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Marchés mondiaux
Un changement de polarité des marchés

Les flux mondiaux ont repris en 2016 avec une demande asiatique qui repart de plus belle, une augmentation des importations en bovins vivants par les pays du pourtour méditerranéen et un retour offensif des Américains.

« Depuis 2008, on constate un très difficile retour de la croissance des échanges. Après la rupture de 2014-2015, une petite recrudescence des flux s’est opérée avec une asymptote en valeur qui reste autour de 6 %. Autre fait marquant : le changement de polarité des échanges. Le Mercosur et les États-Unis ont relancé leurs exportations mais les orientent de plus en plus vers l’Asie du Sud et de l’Est qui concentre l’essentiel de l’expansion. L’Océanie est, quant à elle, plutôt en retrait. En 2017, par ailleurs, la politique s’impose plus que jamais et régit les échanges mondiaux de viande bovine », a résumé Philippe Chotteau, chef du département économie à l’Institut de l’élevage au cours de la conférence organisée par l’Institut de l’élevage sur les marchés mondiaux de la viande bovine.

L’Inde, premier exportateur mondial en 2016, mais dont les expéditions sont en recul depuis deux ans en raison de la politique fédérale, en est l’exemple parfait. L’interdiction fédérale des marchés de tout bétail pour l’abattage, en date du 26 mai 2017, pose par ailleurs problème aux marchés indiens. L’élection de Donald Trump et l’arrêt des négociations concernant l’accord de libre-échange entre États-Unis et Europe, la dénonciation de l’accord de libre-échange entre Canada et Union européenne, le scandale sanitaire et politique chez JBS (Brésil), l’un des leaders du marché mondial de viande bovine, « la guerre » des parités monétaires et le « retour des conflits régionaux »… sont autant d’évènements marquants des marchés mondiaux. « Globalement, même si on constate une augmentation de la consommation de viande bovine à l’échelle de la planète, on se trouve face à des incertitudes mondiales plus vives que jamais. Le seul pays qui tire son épingle du jeu est la Chine », souligne Philippe Chotteau.

Une demande chinoise qui ne faiblit pas

La Chine continentale, aux autorités sanitaires jusqu’alors très regardantes, s’ouvre chaque jour davantage pour limiter les hausses de prix sur son marché intérieur et répondre à la demande en viande bovine que la hausse de production locale ne suffit pas à satisfaire. Ainsi, les importations chinoises à travers Hong-Kong et la Chine continentale ont progressé de 16 % pour atteindre 1,15 million de téc en 2016. Le Brésil, sous embargo entre fin 2012 et mi-2015, est devenu en 2016, le premier fournisseur officiel du pays, devant l’Uruguay et l’Australie (1er exportateur en 2015). Le scandale de la viande avariée brésilienne ne semble pas avoir eu d’impacts sur l’export brésilien du premier semestre 2017. L’agrément de 14 abattoirs indiens début 2017 pour exporter de la viande bovine directement en Chine, la levée des dernières restrictions à l’importation de viande australienne en mars 2017, l’acceptation de la viande canadienne désossée… sont autant de démonstrations d’une plus large ouverture de la Chine, à la fois par la liste élargie des pays autorisés et la gamme plus étendue de produits.

D’autres pays (Afrique du Sud, Irlande, États-Unis) ont également vu des barrières se lever, sans portée pratique immédiate. L’arrivée sur le marché chinois de viande américaine risque de concurrencer les expéditions australiennes haut de gamme. La viande bovine française est également concernée avec la levée de l’embargo ESB en février 2017.

« La route est encore longue pour voir de la viande bovine française sur les étals chinois. Il y a encore de nombreuses étapes à parcourir avant un export possible. Deux à quatre ans seront encore nécessaires avant d’obtenir une ouverture forcément partielle (viande de bovins de moins de 30 mois, viande désossée, pas de coproduits). On y arrivera par une politique des petits pas. Toutefois, des investissements pourraient favoriser une issue positive. Exemple, la Hollande qui a émis un projet de développement de structure physique en Chine et a obtenu en parallèle un gros contrat d’export. Il ne faut pas avoir peur des investissements chinois, ils peuvent faciliter les choses. En revanche, la faible dimension des unités françaises d’abattage et de transformation limitera les volumes de viande exportables car la Chine n’agrémente qu’un nombre réduit d’entreprises. Or, plus elles sont importantes, plus les quantités exportables seront élevées. Une certitude, la Chine s’ouvre très rapidement et cela n’a pas été anticipé », rapporte François Blanc, chef de mission export à FranceAgriMer.

