Une perte sensible d’efficacité économique pour un système broutards dans la Nièvre
Michel et Sophie Durand conduisent à Ougny dans la Nièvre, un système herbager avec 165 vêlages et vente de broutards lourds. À cause de la succession d’années sèches, le rapport EBE sur produit brut se dégrade, alors que les résultats techniques restent impeccables.
Michel et Sophie Durand conduisent à Ougny dans la Nièvre, un système herbager avec 165 vêlages et vente de broutards lourds. À cause de la succession d’années sèches, le rapport EBE sur produit brut se dégrade, alors que les résultats techniques restent impeccables.
À Ougny, dans le Bazois, Michel Durand s’est installé en 1982 en EARL, puis a créé le Gaec du Lac en 2001 avec sa femme Sophie. Ils travaillent avec leur fils Baptiste, actuellement salarié sur l’exploitation et chez un voisin. Le troupeau charolais compte 165 à 170 vêlages. Les résultats techniques du Gaec sont très réguliers et de très bon niveau. Cependant, les éleveurs constatent ces dernières années une dégradation de l’efficacité économique de leur exploitation. Les sécheresses qui se répètent tous les ans depuis 2018 représentent des surcoûts importants et beaucoup de travail en plus. Les éleveurs estiment à quatre heures par jour le temps nécessaire en période d’été pour distribuer foin et eau à tous les lots. Des conduites d’eau étaient déjà installées dans une bonne partie des prés, et de nouvelles ont été récemment aménagées. Des bacs en ciment supplémentaires ont été achetés. Jusqu’en mars, quatre grandes parcelles étaient alimentées en eau par des sources mais celles-ci se sont taries au 20 juin.
L’élevage était autonome en fourrages. Mais depuis deux ans, dès qu’une opportunité se présente pour acheter du foin sur pied, les éleveurs la saisissent. Le Gaec du Lac en a acheté cette année 62 tonnes. « Quand on fait nous-mêmes le foin, on maîtrise la qualité », explique Michel Durand. Du foin a été apporté aux vaches qui sont suitées de mâles depuis le 20 juillet cette année. Il est amené à la dérouleuse. « Nous préférons venir tous les jours et dérouler au sol car sinon elles gaspillent et c’est toujours les mêmes qui mangent », observent les éleveurs. Mi-octobre, elles avaient déjà avalé 120 tonnes de foin, et 50 tonnes de paille disposées à volonté dans des râteliers.
Les besoins en paille ont d’ailleurs augmenté de 150 tonnes par an par rapport à avant, car elle entre dans l’alimentation des bovins et une partie des animaux est rentrée plus tôt (donc les besoins en paille de litière augmentent).
« Cela va crescendo et a une incidence sur le moral, explique Sophie Durand. Car nous avons en parallèle toujours traqué les petites économies (changement de comptable, point sur les assurances, recherche de tarif pour les carburants…) et aujourd’hui on ne trouve plus comment encore compresser les charges. »
Des efforts pour maintenir les performances animales
Depuis ces années sèches, les éleveurs rentrent des bêtes moins en état, mais leur santé et les performances de reproduction ont été maintenues car beaucoup d’efforts ont été faits pour cela. Par exemple, une complémentation en bêtacarotène est maintenant apportée aux femelles pendant la reproduction, car elles consomment moins de fourrage vert. Un flushing est réalisé à partir de trois semaines avant le début de la reproduction et pendant encore un mois (un kilo de concentré supplémentaire par jour).
