Turquie : un marché à fort potentiel mais faible lisibilité
La Turquie a d’importants besoins en viande bovine, qui seront durables dans le temps. Cependant, le pays est à
la recherche d’un équilibre entre le soutien aux producteurs, l’autonomie nationale en viande, et le maintien d’un niveau acceptable du prix de la viande pour les consommateurs.

Depuis 2001, la Turquie est en profonde transformation. Les investissements dans la filière viande sont de plus en plus importants », a expliqué Murat Yörük, président de la fédération turque des producteurs et industriels du lait et de la viande turcs (SETBIR), à l’occasion de l’assemblée générale de l’Union européenne du commerce du bétail et de la viande (UECBV) qui s’est tenue à Izmir en septembre. « Il existe une complémentarité entre la Turquie et l’Union européenne dans le secteur bétail et viande et les deux parties souhaitent approfondir leur coopération. »
Si la filière viande bovine turque repose d’abord sur l’abattage des vaches de réforme laitières, des ateliers spécialisés d’engraissement de grande taille se développent, essentiellement sur le littoral, intégrés à des entreprises d’abattage et/ou de distribution. Un atelier de 48 000 places fait figure d’exception, mais il existe aussi un atelier de 25 000 places, un de 15 000 places et puis environ une dizaine d’autres de plusieurs milliers de places. Ils sont situés près des métropoles de l’Ouest du pays. Rappelons qu’Istanbul compte environ 16 millions d’habitants…
Un savoir-faire, une capacité d’investissement…
Les professionnels turcs ont le savoir-faire, un climat favorable, la capacité d’investissement et possèdent la fibre de l’engraissement. Même si le taux de croissance du PIB a fortement ralenti depuis deux ans (2,2 % en 2012), il a été très important à plus de 7 % par an depuis 2002 et la population est jeune.
La productivité des élevages est en moyenne trois fois moins forte qu’en Europe, mais elle ne cesse d’augmenter. Les poids de carcasse moyens, autour de 200 kilos, ont par exemple augmenté de 20 % sur ces dernières années. « Nous voulons encore améliorer le niveau de productivité en viande des animaux », expliquait Tunç Tuncer, directeur général de Pinar Meat, un grand groupe industriel engagé dans la filière devant l’UECBV. Et l’adoption du classement des carcasses apporterait un progrès important pour la valorisation des animaux. Cependant, les coûts de production, surtout alimentaires, sont très importants. « Il est essentiel de valoriser au maximum les matières premières que nous produisons, mais nous avons besoin de subventions pour les cultures fourragères et pour la réhabilitation des prairies de l’Est du pays. » Il est certain que la filière fera le maximum pour essayer d’améliorer l’autonomie alimentaire des élevages, mais la tâche sera rude. La Turquie n’est autosuffisante qu’à hauteur de 50 % pour le tourteau de soja notamment. « Et le pays produit 14 millions de tonnes d’ensilage de maïs, mais on ne pourra pas répondre à la demande qui devrait s’élever à environ 18 millions de tonnes dans deux ans. Il y a énorménent de demandes et pas assez de semences de maïs », explique Dr Alper Önenç, professeur à l’université de Thrace.
Le gouvernement turc veut soutenir les éleveurs traditionnels
Le cheptel bovin turc se compose de 4,5 millions de vaches laitières de race pure - très majoritairement Holstein et aussi de façon conséquente Brune suisse -, et d’environ autant de vaches laitières croisées. D’autre part, dans différentes régions de Turquie, des races locales sont conduites dans des systèmes extensifs. Ces dernières représentent un peu plus de 2 millions de vaches de race Grise anatolienne, Zavot, Noire native, Jaune du Sud, Rouge anatolienne (de l’Est et du Sud) qui ressemble paraît-il beaucoup à l’Aubrac, ainsi que quelque 107 000 têtes de buffles d’eau.
Malgré une croissance continue de la production, le pays est nettement déficitaire en viande bovine. En 2012, selon l’Institut de l’élevage, 735 000 téc de viande bovine ont été produites dont 50 000 téc issues de bovins importés finis. La consommation intérieure, elle, s’est établie à 761 000 téc.
L’objectif des autorités turques est de développer, parallèlement à ces ateliers de grande taille détenus par des groupes industriels, la production nationale de viande bovine en soutenant les éleveurs traditionnels. Ceux-ci sont extrêmement nombreux, mais on estime à 5 000 le nombre d’exploitations « modernes ». La disparité des structures reste pour ces éleveurs la principale difficulté. La polyculture est de règle et la taille moyenne des exploitations est de 13 hectares. Une bonne partie des abattages ne sont pas déclarés. L’agriculture fait vivre, toutes filières confondues, pas moins de 25 % de la population turque. « Mais la concentration des structures commence cependant à s’affirmer pour des exploitations de 10 à 50 hectares qui représentent 15 % des exploitations. Et près de 20 % des exploitations disposent de l’irrigation », note Stéphane de Tapia, du CNRS.