Forte hausse des demandes en Asie du Sud et de l’Est

Une nouvelle tendance semble par ailleurs se dessiner en Chine avec l’arrivée d’animaux vivants prêts à abattre. « De nombreux investissements sont en cours dans les ports chinois pour accueillir ces animaux et deux accords ont été signés pour exporter des centaines de milliers de bovins vivants. Des investissements croissants à l’étranger sont également consentis, notamment en Australie et Nouvelle-Zélande », observe Jean-Marc Chaumet du département économie de l’Institut de l’élevage. Dans les autres pays de l’Asie du Sud et de l’Est (Vietnam, Japon, Corée du Sud), la production locale insuffisante ne permet pas de satisfaire une demande en progression. Les importations prennent donc une place grandissante dans l’offre proposée aux consommateurs, poussées par l’ouverture accélérée en 2015 et 2016 de ces pays à travers les levées des embargos liés à l’ESB.

« La consommation européenne diminue, nous n’avions pas le droit de fermer les yeux sur les pays tiers. Nous avons choisi de travailler sur l’Asie. Aujourd’hui, c’est 1 % de notre activité globale », rapporte Hervé Puigrenier, président des établissements Puigrenier à Montluçon, avant d’ajouter, « la concurrence y est féroce. Un travail est à faire sur notre produit. C’est à nous de nous adapter à la demande et de trouver l’équilibre matière. La viande française, ça ne suffira pas ! Nous sommes la première entreprise française à avoir foulé le sol japonais en 2013. Aujourd’hui, avec 39 % de taxes, la viande française se trouve au même prix que la race Wagyu. Le marché asiatique est un marché de longue haleine. Nos exports au Japon commencent seulement à décoller (20 tonnes début 2017, faux filet, entrecôte, rumsteck). Il est important également de trouver un bon distributeur. Et la signature d’un accord de libre-échange avec le Japon pourrait nous rendre hyper compétitifs. »

Une demande au Moyen-Orient contrastée

La demande au Moyen-Orient et en Afrique du Nord a été plus contrastée. La demande de la rive Sud de la Méditerranée est pénalisée par le bas prix du pétrole et du gaz (Algérie), par la crise politique (Lybie) et par la crise économique profonde en Égypte. À l’inverse, la demande en bovins vifs a fortement augmenté en Israël, en Jordanie et surtout en Turquie. « En 2016, la somme des importations des pays du pourtour méditerranéen a progressé de 44 %, à 1,54 million de têtes. L’Europe est très présente avec la moitié des bovins vivants importée sur cette zone et est en concurrence directe avec le Brésil et l’Uruguay. En Turquie, les importateurs sont très divers, alors que l’Algérie est très dépendante de la France. Les importations de viande se sont quant à elle stabilisées. Sur ce marché, on retrouve plutôt le Brésil et l’Inde », note Margaux Daniel de l’Institut de l’élevage. « En proie à des difficultés économiques, Israël change sa stratégie fondée sur une production locale et offre des opportunités aux exportateurs européens de vifs et de viandes. L’Égypte avec une population en forte croissance représente également un marché intéressant pour l’Europe, notamment en vif », souligne Germain Millet de l’Institut de l’élevage.

Les opérateurs de l’Amérique du Sud (Argentine, Paraguay, Brésil et Uruguay) privilégient l’export qui a progressé de 3 % (+ 85 000 téc). « Une réorientation des exports est toutefois à noter. La Chine est devenue le principal débouché de la viande sud-américaine. Les exportations se développent aussi au Moyen-Orient et en Israël notamment. L’année 2017 devrait voir une présence grandissante de la viande bovine d’Amérique latine sur le marché mondial, avec toutefois une interrogation liée aux effets du scandale de la viande avariée et de la corruption de la direction de JBS au Brésil », explique Sébastien Bouyssière du département économie de l’Institut de l’élevage.

La production et les exportations de l’Océanie qui se sont repliées en 2016, après une année 2015 record, ont laissé le champ libre sur le terrain asiatique aux États-Unis, qui ont facilement écoulé leur hausse de production, signant ainsi un retour offensif de la filière exportatrice étatsunienne qui cherche à s’ouvrir de nouveaux marchés.

Une concurrence féroce sur les marchés mondiaux

Trouver l’équilibre dans les accords de libre-échange

Si l’avenir de la viande bovine est dans l’export alors il est indispensable de s’inscrire dans des accords de libre-échange qui d’ailleurs, se multiplient. « On ne pourra pas les empêcher. Dans l’Union européenne, une majorité d’États membres y est favorable en raison d’une multitude d’enjeux. L’important étant que dans l’ensemble, les perdants et les gagnants ne soient pas toujours les mêmes. Il faut s’inscrire dans un ensemble d’accords pour qu’au final, un équilibre soit trouvé entre les différentes filières. Certes, la viande bovine et la viande de porc ont payé pour les fromages et la reconnaissance des IGP dans l’accord entre l’UE et le Canada (CETA - voir n° 246 – avril 2017). Il est donc essentiel d’arriver à une conclusion avec le Japon puisque la viande bovine a, là, des intérêts offensifs. Par ailleurs, dans le cadre d’accords aux impacts négatifs, il faut déployer une panoplie pour y remédier. Ainsi, avec le Mercosur, rien ne nous empêche de jouer sur la catégorisation de la viande ou sur le respect de la présentation naturelle des carcasses pour éviter que le Brésil ou l’Argentine n’ait le choix des découpes », note Jean-Luc Mériaux, secrétaire général de l’UECBV (Union européenne du commerce du bétail et de la viande). « Sans accords commerciaux, il est très difficile de faire du commerce avec certains pays (États-Unis par exemple) », regrette Karl Walsh, attaché agricole à l’ambassade d’Irlande à Paris.