« Depuis quatre ans, la préparation des vaches au vêlage a été repensée suite à une formation suivie sur ce thème, et ceci a apporté beaucoup de progrès », retrace Sophie Durand. Les concentrés et minéraux sont distribués à partir de quinze jours avant le vêlage (au lieu de trois semaines après le vêlage auparavant). Un apport systématique de magnésium est réalisé, et les vaches sont vaccinées contre les diarrhées des veaux. Résultat : aucun veau n’a déclaré de pathologie digestive dans l’hiver depuis trois ans. Plus en amont, un travail sur la génétique du troupeau avait été fait. « Depuis une dizaine d’années, nous achetons uniquement des taureaux de monte naturelle issus de souches d’insémination à vêlage facile, non porteur du gène culard, qui en même temps ne détériorent pas la qualité de la carcasse », précise Sophie Durand. Neuf ou dix taureaux de monte naturelle sont employés pour la reproduction. Entre 12 et 15 % des veaux sont issus d’IA : seules les génisses sont inséminées. « Le troupeau a vite progressé et il n’y a plus de problème de vêlages. » À peu près 10 % des vêlages sont aidés, et deux à quatre césariennes interviennent en général sur les 170 naissances. « On n’a qu’à surveiller les vêlages. C’est beaucoup moins de fatigue. » La mortalité des veaux a été sensiblement réduite (1,8 % de mortalité en 2019) et leur croissance est meilleure.
Huit à dix naissances par jour en décembre et janvier
Les performances de reproduction sont elles aussi idéales, avec un IVV moyen de 366 jours en 2019. Autour de 190 femelles sont mises à la reproduction pour avoir 165 à 170 vêlages bien groupés. Quatre-vingts pour cent de la repro se passent en stabulation. Les vaches sont triées à cette occasion (un taureau avec 14 vaches dans la plupart des cas). Les taureaux sont retirés entre le 15 et le 20 juin, et les vêlages interviennent pour 80 % d’entre eux de début décembre à fin janvier. Il y a ainsi pendant cette période huit à dix naissances par jour. Les dates de saillie ayant été notées, et les vaches allotées en fonction de leur date présumée de vêlage, c’est case après case que les naissances interviennent. Cette période est très exigeante pour les éleveurs, avec beaucoup de temps passé à la surveillance des petits veaux. Puis les naissances suivantes se répartissent jusqu’à fin mars.
Les vaches reçoivent au début de leur hivernage du foin avec des céréales, un mélange de tourteaux à 40 % de protéines et des minéraux, puis passent à l’ensilage d’herbe le matin à partir de début janvier, quand beaucoup de veaux sont nés (avec du foin le soir). Les veaux grignotent à partir de l’âge d’un mois du maïs grain entier acheté, et au lâcher ils en consomment environ 500 grammes par jour.
La sortie au pré des animaux intervient vers le 10 avril, car la portance des sols ne le permet pas plus tôt. Le Bazois est constitué de terres argilo-calcaires très humides. Les parcelles sont toutes groupées à part un îlot de 30 hectares situé à six kilomètres du siège. Les veaux mâles sont complémentés au nourrisseur, mais pas les femelles. Les génisses présumées pleines sont réparties en trois lots avec un taureau de rattrapage.
« Le pâturage n’est pas tournant, mais le chargement est fort au printemps, et chaque lot récupère une parcelle de repousse derrière fauche vers le 10 juin, explique Baptiste Durand. 45 % de la surface en herbe est fauchée : 27 ha d’ensilage d’herbe et 65 ha de foin. La récolte de foin a été normale ici cette année (5 à 6 tMS/ha en première coupe). Mais depuis deux ans, il n’y a pas de repousse après les fauches. » Il y a quinze hectares de ray-grass hybride et trèfle violet, et six hectares de luzerne. Les autres surfaces sont des prairies naturelles.
Toutes les ventes au marché au cadran situé à 13 km
La plupart des mâles sont sevrés le jour où ils sont vendus. Ils sont prêts plus vite depuis quelques années, car ils consomment davantage de concentrés à cause de la sécheresse. Ils étaient à 415 kg vif de moyenne en 2018, puis 428 kg en 2019 et 444 kg en 2020. Les trois quarts des ventes de mâles interviennent depuis trois ans entre fin août et mi-septembre. Tous sont vendus au marché au cadran de Moulins-Engilbert, situé à une dizaine de kilomètres du siège de l’exploitation.
