Nathalie Damery, cofondatrice de l’Obsoco : reconstruire l’imaginaire de la viande
Nathalie Damery, cofondatrice de l'observatoire société et consommation, livre son expertise sur l’évolution de la consommation de viande.
Nathalie Damery, cofondatrice de l'observatoire société et consommation, livre son expertise sur l’évolution de la consommation de viande.
« On entend souvent parler du déclin de la consommation de viande. Toutefois, si on replace ce dernier dans le temps, il reste relatif. En effet, la forte augmentation de la consommation des années 1960-1970 était peut-être juste une parenthèse dans l’histoire. Dorénavant, on assiste sans doute à un retour à une consommation plus raisonnable. Finalement, le régime flexitarien (consommation occasionnelle de viande) devient peut-être le régime général des pays industrialisés », explique Nathalie Damery cofondatrice de l’Obsoco (observatoire société et consommation) et spécialiste des questions dans le domaine alimentaire.
Dès le milieu des années 1970, la consommation ralentit puis chute dans les années 1980. Plusieurs évolutions sont à prendre en compte durant cette période. À savoir, la féminisation de la société avec un pic de femmes qui travaillent. Dans le même temps, l’industrie agroalimentaire développe des produits (plats cuisinés) pour alléger la double journée de ces femmes. La prise de repas hors domicile s’accroît, avec une RHD (restauration hors domicile) qui propose la viande différemment. Parallèlement, on observe une euphémisation du travail industriel pour amener le produit agricole du champ à l’assiette. « Ainsi, on cache la viande. Les années 1980 marquent par ailleurs pour la première fois dans l’histoire, la fin du lien générationnel avec l’agriculture, conduisant à la perte de relations entre monde agricole et réalité de la production alimentaire. »
Le bien-être lié à l’alimentation
Aujourd’hui, le lien à la nature est romantisé. Ceci peut être dangereux car il développe une envie de nature qui n’existe que sur les cartes postales. Il est donc essentiel de retravailler ce lien pour qu’il colle à la réalité agricole. À cela s’ajoute un écho médiatique des régimes sans viande inversement proportionnel à la réalité de leur diffusion, du fait d’une très bonne organisation et de l’existence d’une alternative : la foodtech qui dispose de grandes puissances économiques à ses côtés.
Autre variable à prendre en compte, le lien entre le bien-être psychologique et/ou économique et le régime alimentaire. Effectivement, 61 % des personnes en situation de mal-être ont significativement modifié leur alimentation. « Et plus le malaise augmente, plus on regarde de manière critique son alimentation pour avoir l’impression de maîtriser quelque chose dans un monde que l’on ne peut contrôler. L’intensité de la contrainte budgétaire incite par ailleurs certains à revoir la composition de leur alimentation (première variable d’ajustement). Le prix de la viande de qualité restant cher, certaines personnes peuvent adopter un discours antiviande pour en fin de compte masquer un manque de moyens financiers. »
L’alimentation, une attention massive
« Nous sommes dans une période de transformation profonde de la société, de l’économie et du commerce. Les individus aspirent à vivre et consommer 'autrement'. De nouveaux rapports à l’alimentation émergent. Avec, en toile de fond, une sensibilité accrue à la souffrance animale, à l’environnement, au vivant, à la purification, au local, au goût et au souhait de reprendre en main la production. » Ce mouvement qui traverse la société, l’intéresse. De nouvelles formes de magasins de distribution voient le jour où l’on supprime les intermédiaires, source de défiance. Ce mouvement de défiance vient de loin. L’industrie a toujours été contestée. D’abord sur des points sociaux, avant de se déplacer petit à petit sur la nourriture.
« On est entré dans l’air de sensibilisation à l’égard de l’alimentation : on souhaite contrôler ce que l’on mange et la façon dont on le consomme. Au cours des trois dernières années, 82 % des consommateurs disent porter une attention massive et croissante à ce qu’ils mangent. Et, la valeur santé représente un élément clé dans la compréhension de ce phénomène, avec 58 % des gens qui considèrent que la nourriture peut être potentiellement dangereuse. » La santé représente le premier critère de vigilance mais elle n’est pas la seule. La prise en compte de l’impact social et environnemental n’est pas à négliger non plus. Ainsi, l’origine géographique retient l’attention de 70 % des répondants. Les modes et méthodes de production, 63 %.
Du moins… au moins mais mieux
Comment partir de la méfiance multifactorielle ? Comment répondre aux consommateurs pour le réassurer ? La mise à distance de la viande est multifactorielle. Elle part du modèle de production (massification, perte de lien avec le monde rural, industrialisation, cause animale, environnement) et va jusqu’au produit (santé/nutrition, innocuité, qualité). De multiples freins existent (défiance, artificialisation, opacité, éthique, frein économique, risque santé/sécurité, doute sur la qualité). « Ce contexte exige de se doter d’une stratégie pluriaction, de la ferme à l’assiette, consistant à refonder l’imaginaire de la viande, de la production à la consommation et de rassurer de façon crédible sur la qualité et les process d’élevage et d’abattage, sur l’innocuité et la nutrition. Le moins mais mieux arrive sur tout type de biens de consommation. Il représente un véritable tournant dans le regard de ce que l’on achète. »
Dico
La foodtech est l’ensemble des entrepreneurs et des start-up du domaine alimentaire (de la production au consommateur final) qui innovent sur les produits, la distribution, le marché ou le modèle économique.
Une viande de qualité
Aujourd’hui, 56 % des Français aspirent à mieux consommer. Dans son acte d’achat, le consommateur exige une viande de qualité, construite sur un pilier multidimensionnel qui comprend quatre axes : le goût, la santé, l’absence de risques et la production respectueuse de l’environnement. La traçabilité et la composition du produit prennent ensuite de plus en plus de poids dans la perception de la qualité.
« Dans l’imaginaire du consommateur, la viande bovine représente toujours force et tonus. À noter, toutefois, l’installation d’une méfiance à l’égard de l’alimentation de masse, aussi bien animale que végétale, considérée comme factice, artificielle et modifiée », explique Nathalie Damery cofondatrice de l’Obsoco et spécialiste des questions dans le domaine alimentaire.
Quatre modèles de rapports à l’éthique
• L’éthique du « sans ». Environ 7 % de la population rentrent dans ce modèle que l’on peut qualifier d’opportuniste. Ils sont à la recherche de preuves et de signes d’innocuité des aliments consommés.
• L’éthique de la pureté morale comprend 11 % de la population. Les radicaux (activistes) appartiennent à ce groupe où l’alimentation est vue comme une règle de vie.
• L’éthique de la responsabilité compte 20 % de « sensibilisés ». Une mauvaise conscience alimentaire les pousse à se tourner vers la responsabilité environnementale des produits achetés.
« Dans ces deux derniers modèles on retrouve des personnes qui souhaitent changer la société. Les adeptes des régimes sans viande sont prosélytes. Ils sont nombreux à se voir comme des éclaireurs de conscience ou comme des pionniers de l’alimentation future. Par contre, il est possible de toucher les personnes qui veulent contrôler leur santé soit 69 % de la population », explique Nathalie Damery cofondatrice de l’Obsoco et spécialiste des questions dans le domaine alimentaire.
Définition
L’Obsoco, l’observatoire société et consommation, a été créé en 2011 par Philippe Moati et Nathalie Damery, deux anciens du Crédoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie). C’est une société d’études et de conseils en stratégie qui porte sur l’analyse des mutations économiques, sociétales et technologiques. Cette expertise autorise une meilleure appréhension des évolutions à l’œuvre dans la société de consommateurs.