France doit s’imposer sur une image

« Face à la diminution tendancielle de la consommation au sein de l’Union européenne, l’exportation est indispensable à l’équilibre de la filière bovine », affirme Emmanuel Bernard, président de la commission du commerce extérieur d’Interbev, avant de poursuivre, « on a une tradition d’export sur l’Europe, notamment sur l’Allemagne, l’Italie et la Grèce mais demain on doit voir si on a la capacité d’aller au-delà. On est peu connu, passé les frontières européennes. C’est à nous d’aller nous imposer, d’instaurer la confiance et de nous faire connaître. » Dans cette optique, l’interprofession peut désormais communiquer sous une même bannière « French beef, a taste of terroirs », lancée au dernier Salon de l’agriculture et continuer de mener des actions ciblées sur les pays où la filière est susceptible de trouver des intérêts à s’implanter. En 2017, l’Asie du Sud-Est, le pourtour méditerranéen et le Moyen-Orient représentent les zones visées prioritairement avec des actions menées en Algérie, en Egypte, en Turquie, en Syrie, en Arabie-Saoudite, en Iran, en Chine, au Vietnam et à Honk-Kong.

« Sur ces marchés, la concurrence prix est rude. Il nous faut donc d’autres arguments, à commencer par notre grande tradition d’élevage allaitant et notre production d’abats à la traçabilité précieuse. Notre objectif est de mettre la viande dans une filière d’excellence, en partant du constat que puisque notre gastronomie est au patrimoine de l’Unesco, les produits utilisés ne peuvent être que de qualité. Il faut s’imposer sur une image. »

Focus sur l’export de bovins vifs français sur pays tiers

« Le marché de l’export de vif est très fragile. Cependant, par jeux de compensation avec les différents pays importateurs, on peut avoir un bilan positif. En 2016, en effet, malgré l’arrêt des exports de la France vers la Turquie, nous avons repris des parts de marché sur l’Italie dans la mesure où l’Irlande et les pays de l’Est se sont reportés sur la Turquie. La situation actuelle est plus compliquée avec cette dernière toujours fermée de même que l’Algérie depuis deux mois. Par contre, nous plaçons des espoirs sur l’Iran (certificat signé pour l’export de reproducteurs et d’animaux vifs) où le potentiel est important mais où un problème d’embargo bancaire se pose. L’ouverture du marché israélien est également une bonne nouvelle », souligne Michel Fénéon d’EuroFeder (235 000 bovins exportés/an). Ce marché recherche des animaux légers de moins de 12 mois. Toutefois, la concurrence est rude (Australie, Portugal, pays de l’Est). À cela s’ajoute de nombreuses contraintes sur les marchés du vif (Europe, Maghreb, Est méditerranéen – Égypte, Israël, Turquie, Iran, Liban, Lybie). Elles peuvent à la fois être techniques (poids et âges des animaux), sanitaires, tarifaires, réglementaires, logistiques et bien entendu politiques. « La quarantaine imposée en Égypte avant l’expédition des animaux en est un exemple parfait. Même si, nous venons d’obtenir un certificat pour l’engraissement, nous considérons ce marché comme fermé. Cette quarantaine représente effectivement un risque que nous ne pouvons soutenir car si un évènement sanitaire se produit pendant ce laps de temps, la transaction est annulée. Nous avons besoin de créer une assurance pour compenser les pertes liées au non-départ des animaux », rapporte Benoît Albinet de Deltagro (plus de 200 000 animaux exportés par an)

Adapter l’offre à la demande

« La FCO bloque le dynamisme de l’export français car, si l’Italie accepte des animaux 10 jours après vaccination, nombreux sont les pays qui ne les admettent que 60 jours après », souligne Benoît Albinet. La FCO, selon les exportateurs, n’est pas le seul défi de la France pour exporter du vif. « Nous devons également adapter notre offre en fonction de la demande, principalement en produisant des animaux moins lourds. Notre administration doit également être moins contraignante, plus souple et réactive. Les Espagnols sont très forts sur ce sujet. Nous sommes obligés par exemple de passer par leur intermédiaire pour se faire payer lorsque l’on exporte en Lybie. Ils disposent en plus d’un système d’engraissement très performant qui leur permet de nous concurrencer, sur nos marchés exports, avec des JB produits à partir de petits veaux laitiers français ! Il me semble par ailleurs important de valoriser le travail sur le bien-être effectué dans les cheptels allaitants », estime Michel Fénéon.

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