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La chèvre au XX siècle
Les grandes mutations de l´élevage caprin (2nd volet)

Au long du 20e siècle, l´élevage caprin français s´est profondément transformé avec une forte accélération dans les dernières décennies. Seconde partie de la rétrospective des mutations successives ayant conduit à la création d´une filière moderne.


1970-1980 : La décennie du décollage et des néo-ruraux
Alors que le cheptel caprin va s´accroître de 38 % (689 000 chèvres en 1971 ; 949 000 en 1980), on assiste à une reconfiguration des implantations régionales : le Poitou-Charentes va s´installer en tête des trois principales régions caprines (1971 : 219 000 têtes ; 1980 : 365 000 têtes soit + 66 %) prenant la place auparavant occupée par Rhône-Alpes. (1971 : 243 000 têtes ; 1980 : 219 000 soit - 10 %) tandis que le Centre reste stable avec 136 000 têtes.
Ces trois régions vont ainsi concentrer près des deux tiers du cheptel national préfigurant ainsi une situation qui perdurera dans l´avenir. Parallèlement, dans le nord de l´Aquitaine et de Midi-Pyrénées, des noyaux d´élevages caprins laitiers s´installent avec la mise en place d´une collecte industrielle.
La collecte nationale de lait de chèvre va doubler passant de 100 à 200 millions de litres, dont 67 % en Poitou-Charentes. Les apports de lait et caillés en provenance d´autres régions (Sud-Ouest, Midi Pyrénées, Sud-Est) conduisent les entreprises du Poitou-Charentes à transformer les trois quarts de la collecte nationale, leur assurant ainsi une prédominance économique qu´elles conserveront définitivement.

Au niveau des élevages, le processus d´intensification associé à l´accroissement de taille des troupeaux se généralise dans toutes les régions. L´élevage en stabulation libre, la traite mécanique, la sélection laitière, les techniques d´alimentation modernes se développent.
Cette période voit se mettre en place les premiers Centres de formation professionnelle pour adultes spécialisés en élevage caprin (Melle, Carmejane, etc.). Il s´agit alors, non seulement de former les futurs éleveurs aux nouvelles techniques d´élevage, mais également de répondre à un nouveau besoin lié à l´attrait qu´exerce la chèvre pour les « retours à la terre ».
Dès le début des années 70 ce que l´on a parfois appelé la génération « post-soixante huitarde » provoque un afflux de candidats à un retour à la terre, avec un tropisme méridional marqué, qui conduira à l´installation de centaines d´élevages dans les régions du sud. Sont alors particulièrement concernés les départements des régions Sud-Est, Languedoc-Roussillon et Midi Pyrénées où des jeunes, seuls, en couple ou en communauté, vont créer des élevages caprins avec fabrication fromagère et vente directe.
©D. R.

Légende - Retour à la terre
Les néo-ruraux s´installeront de préférence dans le Sud.

Le système chèvre, fromages et vente directe s´accordait parfaitement à l´idéologie de refus de la société de consommation qui sous-tendait ces installations car il permettait de vivre de façon autonome.
Dans le sud, pendant de nombreuses années, ce phénomène sera à l´origine d´une part de conflits avec les éleveurs traditionnels locaux et, d´autre part, de l´image de « marginalité » qui sera associée aux éleveurs de chèvre. Au fil des années, les frictions s´estomperont, de sorte que ceux qui resteront (de l´ordre de 10 % environ) feront souvent d´excellents éleveurs ; certains accèderont d´ailleurs à des responsabilités professionnelles ultérieurement.
©D. R.

Légende - La chèvre, février-mars 1971
Reprise par la Section caprine de l´Itovic en 1974, la revue La Chèvre a été largement diffusée dans toutes les régions.

1980-2000 : l´époque moderne
L´année 1980 marquera une véritable rupture avec le choc provoqué par la première crise de surproduction du secteur : jusqu´alors le marché avait absorbé les augmentations de production de lait de chèvre dans une certaine inorganisation, car aucune structure interprofessionnelle ou système de régulation n´existait. Une hausse de 17 % de la collecte industrielle sur deux ans provoque une accumulation de stocks excédentaires de caillé congelé dans les entreprises, ouvrant ainsi une période de crise qui durera 3 années.
Cette première crise, qui sera suivie d´autres périodes troublées, sera à l´origine d´une intervention des Pouvoirs publics afin d´organiser la filière.
Une première interprofession régionale spécifiquement caprine naîtra dans le Poitou-Charentes avec le Brilac (1981), suivie par la constitution de sections caprines au sein des interprofessions régionales laitières dans les autres régions.

