De nouveaux espoirs dans la lutte contre le gel en viticulture
Deux procédés inédits en France sont testés cet hiver contre le gel. Le Heat Ranger et les infrarouges longs seront regardés par les viticulteurs avec attention.
Deux procédés inédits en France sont testés cet hiver contre le gel. Le Heat Ranger et les infrarouges longs seront regardés par les viticulteurs avec attention.
Heat Ranger débarque enfin en Europe
Le Heat Ranger a été développé il y a sept ans en Nouvelle-Zélande. Mais jusqu’à présent le curieux engin ne pouvait être vu que sur quelques diapositives lors de présentations de chercheurs, ou autres documentations techniques sur la lutte antigel. Le tout premier exemplaire européen est arrivé en France au mois de novembre, grâce à l’entêtement d’un viticulteur charentais. « J’ai gelé trois des quatre dernières années, avec de gros dégâts en 2019, explique François-Xavier Cornette. Je suis entré en contact avec le concepteur en Nouvelle-Zélande, puis avec le fabricant en République Tchèque, en leur proposant de mettre un pied en France. À force ça a fini par marcher. » Ce Heat Ranger est une tour de 5,5 m de haut équipée d’un gros ventilateur à la base récupérant l’air froid et d’un brûleur à gaz de 1 400 kW. Ainsi elle tourne à 360° et souffle de l’air chaud, à environ 30 °C. Cette température n’est pas choisie par hasard, puisqu’elle répond à des dynamiques de masses d’air. Le système est également composé de cinq mâts disposant de trois capteurs à 70 cm, 3 m et 5 m, qui donnent les informations sur le risque de gel, déclenchent automatiquement la protection et contrôlent la puissance. Le tout doit être accompagné de la cuve de GPL pour répondre aux 150 l/h de débit nécessaire à pleine puissance. Coût de l’investissement : 120 000 euros, pour une protection théorique de 20 ha. « Mais plus la température diminue moins la couverture est importante, précise le viticulteur. À - 3 °C il n’y a plus qu’un rayon d’environ 150 m, soit une dizaine d’hectares de protégés. » Selon le concepteur, les premiers essais dans le nouveau monde sont prometteurs mais pointent quelques pistes d’amélioration. Dans certains cas la protection a été satisfaisante sur des distances de plus de 300 m de rayon, d’autres fois le système n’a pas fonctionné à cause de problèmes techniques. Car quand la température baisse, la vaporisation du GPL en sortie de cuve se fait moins bien et l’alimentation défaille. Ce point est en train d’être étudié. En attendant François-Xavier Cornette a mis en marche le système quelques fois pour l’essayer et faire quelques démonstrations. Et se tient prêt à dégainer sa nouvelle arme pour la mettre à l’épreuve en cas d’épisode gélif au printemps. « Il est clair que cette solution ne sera pas adaptable partout, dit-il. Mais si ça marche ça peut être une bonne option pour des exploitations au parcellaire regroupé, d’autant plus s’il y a moyen de se raccorder au gaz de ville, comme ça pourrait être le cas à Bordeaux. »
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Des infrarouges qui réchauffent la vigne de l’intérieur
« L’idée de l’infrarouge long est venue en discutant avec des amis travaillant dans le paramédical », raconte Jean-Michel Chavrier, à l’origine de la start-up Vignes Protect. Dans ce milieu, les ondes sont utilisées par les sportifs pour améliorer la circulation des fluides. En étudiant le procédé, Jean-Michel Chavrier a compris que ces infrarouges peuvent réchauffer : c’est un rayonnement électromagnétique qui excite les molécules H2O dans le corps et met en circulation ces molécules d’eau par hyperthermie. « Ce phénomène existe dans la nature, puisque c’est le rayonnement que l’on reçoit du soleil au lever et au coucher du jour », précise-t-il. Après avoir testé sur une plante et observé la même efficacité que sur l’Homme, il a réalisé en 2018 un protocole sur 14 cépages de vigne en Bourgogne. Test qui a montré que le système était réactif lorsque la température descend, même à -15 °C. Un nouvel essai a donc été mené l’hiver dernier sur le terrain, sur 150 m linéaires dans des parcelles des châteaux de France à Pessac et Haute-Nauve à Saint-Émilion, en Gironde. Concrètement, cela se matérialise par des panneaux souples (enroulables) qui viennent se plaquer à 10 cm de la vigne et s’accrochent au fil de palissage supérieur. Le rayonnement est instantané dès la mise en tension des panneaux. Tout ce qui est sur sa trajectoire et qui contient de l’eau est ainsi réchauffé. « Cela crée une augmentation de température dans la plante, mais pas dans l’air, explique le concepteur. On a constaté que le système a été réactif sur le terrain et a permis de gagner 2 °C pendant une plage horaire de huit heures. » L’avantage de ce système est par ailleurs qu’il peut couvrir tous les types de gelées, blanches ou noires. En revanche, l’entreprise se heurte pour l’heure à un problème énergétique, puisque ces panneaux consomment une puissance électrique similaire aux fils chauffants (quelques dizaines de kWh/ha). Ce qui rend difficile le dimensionnement sur des dizaines d’hectares. « La production n’est pas encore lancée, nous attendons de pouvoir proposer une solution optimisée pour l’installation », informe Jean-Michel Chavrier. La chambre d’agriculture de la Gironde travaille actuellement sur un protocole pour recueillir les données nécessaires au dossier de validation par l’Inao.
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Capteurs et alerte, des voies d’amélioration ?
Un système de lutte antigel ne peut être efficace que s’il est activé dans les temps. Dès lors, la qualité des capteurs et l’efficacité des systèmes d’alerte sont-elles une piste pour améliorer la protection contre le gel ? « Ça arrive qu’un viticulteur se fasse piéger par le gel car il n’a pas été assez réactif, mais c’est rare », remarque Basile Pauthier, spécialiste agrométéorologie au Comité champagne. Et pour cause. Les viticulteurs prennent bien souvent une marge de sécurité pour la mise en route de la protection. « Et au pire s’il a un peu de retard ce n’est pas si grave, ajoute le technicien. Sauf dans le cas de l’aspersion, où un déclenchement trop tard peut être pire que mieux. » D’autre part, les capteurs utilisés pour les alertes sont de nature fiable. « Les capteurs de température que l’on trouve sur les stations connectées sont globalement bien étalonnés, assure Serge Zaka, chercheur en agroclimatologie chez ITK. Et par expérience, ce ne sont pas des capteurs qui dérivent beaucoup, ils n’ont pas besoin d’être calibrés régulièrement. »
Coupler les capteurs avec des modèles de prévision pour anticiper
Pour être sûr de ne pas se rater dans le déclenchement de la lutte antigel, les deux experts émettent toutefois quelques conseils. « Regarder les prévisions météo pendant la période de gel, faire attention dès que l’on annonce 1 ou 2 °C et garder les yeux sur le thermomètre s’il y a un risque », rappelle Basile Pauthier. Et surtout, bien installer ses capteurs à la parcelle pour éviter les biais. Il est recommandé de les placer dans la rangée au niveau de la végétation. « Et d’avoir deux ou trois capteurs représentatifs des microclimats de la parcelle, ajoute Serge Zaka. L’idéal étant d’utiliser aussi les données de ces capteurs pour affiner les prévisions ultralocales avec un modèle météo, afin d’être dans l’anticipation et non dans le constat. »