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Des moutons sous les panneaux solaires

Les moutons peuvent pâturer l’herbe sous les panneaux solaires. De nouvelles relations se mettent en place entre énergéticiens et éleveurs pour de véritables projets agrivoltaïques.

Actuellement neuf gigawatts (GW) de panneaux solaires sont installés en France. Mais la programmation pluriannuelle de l’énergie, actuellement en consultation, aimerait fixer un objectif de 18 à 20 GW en 2023 et de 35 à 44 GW en 2028, soit une multiplication par quatre de la production en moins d’une décennie. La part du solaire est encore faible dans le mix énergétique électrique français (moins de 2 %) mais l’ambition est bien de l’augmenter, surtout que les prix du kilowattheure solaire au sol s’approchent maintenant des prix du marché de l’électricité. Les panneaux photovoltaïques peuvent être installés sur les bâtiments mais aussi au sol en les combinant, pourquoi pas, avec de la production ovine. « Les centrales au sol permettent de faire de l’électricité à un prix compétitif et les moutons peuvent pâturer sous les panneaux », résume André Delpech, éleveur ovin du Lot qui suit ce dossier pour la Fédération nationale ovine.

Un partenariat gagnant-gagnant à construire

Une opportunité pour les éleveurs à condition de ne pas faire n’importe quoi. Car, pour la Fédération nationale ovine (FNO), le cœur des projets doit rester la production agricole. Pour étudier la faisabilité de la chose, un partenariat a été signé en 2018 avec Neoen, le premier producteur indépendant français d’énergies exclusivement renouvelables. L’idée de faire pâturer des ovins sous les panneaux n’est pas nouvelle. « En France, nous avons actuellement quinze centrales solaires couvrant près de 240 hectares qui sont pâturés par les moutons avec des prestations d’écopâturage avec des éleveurs, explique Matthieu de Cointet, responsable du développement solaire pour la France chez Neoen. À défaut de moutons, l’autre solution est la fauche mécanique avec un girobroyeur. Mais c’est un peu plus coûteux et, surtout, cela nous prive d’une présence régulière sur les sites. »

L’agrivoltaïsme en cours de développement

Maintenant, l’idée est de mettre en place et suivre quatre à cinq projets expérimentaux qui intègrent le monde agricole dès la conception du projet. Quelques sites ont été identifiés et le plus avancé se situe dans le Lot. « Il faut dès le début intégrer le monde agricole dans les réflexions, insiste André Delpech. Il faut par exemple implanter prioritairement les centrales sur des terrains à faible potentiel agronomique ». Potentiellement, la réhabilitation de terrain enfiché et à l’abandon permet même d’envisager le retour de surfaces supplémentaires pour l’éleveur. Dans ces recommandations initiales, la FNO demande aussi que la surface des terres couvertes par les panneaux ne dépasse un tiers de la surface de l’exploitation.

Cette nouvelle approche prend le nom d’agrivoltaïsme et une étude commandée par l’Ademe est en cours de réalisation par le Cetiac, Blezat consulting et I Care pour bien définir cette notion. L’étude doit aboutir d’ici la fin de l’année à des recommandations pour que les pouvoirs publics facilitent et encouragent ces projets.

Une rémunération à définir

Première exigence pour avoir des moutons, il leur faut de l’eau potable et, si possible, plusieurs points d’eau. Les câbles électriques doivent bien sûr être enterrés et à l’abri des dents des animaux. Les traverses soutenant les panneaux doivent être suffisamment hautes pour que les animaux ne se blessent pas. Les terres doivent aussi être nettoyées des ligneux que les ovins ne toucheront pas. On enlèvera aussi si possible les chardons et autres adventices persistantes avant d’implanter une prairie dont la composition floristique varie selon les régions. La composition doit intégrer cette part d’ombre et de fraîcheur apportée par les panneaux. Un petit local pour l’éleveur permettra d’y stocker du matériel et il faut dès la conception imaginer la conception des paddocks ou d’un espace pour un parc de contention. L’aménageur du parc peut d’ailleurs prendre en charge ces aménagements ainsi qu’un quad. À la fin du contrat, les panneaux doivent pouvoir être démontés pour que les terrains retrouvent leur usage agricole.

À l’installation d’une centrale, un contrat tripartite doit aussi lier l’énergéticien, le propriétaire du terrain et l’éleveur. « Nous cherchons à définir un cadre juridique où il y ait une vraie synergie et que tout le monde soit gagnant », assure Matthieu de Cointet de Neoen. « Ces conventions sur 25 ou 30 ans doivent assurer un cadre précis de fonctionnement entre les parties », recommande Audrey Desormeaux de la FNO. L’exploitant solaire s’engage notamment sur un certain nombre de points pour faciliter l’exploitation des terres par les ovins et assurer la rémunération de l’éleveur en contrepartie de l’entretien des surfaces. Cette rémunération dépendra des cas mais doit être suffisante pour que le projet agrivoltaïque soit pérenne. La FNO travaille à déterminer des niveaux acceptables de rémunération qui intègre aussi la perte potentielle des aides de la PAC. Dans tous les cas, pas question de pâturer gratuitement, même en écopâturage. « On leur apporte une prestation, ça a de la valeur et c’est un service qui se monnaye », défend Audrey Desormeaux. Le syndicat ovin veut aussi éclaircir les aspects fiscaux et administratifs. Ces prestations sont pour l’instant considérées comme des activités non-agricoles mais la FNO aimerait demander des dérogations. Attention aussi à ne pas déshabiller l’éleveur au profit du propriétaire.

