, avance l’éleveur de 53 ans. Lorsque j’ai commencé l’activité, je ne donnais pas de compléments alimentaires aux ovins et, au fur et à mesure, j’ai apporté des concentrés aux petits ruminants mais cela devenait onéreux à l’année. Il me fallait trouver une solution pour pallier cette contrainte économique. »
Les graminées ont été implantées en sursemis, principalement à la volée, après un léger labour à 10-15 cm. Grâce à un chargement limité et à un pâturage tournant, des légumineuses et graminées endémiques ont également poussé naturellement sur les parcelles.
Du pâturage toute l'année, même en saison sèche
Aujourd’hui les parcelles dites améliorées accueillent le pâturage des ovins même durant la période sèche, de janvier à juin. À l’aide de clôtures mobiles installées en 2010, l’éleveur choisit le lieu de pâturage en fonction de la pousse de l’herbe. Il n’a pas de schéma défini de rotation mais fonctionne par rapport au stade de ses prairies.
Ces clôtures l’aident aussi à le protéger des chiens errants. « Les ovins sont des herbivores, aime à rappeler Olivier Palcy. Il est donc important de mettre en place une alimentation fourragère de qualité. » L’éleveur replante ou réimplante régulièrement des parcelles de graminées et de légumineuses. « Le seul inconvénient reste le coût élevé de ces semences », regrette-t-il.
Les prairies multi-espèces sécurisent les rendements fourragers
La même réflexion sur l’adaptation de la production fourragère aux besoins des animaux a poussé les religieuses du Foyer de charité (Trinité) à améliorer leurs parcelles. Lors de l’acquisition du terrain en 1990, les membres de la communauté religieuse ont jugé bon de créer un élevage d’ovins en raison de la facilité de gestion du troupeau et de la sérénité autour du lieu spirituel.
Il y a plus de vingt ans, les gérants de l’exploitation ont implanté sur leurs prairies des graminées tropicales (Brachiaria decubems, Humidicola, Digitaria) dans le but d’avoir de belles savanes enherbées et riches pour les animaux. Aujourd’hui les légumineuses locales ont repris le dessus sur les graminées et le mélange forme un fourrage multi-espèces adapté au milieu.
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Neuf parcelles sont dédiées aux brebis, quatre pour les agnelles et cinq pour les béliers (futurs reproducteurs et/ou de boucherie). Des rotations permettent de préserver les parcelles et d’éviter la ré-infestation parasitaire des animaux.
Les ovins reviennent ainsi sur les parcelles tous les vingt-huit à trente jours au maximum. Pour Moïse Zozime, la gérante d’un élevage de 68 brebis, « les prairies multi-espèces permettent de sécuriser les rendements fourragers et d’améliorer la valeur alimentaire des prairies ».
Coté Web
Fiches Cap protéines dans les DROM et en métropole
Les témoignages de ces trois élevages ovins martiniquais (ainsi que 50 autres métropolitains) sur l’autonomie protéique sont à retrouver sur cap-proteines-elevage.fr/temoignages-d-eleveurs
Une petite place pour les ruminants dans les Outre-mer
L’élevage de ruminants reste loin derrière la canne à sucre ou la banane dans les préoccupations agricoles des départements d’outre-mer. Cependant, il se structure avec l’aide d’aides européennes.
La Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Mayotte et la Réunion sont des départements sous climat tropical ou équatorial qui implique d’importantes contraintes pour l’élevage. Les températures et le taux d’humidité élevés une grande partie de l’année limitent les performances des élevages de bovins, ovins ou caprins.
Une production de concentrés quasi inexistante
Dans les Antilles françaises, la surface agricole est limitée par les contraintes naturelles et de très fortes densités d’habitation (plus de 300 habitants au kilomètre carré en Martinique). L’éloignement et l’insularité influent aussi sur la compétitivité de l’élevage dans les Outre-mer.
Le marché intérieur reste limité et, surtout, les filières sont très dépendantes d’un coûteux approvisionnement en intrants. Il n’y a par exemple quasiment pas de production locale de concentrés, de céréales ou d’oléoprotéagineux. Les équipements et machines agricoles viennent aussi exclusivement par voie maritime ou éventuellement aérienne. La dépendance aux frets de ces régions ultrapériphériques a été exacerbée au moment de la Covid-19.
L’élevage loin derrière la banane et la canne
L’histoire et l’économie agricoles des départements et régions d’outre-mer sont marquées par deux grandes cultures traditionnelles d’exportation : la banane en Martinique et Guadeloupe et la canne à sucre à la Réunion, en Martinique et en Guadeloupe.
Si un petit élevage dit de case a toujours existé pour l’autoconsommation, l’histoire des élevages professionnels est plus récente. Au cours des années 1960 à 1980, les réformes foncières en Guadeloupe et Martinique et les programmes régionaux de mise en valeur (Plan vert en Guyane, Plan d’aménagement des Hauts à la Réunion) ont favorisé le développement des productions animales et la professionnalisation des éleveurs.
Des aides spécifiques contre l’éloignement et l’insularité
Aujourd’hui, la grande majorité de la production ovine reste commercialisée hors filière organisée par la vente directe aux bouchers ou aux consommateurs ou les marchés forains. Mais pour approvisionner les DOM, la viande est souvent importée congelée, fréquemment à très bas prix ce qui engendre de fortes perturbations pour les filières locales.
Les éleveurs reçoivent des aides européennes à travers le Posei [Programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité]. Cela comprend des aides directes aux producteurs et organisations des filières traditionnelles (banane, canne/sucre/rhum) et des filières organisées de diversification végétale et animale. Le Posei accorde aussi des aides pour l’approvisionnement en matières premières nécessaires au développement des filières agricoles comme pour l’importation de céréales et d’oleoprotéagineux pour l’alimentation animale.
Chiffres clés
Les petits ruminants dans les DROM
- 18 000 à la Réunion
- 11 600 en Guadeloupe
- 10 800 en Martinique
- 5 600 en Guyane
- 3 000 à Mayotte