Les 80 laitonnes sont sevrées début août pour soulager leurs mères, soit un mois plus tôt que « normalement ». Elles reçoivent à partir de ce moment 2,5 kg par jour du même concentré que les mâles et du foin à volonté. Elles ressortent après une période de deux semaines en stabulation ; elles ont cependant dû être hivernées dès début octobre cette année car elles pataugeaient un peu dans les prés après les fortes pluies de septembre. Les femelles non gardées pour la repro sont vendues au marché au cadran elles aussi, vers l’âge d’un an, en février.
La majeure partie des vaches de réforme sont vendues en catégorie « maigre » mais en bon état, souvent à un mois de l’abattage. Au lâcher, un tri est effectué parmi les plus vieilles et les cas spéciaux avec un veau de 4 ou 5 mois. Les vaches vides et celles qui n’ont pas de veau à élever prennent rapidement la route de Moulins-Engilbert.
L’année 2020 sera encore moins bonne
Chiffres clés
Une fabrique d’aliment et de la féverole
La féverole occupe depuis quelques années trois ou quatre hectares. « Elle contient 28 % de protéines et le rendement a été de 35 quintaux cette année. La féverole permet d’acheter 10 % de moins de correcteur azoté à 40 % (un mélange de tourteaux) », calcule Michel Durand. La féverole est aplatie, et représente au maximum 15 % de la ration. « Sinon les vaches renâclent, car ce n’est pas appétent. » Les éleveurs ont investi dans une fabrique d’aliment qui tourne tous les jours en hiver pour faire 500 kg de mélange de concentrés.
La complémentation des veaux mâles est constituée de maïs grain acheté (60 tonnes), avec de la pulpe et un mélange de tourteaux à volonté. « Auparavant, on les rationnait en distribuant au seau tous les jours. Pour rendre le travail moins pénible, nous avons acheté un container avec système de pesée qui se déplace sur la fourche du télescopique. Ils sont à volonté désormais. »
Avis d’expert - Frédérique Marceau, chambre d’agriculture de la Nièvre
"Les charges supplémentaires dues aux sécheresses ne sont pas compensées par les indemnités"
"La méthode de calcul et de présentation des résultats économiques utilisée dans notre département aboutit au calcul de l’EBE avant salaire, qui lui seul peut refléter sans biais l’efficacité technico-économique de l’entreprise. L’EBE doit ensuite satisfaire aux missions suivantes : remboursement des annuités long et moyen termes, des frais financiers court terme, rémunération de la main-d’œuvre salariée et revenu disponible des exploitants pour prélèvements familiaux et autofinancement.
Le rapport EBE/produit brut était d’un très bon niveau en 2017 (39,5 %). Il traduisait une bonne, voire une très bonne maîtrise de tous les facteurs qui construisent l’économie de l’exploitation. La conduite du cheptel, avec des performances animales d’un très bon niveau et une fibre animalière particulièrement prononcée chez Sophie et Michel Durand, combinée à une maîtrise des charges opérationnelles et de structure, permettaient d’aboutir à ce bon résultat.
Les rapports EBE/produit brut des exercices 2018 et 2019 (36,3 %) se sont dégradés, comme dans la plupart des exploitations que nous suivons. Les sécheresses 2018 et 2019 ont engendré des charges supplémentaires (alimentation, paille, carburants, eau,….) non intégralement compensées par les indemnités calamités perçues. Par ailleurs, de façon plus générale, la tendance est une augmentation régulière des charges tandis que les produits d’activité (animaux, cultures) et les aides compensatoires stagnent.
À résultats techniques identiques, il ne faut malheureusement pas attendre mieux de 2020, avec une nouvelle sécheresse marquée, et une baisse conséquente du prix des broutards : ils ont été vendus en moyenne à 2,38 €/kilo vif en 2020 contre 2,50 €/kilo vif en 2019 et 2,68 €/kilo vif en 2018."