Maintien de la production et taux en hausse avec les mûriers
Ressource estivale « verte », les arbres fourragers semblent être une bonne solution pour compléter la ration des chèvres. L’acquisition de références techniques sur leur entretien et leur valorisation par les chèvres est nécessaire.
Face aux sécheresses estivales de plus en plus fréquentes et intenses, les arbres fourragers apparaissent comme une solution permettant aux éleveurs d’offrir un fourrage vert à leurs animaux à cette période. Le projet Apache vise à caractériser le pâturage d’arbres par les chèvres. Lancé en 2021 pour trois ans, il est financé par la Draaf Auvergne-Rhône-Alpes via les fonds Massif.
L’objectif de ce projet est d’étudier l’effet du pâturage d’arbres fourragers en chèvres laitières sur leurs performances zootechniques et la fromageabilité de leur lait. Des essais ont été menés à la ferme expérimentale du Pradel (Ardèche) sur le pâturage du mûrier blanc.
1 t de MS/ha en moyenne
La ferme dispose d’une parcelle de 2 hectares de mûriers plantés il y a presque trente ans, répartis tous les mètres avec des interrangs de 3 mètres (soit plus de 3 000 plants/ha). Ils sont taillés en têtard (tête formée à 50 cm du sol) ou en cépée (rejet à la base). Avec une pluviométrie cumulée de janvier à juin de 314 mm en 2021 et seulement 175 mm en 2022, en période estivale, la ressource herbagère n’est pas disponible au Pradel. L’arbre fourrager apporte une solution pour sortir les chèvres au pâturage. De nouvelles fourragères comme le sorgho sont également testées sur la ferme pour optimiser ce pâturage estival.
La productivité de ces arbres a été suivie en juillet 2022 au premier passage des chèvres. À l’échelle de la parcelle, on atteint 1 tonne de matière sèche par hectare (MS/ha). La parcelle étant assez hétérogène, il faut noter que si seulement les arbres les plus productifs avaient été pris en compte, la productivité serait autour de 2,8 t de MS/ha. Un résultat qui se rapproche des données collectées par le projet Agrosyl en Ariège.
Deux tiers de la ration fourragère
Une repousse se fait sur l’automne et permet un nouveau passage des chèvres, mais avec une biomasse produite plus faible. En 2023, de nouveaux suivis de productivité des arbres suivant différents modes de tailles sont prévus et permettront de compléter ces premiers résultats.
Les effets de ce fourrage ligneux sur le lait des chèvres jusqu’au goût des picodons AOP ont été mesurés.
Un essai comparatif a été réalisé sur le pâturage du mûrier blanc en juillet 2021 et répété en juillet 2022. L’essai a été conduit, sur des périodes allant de 12 à 16 jours de pâturage, sur deux lots de 24 chèvres : un lot « mûrier » qui allait pâturer les mûriers la journée (de 8h à 15h) et un lot « témoin » qui était alimenté au foin de luzerne ad libitum en bâtiment. Le soir, les deux lots recevaient du foin de luzerne. En complément, chaque chèvre a reçu individuellement 250 g/j d’un concentré commercial et 500 g/j de grains de maïs entiers.
Sur les deux années d’essai, avec un temps de présence sur la parcelle de 20 à 30 % de la journée, la part des mûriers représente deux tiers de la ration fourragère des chèvres. Cette donnée a pu être validée à partir du profil des n-alcanes dans les fèces et les aliments réalisé par le laboratoire Inrae Pegase. Le mûrier est donc bien consommé par les chèvres et cela en très peu de temps !
+9 g/kg de lait en TB
Un maintien de la production laitière et une amélioration nette des taux en faveur du lot « mûrier » ont été observés. Les résultats zootechniques montrent un maintien de la production laitière avec 3,5 kg par chèvre à cette période de l’année et une amélioration nette des taux en faveur des chèvres ayant pâturé les mûriers : avec plus 9 g/kg en taux butyreux (39 vs 30 g/kg de lait) et plus 2 g/kg de lait en taux protéique (32 vs 30 g/kg de lait). Une baisse de l’urée a aussi été observée pour le lot « mûrier » (300 vs 450 mg/L de lait).
Au cours de l’essai, un volet était consacré à l’évaluation de l’aptitude à la transformation fromagère de ces laits en picodon AOP. Le lait du lot « mûrier » étant plus riche en matière grasse, les résultats en fromagerie montrent une amélioration du rendement fromager de 1 à 2 kg de fromages pour 100 kg de lait, sans pour autant générer de problèmes à l’égouttage.
Nouvelle plantation
Pour aller plus loin et répondre aux questions sur la gestion de ces arbres, une nouvelle plantation « en haute densité » a été faite au Pradel en mars 2022, 1 300 mûriers ont été plantés sur 1 500 m2 (soit environ 10 000 plants/ha). L’accessibilité de la parcelle par les chèvres sera à prévoir suivant la pousse de ces arbres, mais sûrement pas avant trois ans.
D’autres projets sur l’arbre en élevage sont également en cours comme Climagrof 2 sur les ovins allaitants et RAME sur tous les ruminants. Une enquête diffusée en ligne (plus de 100 réponses complètes) ainsi qu’une enquête approfondie sur une vingtaine d’exploitations caprines de la zone Massif central a également été réalisée afin de mieux caractériser le pâturage d’arbre fourrager (gestion de la taille, suivis des arbres…). Leurs résultats feront l’objet d’un article en fin d’année.
Le saviez-vous ?
Le mûrier blanc fait partie des fourrages ligneux possédant de bonnes valeurs alimentaires. Les analyses faites au Pradel (Ardèche) le confirment avec 14 % de matière azotée totale (MAT) et plus de 90 % de digestibilité enzymatique sur les deux années d’essai. En comparatif, le foin de luzerne se situe autour de 15 % de MAT et 55 % de digestibilité enzymatique. Des analyses de matière grasse ont été faites sur ces deux fourrages, et à première vue, le mûrier en possède deux à trois fois plus (15 g/kg de MS vs 40 g/kg de MS).
Validation par les consommateurs
La dégustation des fromages par un panel de consommateurs sur le site du Pradel en 2021 et un jury expert formé au laboratoire de l’Institut de l’élevage à Villers-Bocage (Calvados) en 2022 fait partie du projet Apache. Les picodons ont été dégustés entre 12 et 14 jours d’affinage et aucune différence n’a pu être mise en avant entre les deux modalités. Finalement, le picodon issu du lait de pâturage de feuilles mûriers conserve toutes les caractéristiques d’un picodon « classique ».
Plus de vingt-cinq descripteurs ont été évalués sur l’aspect, l’odeur, la texture et le goût. Le jury expert a noté les différents picodons sur l’ensemble des descripteurs sur une échelle de 1 à 10. Ce jury sera sollicité pour de nouveaux projets qui font le lien de la fourche à la fourchette.