Transmission des exploitations agricoles : témoignage du premier couple d'éleveurs installé avec Fermes En ViE
Camille Touzeau et Raphaël Marquet, installés depuis deux ans dans les Deux-Sèvres, ont repris la première ferme transmise par la start-up Feve. Le financement participatif qu’elle propose a donné un sacré coup de pouce à l’installation du couple d’éleveurs qui doit, en contrepartie, tenir des engagements agroécologiques.
Camille Touzeau et Raphaël Marquet, installés depuis deux ans dans les Deux-Sèvres, ont repris la première ferme transmise par la start-up Feve. Le financement participatif qu’elle propose a donné un sacré coup de pouce à l’installation du couple d’éleveurs qui doit, en contrepartie, tenir des engagements agroécologiques.
Dans le bâtiment, le troupeau est bigarré, des parthenaises et des bazadaises coexistent, pour le moment, parce que Camille Touzeau et Raphaël Marquet changent peu à peu leurs vaches depuis leur installation en août 2021 sur la ferme de Magnantru, à Périgny, au sud de Niort dans le bocage des Deux-Sèvres. « Nous avons travaillé tous les deux dans cette exploitation comme salariés, explique l’éleveuse. C’est pendant le confinement que nous avons commencé à penser à nous installer. Puis tout est allé très vite… »
Tous deux titulaires d’un BTS production animale et d’une expérience professionnelle solide dans le secteur, ils savent ce qu’ils veulent et épluchent les registres pour trouver une exploitation qui convienne à leur projet. Ils en visitent une première avant de tomber sur l’annonce de la ferme de Magnantru, là où ils se sont rencontrés. « Lorsque nous y étions, le propriétaire avait fait part de son intention de prendre sa retraite », ajoute-t-elle. Le processus suit son cours, ils visitent, se posent la question du prix, le cédant demandait plus de 700 000 euros… « On s’est vraiment demandé si ça valait le coup de s’endetter autant… »
C’est là que Feve prend contact avec le propriétaire et que tout se met en place. Feve, c’est Fermes En ViE, une start-up qui se propose d’intervenir dans les processus d’installation sur des fermes agroécologiques. Simon Bestel, directeur général de la start-up explique le fonctionnement : « l’idée de départ pour nous, c’était de parvenir à aider à accélérer la transition agroécologique et très vite, nous nous sommes rendu compte des difficultés posées par l’installation des agriculteurs dans ce schéma. Avec un obstacle majeur, celui du prix des exploitations à acheter ».
Une transmission conclue en quelques mois
La problématique n’est pas nouvelle et la solution proposée par Feve est donc celle de la « foncière solidaire ». « Jusqu’à maintenant, nous avons récolté des fonds auprès de citoyens, mais nous allons nous intéresser aux investisseurs institutionnels pour que cela nous permette de financer l’achat des exploitations à reprendre », reprend Simon Bestel.
« Avant de le confier à des agriculteurs, nous nous assurons que les candidats ont le profil et l’expérience suffisante pour que le projet soit viable mais aussi qu’ils ont bien la possibilité d’investir dans l’outil de production et seront suivis, pour ça, par les banques. Ensuite, nous assurons un accompagnement durant les trois premières années, nous jouons un rôle de coordination en somme. Nous nous inscrivons parmi les acteurs du territoire, nous travaillons avec les partenaires habituels, Safer, Adear, GAB et la chambre d’agriculture qui assure l’accompagnement technique », précise-t-il encore.
