[La météo de Serge Zaka] Sorgho, maïs et changement climatique : que disent les données scientifiques ?
Face aux changements climatiques, l'agriculture française a-t-elle intérêt à introduire de nouvelles espèces telles que le sorgho. Eléments de réponses à travers des résultats scientifiques rapportés par l'agroclimatologue Serge Zaka, pour la société ITK.
Face aux changements climatiques, l'agriculture française a-t-elle intérêt à introduire de nouvelles espèces telles que le sorgho. Eléments de réponses à travers des résultats scientifiques rapportés par l'agroclimatologue Serge Zaka, pour la société ITK.
Dans le contexte actuel d’évolution du climat et d’accélération des aléas climatiques intenses, l’agriculture française évolue pour rester productive. Deux grandes voies sont envisagées :
- Garder les mêmes espèces tout en faisant évoluer des techniques culturales : nouvelles variétés, modification des pratiques agricoles (date de semis, irrigation, non labour etc.). Cela suggère une adaptation constante des agriculteurs et de la Recherche tout au long du siècle.
- Introduire de nouvelles espèces plus adaptées à un climat futur en prenant des génétiques présentes à des latitudes inférieures. Cela suggère la création de nouvelles filières et l’apprentissage de la conduite d’une nouvelle culture.
Très présent en Afrique et en Amérique du Nord mais encore marginal en France, le sorgho remplit les critères de la deuxième voie. C’est pourtant la cinquième céréale la plus cultivée au monde (derrière le maïs, le blé, le riz et l’orge). Face aux sécheresses répétées, son intérêt est croissant en France. Il est de plus en plus présent dans notre hexagone et les axes de recherche se multiplient à son sujet.
Dans cet article, à partir de résultats scientifiques, nous allons voir l’importance du sorgho dans ce contexte d’évolution du climat. Nous n’aborderons pas les problématiques de créations de filière et d’apprentissage de nouvelles pratiques agricoles.
Le climat fait baisser les rendements en France
L’eau : entre excès et manque
D’après les dernières expertises du G.I.E.C., la France se situe dans une zone intermédiaire quant à l’évolution des précipitation annuelles. Généralement stables sur l’ensemble de l’année (figure 1), c’est la réparation des précipitations au sein des saisons qui va fortement évoluer. Ainsi, la hausse des précipitations hivernales (figure 2) va compenser la baisse des précipitations estivales (figure 3).
C’est tout de même à nuancer, puisque ces précipitations hivernales, plus intenses, seront moins efficaces pour les sols. Pour la majorité des cultures française, les périodes de remplissage de grain - entre juin et septembre - va donc être conjuguée à une sécheresse estivale plus marquée impliquant une baisse des rendements dans les zones les plus impactées.
Figure 1 – Evolution des cumuls annuels de précipitations d’ici la fin du siècle pour un scénario de réchauffement intermédiaire.
Figure 2 – Evolution des cumuls de précipitations (octobre à avril) d’ici la fin du siècle pour un scénario de réchauffement intermédiaire.
Figure 3 – Evolution des cumuls de précipitations (mai à septembre) d’ici la fin du siècle pour un scénario de réchauffement intermédiaire.
La température : moyennes et extrêmes
Au niveau de la température moyenne, pas de surprise. Selon les scénarios intermédiaires, la température devrait monter de +2 à +4°C en moyenne sur l’année en France (figure 4) avec des pics de chaleur (>35°C) beaucoup plus nombreux jusqu’à 20 jours de plus par an dans le sud-ouest de la France (figure 5). Jamais mesurés au cours de 20e siècle, les 45°C devraient être atteints une année sur trois. Les 50°C pourraient être approchés voire dépassés dans la deuxième moitié du XXIème siècle.
Figure 4 – Evolution des températures moyennes en France d’ici la fin du siècle.
Figure 5 – Evolution du nombres jours où la température est supérieure à 35°C d’ici la fin du siècle.
Le sorgho résiste davantage aux hautes température
Des températures supra-optimales
L’évolution à la hausse des températures va entraîner un dépassement plus fréquent des températures supra-optimales des cultures. C’est-à-dire que le fonctionnement des enzymes, protéines favorisant les réactions chimiques et donc la croissance du végétal, sera fortement altéré. Ce phénomène est appelé : la dénaturation des protéines. Une explication détaillant ces courbes de réponses à la température a été donnée dans un précédent article.