Au plan national un Bureau interprofessionnel du lait de chèvre sera constitué suivi, le 9 mars 1983, de la naissance de l´Anicap, première interprofession nationale laitière caprine réunissant la Fédération nationale des éleveurs de chèvre, la Fédération nationale des coopératives laitières et la Fédération nationale de l´industrie laitière. Des plans de campagne destinés à réguler la production de lait en fonction des capacités du marché seront établis. L´avenir montrera les limites de l´exercice car d´autres crises surviendront en 1987 et 1995. Le principe d´une cotisation interprofessionnelle payée par les éleveurs et les transformateurs est établi.
Avec quelques soubresauts la collecte industrielle poursuivra sa croissance pour atteindre 330 millions de litres en 2000 alors, qu´en parallèle, 120 millions de litres sont transformés à la ferme.
Le nombre d´éleveurs de chèvre s´est fortement réduit à la fin du siècle : il ne reste que 10 000 producteurs ayant plus de 10 chèvres, se partageant à égalité entre livreurs de lait et fromagers fermiers.

Si la diminution du nombre d´élevages livreurs a été forte dans les années 80 et au début des années 90 (500 à 1000 élevages disparaissaient chaque année), il semble que le phénomène soit plus récent pour les fermiers. Avec les nouvelles réglementations sanitaires européennes (à partir de 1992), le secteur fermier a connu une période difficile : mise aux normes des ateliers fromagers, contrôle de la qualité bactériologique des fromages, etc. En dépit des actions d´accompagnement et des aides financières de nombreux fromagers fermiers, parfois proches de la retraite, ont préféré cesser leur activité plutôt que d´investir dans une mise aux normes coûteuse. Entre 1996 et 1999 le nombre d´exploitations fermières a chuté de 30 %.
Pour maintenir leur niveau de revenu, dans un contexte de stagnation du prix du lait en francs courants et de baisse en francs constants (années 90), les élevages laitiers ont dû accroître sensiblement leurs effectifs. La taille moyenne des troupeaux laitiers spécialisés est de l´ordre de 200 à 300 chèvres, des grands troupeaux (au delà de 400 têtes) se sont également constitués avec la généralisation des structures d´exploitation sociétaire (Gaec, EARL).

Dans le cadre de la Communauté économique européenne, puis de l´Union européenne, le secteur du lait de chèvre est demeuré en dehors des réglementations de marchés de la Politique agricole commune. C´est un marché qui reste libre et doit donc s´autoréguler sur les volumes et les prix selon les lois de l´offre et de la demande.
Afin de mieux ajuster la production laitière aux débouchés l´Interprofession nationale a élaboré, avec un succès très mitigé, un dispositif de références des livraisons de lait pour chaque producteur. Mises en place à la fin des années 90 ces dispositions de maîtrise ont pour objectif d´éviter les crises de surproduction, mais l´expérience montre que le « pilotage » de la filière demeure un exercice difficile en raison du décalage, dans le temps, entre le moment où sont prises les décisions et leur effet sur le marché. La réalité du pouvoir économique dans la filière est surtout entre les mains des responsables des cinq premiers groupes laitiers assurant la moitié de la production française de fromages de chèvre.
©J.-C. Le Jaouen

Légende - Fromagerie fermière
Une des originalités du secteur caprin est d´avoir conservé une production fromagère fermière dynamique et modernisée.

Quel avenir ?
Cette rétrospective des mutations de l´élevage caprin au cours du XXe siècle montre, à l´évidence, l´accélération rapide des changements sur les dernières décennies. La France représente certainement un cas original où, d´une situation marginale, l´élevage caprin a accédé au rang de production spécialisée, moderne et intégrée à l´économie de marché. L´enjeu des débuts du troisième millénaire sera certainement de maintenir cette capacité d´adaptation dans un contexte économique de plus grande concurrence avec les pays voisins, comme l´Espagne et les Pays-Bas, dont l´élevage caprin se modernise rapidement.
©D. R.

Légende - Fromages de chèvre : goûtez leurs différences
En 1984 et 1985, une campagne collective de promotion des fromages de chèvre avec l´acteur Claude Piéplu à la télévision.





Article extrait de « Les grandes mutations de l´élevage caprin en France au 20e siècle ».

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