« À partir du moment où le propriétaire a été contacté par Feve, tout s’est enchaîné rapidement, très rapidement, il a parlé de nous et tout s’est enclenché, se rappelle Camille Touzeau. Nous avons commencé le parcours d’installation en février 2021, au même moment que nous rencontrions Feve et nous avons été installés le 1er août, parce que le propriétaire précédent avait annoncé qu’il ne ferait pas un jour de plus après son départ à la retraite, le 1er août… »
« Tendu depuis le début »
Depuis leur installation, le couple d’éleveurs n’a pas chômé, même si les éléments n’ont pas été vraiment de leur côté. La ferme comprend, outre le bâtiment pour une vingtaine de vaches et les veaux, une cinquantaine d’hectares de prairies en plus ou moins bon état. Mais aussi des parcours enherbés pour des volailles, en l’occurrence des oies, un atelier de transformation, un gîte rural contigu à la maison qu’ils occupent et un réseau de clients pour la vente directe des produits de l’exploitation. Ils ont investi de leur côté 200 000 euros, pour la remise à niveau du troupeau en basculant de la parthenaise vers la bazadaise, et du reste de l’exploitation. « Le changement de race c’est surtout pour gagner en rendement carcasse sur les veaux qui sont notre production principale, il nous en faut entre 25 et 30 par an pour être rentables. Nous les faisons abattre à Lusignan, dans la Vienne, et nous les découpons et commercialisons nous-même, explique Raphaël Marquet. J’ai eu de la chance de trouver un éleveur qui avait ce troupeau de bazadaises, toutes inscrites, et qui voulait s’en débarrasser. Cela me permet de faire une transition douce entre les deux races. »
L’équivalent de 1 600 euros par mois
Si tout se passe bien pour l’atelier bovin, sinon un léger manque de veaux pour le moment, la production de volailles a été arrêtée en 2022, à cause de la grippe aviaire. « Nous avons fait une belle saison avec le gîte, cela a limité la casse et nous a aidés à ne pas creuser de trou même si c’est tendu, ajoute l’exploitant. Nous versons l’équivalent de 1 600 euros par mois pour la location de la ferme. Quand ça coince financièrement, c’est plus souple qu’avec la banque, on discute avec les investisseurs, on peut plus facilement expliquer les choses et on ne paye pas d’agios ! » Raphaël a pour l’instant conservé un travail à mi-temps chez un éleveur caprin du voisinage.
Et si Feve n’était pas passé par là ? « On aurait probablement trouvé une solution mais cela n’aurait peut-être pas été aussi confortable », jugent les deux jeunes éleveurs, âgés de 27 et 33 ans. « C’est un bon compromis. On n’a pas de décision à prendre avant sept ans, on pourra reprendre nos valises s’il faut à ce moment-là, on se sent moins oppressés », explique-t-elle. Pour autant, ils espèrent bien pouvoir développer un deuxième gîte, rénover un corps de ferme pour en faire une habitation, faire progresser le troupeau, vendre quelques reproducteurs en plus et pouvoir, enfin, produire de la volaille…
Une option de rachat au bout de sept ans
Depuis sa création il y a deux ans, Feve a « installé » sept agriculteurs, une douzaine est prévue en 2023. Les investisseurs sont rémunérés à hauteur de 2 % par an et peuvent défiscaliser leur investissement. « Nous avons des investisseurs à toutes les strates, de 500 euros à plus de 100 000 euros. Ce sont dans les deux cas des investissements militants, pour lesquels le retour attendu n’est pas tant financier que moral en somme. Entre les deux, nous avons une partie des investisseurs qui profitent de leurs investissements pour faire de l’optimisation fiscale », précise Simon Bestel, directeur général de la start-up. Une fois l’argent collecté, Feve achète des exploitations en créant des Sociétés civiles immobilières dont la start-up est l’actionnaire ultramajoritaire et l’exploitant très minoritaire. Depuis sa création, 6 millions d’euros ont été levés. L’option de rachat, au bout des sept premières années, s’effectue par l’acquisition des parts de la SCI. L’agriculteur, qui, lui, aura investi dans ses outils de production, cheptel et matériel, aura la possibilité d’exercer son droit de rachat de l’exploitation en ne réglant que 50 % de la valeur ajoutée créée. Le droit de rachat perdure au-delà, mais la plus-value est alors entièrement à régler.
L’agriculture biologique comme passage obligatoire
S’installer avec Feve, c’est forcément s’engager dans le champ de l’agroécologie. « Nous imposons le bio, ou le passage en bio si l’exploitation est en conventionnel en laissant cinq ans aux porteurs de projets pour achever leur conversion. D’autres pratiques, hors du cahier des charges bio, sont encouragées, voire imposées : si possible une association élevage/culture, un travail du sol minimal, le maintien des infrastructures agroécologiques et des prairies naturelles, la diversité des assolements et les rotations longues », détaille Simon Bestel, directeur général de Feve. Le respect de ces conditions, qui sont comprises dans une charte si elles ne figurent pas dans le bail à clauses environnementales, est soumis à contrôle, en grande partie déclaratif, et complété par des analyses de sols. Si l’exploitant n’a pas respecté la charte, le bail peut être dénoncé tout comme l’option de rachat peut être supprimée.