Des références à l’ombre des panneaux

Pour bien faire les choses, Neoen a demandé à l’Institut de l’élevage d’étudier les premiers projets, notamment celui en cours d’installation dans le Lot. L’idée est d’objectiver et de suivre dans la durée la composition floristique de la parcelle, la croissance et le bien-être des animaux, l’impact environnemental, le travail demandé à l’éleveur et les résultats technico-économiques de cet atelier solaro-moutonnier. « C’est important de se créer des références avec un vrai diagnostic agricole et un suivi sur une longue durée sur la technique, l’économique ou la biodiversité, apprécie André Delpech. On va par exemple étudier les espèces fourragères qui s’en sortent le mieux à l’ombre des panneaux ». Les expérimentations devront aussi montrer quel espace laisser entre les panneaux ou à quelle hauteur les placer pour avoir à la fois de l’électricité et une pousse d’herbe suffisante pour nourrir les animaux. Il s’agit de faire de la ressource fourragère sous les panneaux, pas que nettoyer la végétation.

Si le parc est clos, il reste quand même du travail pour l’éleveur. André Delpech recommande par exemple d’établir un planning prévisionnel et de faire pâturer avec un fil avant et un fil arrière afin de maîtriser au maximum les refus.

Prendre le temps de la réflexion

Le pâturage sous panneau peut aussi laisser imaginer d’autres pratiques sans bergerie demain. Avec ces abris sommaires contre les intempéries, les brebis pourraient plus facilement rester toute l’année dehors même en hiver. L’été, ces nouvelles estives peuvent garder davantage d’humidité, de fraîcheur et d’herbe que les prairies en plein soleil. L’abri et les clôtures peuvent aussi protéger les agneaux nouveau-nés et ainsi encourager les agnelages en plein air. Ce sanctuaire anti-loup peut ainsi décharger d’un souci de prédation. Pourquoi ne pas aussi se servir de la vidéosurveillance des sites pour surveiller les animaux ?

Si le pâturage sous les panneaux semble être prometteur, il y a encore des freins dans le monde agricole. L’idée d’accepter une perte de potentielle agricole n’est pas évidente au sein de la profession. « Nous avons eu de vrais débats à la FNO qui se sont conclus par un vote à bulletin secret, explique ainsi André Delpech. Maintenant, nous pensons qu’il faut expérimenter pour montrer les possibilités et les limites de l’agrisolaire. » De toute façon, les développeurs ne semblent d’ailleurs plus vouloir installer de centrales sans rien en dessous. Les parcs solaires seraient ainsi plus facilement acceptés par les riverains si le projet garde un aspect agricole. Pour le territoire, l’implantation d’un parc solaire peut aussi avoir des retombées positives, notamment grâce à la taxe Ifer.

La FNO cherche maintenant à capitaliser sur les expériences afin d’émettre des recommandations et faire ressortir les bonnes pratiques. Elle veut ainsi devenir un référent en recensant les conventions déjà en place. Quoi qu’il en soit, pour ces projets de très long terme, il est capital de bien réfléchir au projet et de se faire accompagner. La lenteur administrative aide d’ailleurs parfois à prendre ce temps de la réflexion…

L’avis de Virgil Noizet, éleveur dans la Marne

« Une vraie opportunité pour les éleveurs »

« Nous mettons des brebis dans un parc photovoltaïque depuis le printemps dernier. Il y a une quarantaine d’agnelles et béliers sur les 13 hectares de parc clos. Pour nous, c’est très intéressant car les agnelles profitent de l’herbe et je facture la prestation 6 600 euros à l’année. Au début, j’ai aussi demandé au gestionnaire du parc un financement pour des équipements d’abreuvement ou de clôture électrique. Le site est à 15 kilomètres de la ferme mais la clôture dispose d’une alarme et il y a des caméras. J’y mets des animaux de mars à novembre et je vais les voir une fois par semaine avec un seau de grain pour garder le contact avec elles. L’herbe pousse bien sous les panneaux et les brebis semblent plutôt bien installées à l’abri de la pluie et du soleil. Dans mon contrat, l’herbe ne doit pas atteindre les panneaux pour ne pas leur faire de l’ombre. Je dois aussi passer la tondeuse autour de la clôture pour éviter des interférences avec l’alarme. Je pense que ces contrats sont une vraie opportunité pour les éleveurs ovins et ça serait dommage de s’en priver. De toute façon, si ce n’est pas des éleveurs qui le font d’autres s’en chargeront… »

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