Les données de la figure 6 sont tirées de l’excellent papier de Parent et Tardieu (2012). Elles représentent les courbes de réponse à la température de la croissance et de développement des cinq céréales les plus cultivées au monde. On y voit la courbe du sorgho se différencier nettement de celle du maïs, du riz, du blé et de l’orge. La température optimale de croissance du sorgho est proche de 33°C tandis que celle du maïs et du riz est autour de 30°C puis celle de l’orge et du blé autour de 27°C. Ainsi, les protéines du sorgho ont une température de fonctionnement optimale plus élevée que les quatre autres cultures.
La conclusion est claire : en conditions hydriques non-limitantes, le sorgho est largement plus résistant aux hautes températures que les quatre autres céréales les plus cultivées au monde. Ainsi, il sera plus résistant à l’augmentation des températures (figure 4) et l’accentuation des pics de chaleur (figure 5). Par exemple, à 35°C, le pollen du maïs est stérile et ne féconde plus les fleurs. Le sorgho n’aura pas cet inconvénient.
Figure 6 – Comparaison des vitesses de croissance et de développement des cinq céréales les plus cultivées au monde.
Un stress hydrique marqué
Le sorgho a une saison culturale plus courte
Contrairement à une idée reçue, le maïs a besoin de moins d’eau que le blé pour pousser. Cependant, sa période de croissance s’étale sur l’ensemble de l’été. L’évapotranspiration étant plus importante sur cette période, il faut compléter le manque estival d’eau par l’irrigation. La période de croissance du sorgho s’étale également sur l’ensemble de l’été pourtant, lorsqu’on considère l’ensemble de la saison culturale, parmi les quatre céréales du tableau 1 issu de la FAO, c’est la culture qui a le moins de besoin en eau. Cela est notamment dû à une saison culturale plus courte mais également à de nombreux autres facteurs que nous allons aborder.
Cultures |
Durée de la période culturale (jours) |
Besoins en eau sur l’ensemble de la période culturale (mm) |
Riz |
90-150 |
450-700 |
Maïs |
125-180 |
500-800 |
Orge |
120-150 |
450-650 |
Blé |
120-150 |
450-650 |
Sorgho |
120-130 |
450-650 |
Tableau 1 – Comparaison de la durée de période culturale et des besoins en eau pour les cinq céréales les plus cultivées au monde.
Le maïs et le sorgho, deux cousins inégaux face aux fortes chaleurs
Comparons maintenant deux espèces « cousines » : le maïs et le sorgho. Celles-ci sont, de plus, cultivées durant l’été et sont en C4. Plusieurs études pointent une efficience de l’utilisation de l'eau voisine pour les deux espèces dans des conditions hydriques non limitantes (40 kg MS/mm/ha). Cependant, le sorgho se distingue du maïs en situation hydrique stressante. Son efficience d’utilisation de l’eau est plus importante que le maïs durant les sécheresses (Figure 7). Ainsi, en stress hydrique modéré à fort, le rendement du sorgho est meilleur que celui du maïs. Ainsi, en condition estivale, avec l’accentuation des sécheresses (figure3), le sorgho a un potentiel de rendement plus important que le maïs.
Figure 7 – Comparaison de la relation rendement – irrigation totale pour le maïs (point blanc) et le sorgho (point noir). Ce graphique est tiré de la publication de Farré et Faci (2006). L’étude a été réalisée en milieu méditerranéen.
L’explication de cette caractéristique est multifactorielle : résistance à la chaleur, durée de croissance plus courte, meilleure gestion du potentiel osmotique et de la régulation stomatique, meilleur profil racinaire (géométrie, architecture, densité, ramification, profondeur, meilleure extraction de l’eau) et meilleures caractéristiques foliaires (couche lipidique en surface, faibles teneurs en potassium).
L’enjeu de l’eau, juge de paix dans la sélection des variétés
Dans le contexte d’augmentation des températures et d’accentuation des stress hydriques estivaux, le sorgho est incontestablement un très bon candidat. Il offre une opportunité pour le territoire où les réserves en eau sont faibles au cours de la saison estivale. Son intérêt devrait devenir croissant au fil des années pour réduire la pression en eau à l’échelle d’un territoire.
Les 12 et 13 octobre prochains, se tiendra à Toulouse la troisième édition du Congrès Européen du Sorgho animé par Marie-Cécile Damave. Plus de 250 participants sont attendus de toute l’Europe et au-delà, représentant l’ensemble de la filière sorgho. Le congrès sera dédié à l’aval de la filière et à la mise en avant de débouchés d’avenir dans l’alimentation animale, l’alimentation humaine et l’industrie. Ce thème sera au centre de 3 ateliers qui auront lieu le 12 octobre de 14h à 18h : Génétique & sélection variétale, Agronomie & techniques culturales, Transformation & valorisation industrielle.
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