Sensibilité aux cours des matières premières
Les élevages turcs demeurent cependant globalement fragiles jusque-là. Au moment de la flambée des cours des matières premières en 2007 et 2008, une forte décapitalisation a été observée et deux ans plus tard, la production de viande bovine a fortement baissé. La très forte augmentation du prix de la viande rouge pour les consommateurs qui en a résulté en 2010, a obligé le gouvernement à autoriser l’importation de viande bovine, puis d’animaux vivants. La France a été présente sur ce marché avec des animaux finis de 2011 à fin 2012, et un peu d’animaux maigres, avant de disparaitre des écrans radar pour des raisons politiques et sanitaires, traduites en variations de droits de douane ou en défaut de fonctionnement des protocoles d’échanges. Début 2012, la crise de Schmallenberg a coïncidé avec le projet de loi du gouvernement Sarkozy (aujourd’hui abandonné) sur le génocide arménien. La Turquie n’a plus envoyé officiellement de vétérinaires faisant l’inspection des animaux avant leur expédition et aucune licence d’importation n’était plus délivrée, avant le rétablissement des courant d’échanges quelques semaines plus tard, uniquement pour les animaux finis.
En 2010, le prix du lait et des cours de matières premières moins tendus ont incités les éleveurs à recapitaliser. Mais depuis un an, la situation économique n’est pas favorable à la production de lait avec une explosion du prix de l’aliment (+50 %) face à un prix du lait augmentant faiblement (+3 %) et les statistiques des abattages du dernier trimestre 2012 montrent une augmentation de 26 % par rapport à 2011, selon l’Institut de l’élevage. Des besoins en viande bovine se profilent donc pour l’année 2014. Mais au-delà de ces effets économiques, la politique pèse fortement sur les échanges. Les éleveurs par le biais d’associations exercent une pression sur le ministère. Si l’importation est importante, ils vendent leurs animaux à perte. En revanche, sans import, les abattoirs et les ateliers d’engraissement ne peuvent s’approvisionner en animaux. La filière turque est à la recherche d’un équilibre forcément fragile pour assurer la continuité de la production. Le pays est par ailleurs entré il y a quelques mois, avec les événements dits « du parc de Gezi sur la place Taksim », dans une crise politique très peu médiatisée, mais profonde. Enfin, les évolutions de taux de change avec la livre turque ou encore les changements imprévisibles de statuts sanitaires des différents pays qui fournissent la Turquie rendent ce marché particulièrement difficile à cerner.
Uniquement des animaux vivants de moins de 300 kilos
Toujours est-t’il que depuis début 2013, le gouvernement a interdit l’importation d’animaux vifs prêts à abattre et de carcasses de toute provenance, et il autorise uniquement l’importation d’animaux vivants à engraisser de moins de 300 kilos, vifs (avec des droits de douane de 15 %). Une catégorie d’animaux que la France ne peut guère fournir. « L’Uruguay se positionne très bien sur le marché turc du maigre, car ce pays offre d’excellentes garanties sanitaires et une offre assez bien mise en avant d’animaux moins chers que les animaux européens, explique Fabien Champion de l’Institut de l’élevage. Par contre, ces animaux, qui ont été élevés à l’herbe, prennent parfois trop de gras une fois à l’engraissement et donc ne correspondent pas bien à la demande turque, pour une viande plutôt maigre. » Les Turcs se sont aussi tournés vers le Mexique pour s’approvisionner en maigre, mais des problèmes de traçabilité des animaux sont apparus. L’Australie et la Hongrie sont les deux autres principales sources d’approvisionnement actuelles. La demande en animaux maigres reste élevée. En 2012 comme en 2011, ce ne sont pas moins de 220 000 animaux de 160 à 300 kilos vifs qui ont été importés en Turquie.
Chiffres clés
• Géographie : 785 347 km2 et 75 millions
d’habitants
• Agriculture : SAU : 38,4 millions d’hectares, dont 14,6 de prairies et parcours ; 3 millions d’exploitations d’une surface moyenne de 13 ha ; 10 % du PIB (mais la valeur générée par l’agriculture est équivalente à celle du Royaume-Uni) ; 25 % de la population active ; céréales et produits
de l’élevage, mais surtout des fruits et légumes.
• Cheptel bovin : 12,5 millions de têtes(1)
• Production abattue en 2012 : estimée à 735 000 téc dont 50 000 téc
de bovins finis importés(1)
• Consommation en 2012 : 761 000 téc soit 10,1 kg par habitant(1)
(1) source : Institut de l’élevage
Pour en savoir plus
Voir dossier de Réussir Bovins Viande de novembre 2013. RBV n°209, p. 30 à 41.
Au sommaire :
p. 36 - En attendant de remplir l’atelier d’engraissement…
Près d’Izmir, en Turquie
p. 38 - Pinar Meat : un géant des produits transformés
À Izmir, le site d’abattage et de transformation du groupe turc Pinar Meat
p. 40 - « Depuis quelques semaines, nous percevons des signaux favorables »
Interview de Marc Gesland, MG Trade, exportateur
p. 41 - L’association des éleveurs d’Asmaya rencontre la Limousine
Au Sommet de l’élevage