Le confinement stimule la vente directe
Le confinement lié au Covid-19 semble avoir stimulé la demande de viande en circuits courts et laisse espérer de nouvelles habitudes de consommation davantage ancrées dans le local.
Le confinement lié au Covid-19 semble avoir stimulé la demande de viande en circuits courts et laisse espérer de nouvelles habitudes de consommation davantage ancrées dans le local.
« J’avais prévu d’abattre début avril deux vaches car je venais de démarcher un nouveau collège et des restaurateurs, explique David Gélineau, éleveur près d’Angers. Avec le confinement, j’ai failli tout annuler car j’avais peur que les particuliers ne veuillent pas venir à la ferme. J’ai finalement fait tuer une vache et un veau. Il y a eu un effet inverse. Il m’aurait fallu une vache et demie ». Il élève 65 vaches Limousines en agriculture biologique et commercialise 15 % de ses animaux en vente directe — 1 vache et 1 veau toutes les 5 - 6 semaines. Il sert des particuliers en direct et via deux Amap et de la restauration collective scolaire. Les autres animaux sont destinés aux magasins Biocoop. Les acheteurs habituels ont passé des commandes plus conséquentes et de nouveaux clients l’ont contacté. L’éleveur a choisi de tous les servir, sauf ceux qui se sont annoncés au dernier moment, et de réduire les quantités par colis (3,5 kg au lieu de 5 kg et 8 kg au lieu de 10 kg en bœuf, 5 kg au lieu de 8 kg en veau). « La composition des colis ne répond pas à ce que je propose habituellement, regrette-t-il. Mais, les clients sont compréhensifs. »
Panier moyen passé de 35 à 70 euros
Même effervescence dans des boucheries d’éleveurs. À Castres dans le Tarn, Histoires d’éleveurs est gérée par huit producteurs, majoritairement en bovins viande. Juste après l’annonce du confinement, la boucherie a été littéralement « dévalisée », explique Jean-Yves Pagès, président de la SAS gestionnaire. Dans les semaines suivantes, les clients étaient moins nombreux mais ils achetaient deux fois plus. Le panier moyen est passé de 35 à 70 euros. La boucherie vend aussi de la viande dans plusieurs épiceries. Là, les ventes ont « explosé. » Davantage de repas à préparer à la maison, des petits commerces moins fréquentés que les grandes surfaces donc plus rassurants, les discours pour favoriser les producteurs locaux… Tout a contribué à ce succès du circuit court. Cette situation chaotique en termes d’affluence reste néanmoins difficile à gérer au niveau des abattages. « Nous faisons habituellement une carcasse de vache tous les 10 jours et un veau toutes les deux semaines, précise Jean-Yves Pagès. Pour gérer cette incertitude liée au confinement, nous travaillons en demi-carcasse avec un autre boucher, à Albi, qui nous achète des vaches. On prend ainsi moins de risque. »
« Espérons une prise de conscience des consommateurs »
Le Pré d’Union Charolais est une boucherie et un magasin de producteurs multiespèces (toutes viandes, poisson d’eau douce, fromages fermiers) près de Charolles en Saône-et-Loire. La mise en service d’un dépôt de pain suite à la fermeture de la boulangerie en février avait déjà eu un effet positif. Mais, le confinement a accéléré la croissance des ventes. « Nous ne sommes qu’à 5 kilomètres de Charolles. Pourtant, les gens viennent chez nous plutôt que d’aller au supermarché. Dans le contexte actuel, ils réalisent l’intérêt d’acheter local, se félicite Jean-Marc Bouchot, président de l’association gestionnaire. Espérons que le confinement contribue à une véritable prise de conscience des consommateurs. » L’éleveur qui fait aussi de la vente directe de colis de viande a préféré la suspendre pendant le confinement faute d’avoir une « assez grande lecture » de la demande.
À Paris, explosion des ventes pour Les Halles de l’Aveyron
Pas de la vente directe mais du circuit court. C’est ce que fait le groupe Unicor, dans l’Aveyron, avec ses trois magasins de distribution alimentaire, Les Halles de l’Aveyron (un à Rodez, deux en région parisienne) où il commercialise prioritairement les productions de ses adhérents. Le chiffre d’affaires du magasin local a peu évolué : l’ouverture en urgence d’un drive (commandes par téléphone) a compensé une moindre fréquentation de ses allées. Unicor a également ouvert des drives dans les magasins de distribution agricole dotés de corners alimentaires (Les Petites Halles). Les clients peuvent commander notamment des colis de viande multiespèce hebdomadaires pour 2 ou 4 personnes et différents d’une semaine à l’autre. Dans les deux magasins parisiens, en revanche, le chiffre d’affaires a augmenté de 20 % au cours des premières semaines de confinement, tous produits alimentaires confondus. « Il y a davantage de proximité géographique entre consommateurs et magasins, observe Julien Volpellier, directeur de l’aval à Unicor. De nouveaux clients fréquentent nos magasins car ils habitent à proximité. Les gens se sentent également plus sécurisés car il n’y a moins de monde que dans les grandes surfaces. » « Cette crise installe peut-être des modes de consommation, veut croire Stéphane Perrin, directeur communication et marketing. Quand nous sortirons de cette pandémie, nous serons certainement amenés à réfléchir à la pérennisation de ces nouveaux services, de manière plus construite. »
Mettre en œuvre les gestes barrières
Tous les opérateurs de vente directe s’appliquent à mettre en œuvre les gestes barrières. Les Halles de l’Aveyron ont sécurisé personnel et clients avec des mesures sanitaires mises en œuvre dès le 3 mars, bien avant le confinement : limitation des entrées, plexiglass devant les caisses, marquage au sol pour le respect des distances… Les trois magasins ont été confrontés à l’absence en assez grand nombre de salariés (garde d’enfant, personnes vulnérables) et, début avril encore, à la difficulté de se procurer des masques. Ce qui générait un stress important chez les salariés, surtout en région parisienne. Dans les petites boucheries, on fait avec les moyens du bord, tout aussi efficaces, et on limite les entrées à une ou deux personnes. « Les gens sont disciplinés et ne sont pas très stressés, constatait Jean-Yves Pagès, à Castres. Ils respectent les distances. Bon, parfois, on voit arriver des cosmonautes… Et, parfois, on amène le colis à la voiture. » David Gélineau reçoit ses clients individuels le même soir dans l’allée de son bâtiment d’élevage. Port de gants, gel hydroalcoolique, marquage des distances au sol avec du foin, dépôt des chèques dans un carton… Les gestes barrières et la distanciation sociale se pratiquent aussi en stabulation.