Génétique : jouer sur la précocité pour sélectionner des bovins allaitants plus efficients
Une expérimentation de grande envergure a été conduite sur la précocité sexuelle et de développement de femelles charolaises, en vue de sélectionner des animaux plus efficients.
Une expérimentation de grande envergure a été conduite sur la précocité sexuelle et de développement de femelles charolaises, en vue de sélectionner des animaux plus efficients.
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Dans un contexte où des limitations sont de plus en plus à craindre à certaines périodes de l’année, la question de l’adaptation des bovins se pose. Pour les chercheurs Inrae, l’efficience fait partie des conditions requises pour mieux armer les animaux face au changement climatique. La vache efficiente doit notamment atteindre la puberté tôt, afin de réduire les périodes improductives, valoriser les fourrages de façon optimisée et s’adapter aux variations de ressources fourragères disponibles tout en assurant la croissance de son veau. Or, « la précocité sexuelle et la précocité de développement constituent des leviers potentiels pour améliorer l’efficience des vaches allaitantes, limiter leur impact environnemental et améliorer les performances économiques des élevages », expliquent les experts. C’est en tout cas ce qu’ils ont démontré dans le cadre d’une expérimentation de grande envergure intitulée Preccaval (1).
650 génisses charolaises suivies
Les essais ont été menés conjointement sur les sites Inrae du Pin-au-Haras, dans l’Orne, et de Bourges-La-Sapinière, dans le Cher, entre 2011 et 2020. En premier lieu, l’institut a cherché à identifier s’il existait un déterminisme et une variabilité génétique de ces caractères suffisant pour envisager le développement d’outils de sélection. Au total, 650 génisses charolaises ont été suivies de leur naissance jusqu’à l’âge de 22 mois. Elles ont été pesées tous les mois et leur âge à la puberté a été évalué par dosage de progestérone sanguin. À noter que sur chacun des deux sites, les naissances étaient groupées sur deux périodes : une en hiver, entre octobre et janvier, et l’autre au printemps, entre février et mai.
Les résultats montrent que l’âge à la puberté est héritable (0,21) et qu’il existe une corrélation génétique défavorable entre le poids de naissance et la précocité sexuelle. « Les femelles affichant un poids de naissance plus élevé s’avèrent donc plus tardives », relate Sébastien Taussat, ingénieur de recherche chez Eliance. Autre constat ressorti significatif, « les génisses nées au printemps entrent en cyclicité plus tôt que celles nées en hiver », poursuit l’expert. La saison des vêlages influe de fait sur l’âge à la puberté, avec en moyenne un écart de 2,3 mois entre les deux groupes. Les facteurs environnementaux entrent également dans l’équation. « Des conditions de milieu favorisant une bonne croissance induisent une puberté plus précoce. » Ces résultats laissent envisager une sélection directe sur l’âge à la puberté mais ils montrent qu’il est aussi possible de sélectionner indirectement via la réduction du poids de naissance et l’augmentation de la croissance naissance-sevrage.
En moyenne, les 650 génisses charolaises suivies étaient pubères à 16,7 mois, pour un poids à 430 kg. « Elles sont donc plutôt tardives et toutes ne se prêtent pas à un vêlage à 2 ans, souligne Sébastien Taussat. Mais cette précocité sexuelle peut être améliorée par la génétique et par l’environnement. »
Un lien favorable entre précocité sexuelle et de développement
Toujours dans le cadre de ces essais, les chercheurs se sont intéressés à la précocité de développement des animaux, c’est-à-dire leur capacité à atteindre plus ou moins vite leur poids adulte. 153 femelles, établies à la station du Pin-au-Haras et ayant eu au moins deux vêlages, ont été retenues pour cette analyse. À partir des données de pesées, des courbes de poids ont été estimées afin de déterminer pour chaque animal son poids adulte asymptotique et sa vitesse de développement. Les simulations ont montré que « plus le poids adulte est élevé, moins le bovin est précoce sur son développement », évoque Sébastien Taussat. Par ailleurs, il existe un lien phénotypique favorable entre la précocité sexuelle et la précocité de développement mais même à poids adulte, des variations persistent. Ainsi, « autant sur la précocité sexuelle que sur l’efficience, il paraît plus pertinent de considérer ces paramètres sur l’ensemble de la carrière de l’animal », remarque Pauline Martin, experte en génétique et génomique bovine à l’Inrae.
Challenge alimentaire
Un autre axe du projet Preccaval a porté sur la capacité adaptative des vaches allaitantes à des contraintes alimentaires. Des mesures d’ingestion ont été réalisées sur 569 génisses en station de contrôle individuel entre 22 et 24 mois d’âge, afin d’estimer leur efficience alimentaire. « L’essai a fait ressortir un lien favorable entre cette efficience et la précocité sexuelle », indique Sébastien Taussat. Également, la résilience au cours de la lactation de 340 de ces femelles a été étudiée au cours d’un challenge alimentaire. Dix jours après le vêlage et pendant tout l’hiver, la moitié des vaches ont été nourries à volonté, alors que les autres ont reçu une ration restreinte de 2 UF en dessous des besoins théoriques. Les deux lots ont par la suite été conduits ensemble à partir de la mise à l’herbe pour une phase de récupération jusqu’à mi-juillet. « Nous avons observé que les femelles les plus efficientes entre 22 et 24 mois produisaient moins de lait que les inefficientes, aussi bien pour les charolaises à volonté que les restreintes », relève Pauline Martin, experte en génétique et génomique bovine à l’Inrae. Par ailleurs, chez les animaux restreints, la reprise de cyclicité s’est avérée plus longue pour les femelles efficientes que les inefficientes. Le phénomène inverse a été constaté chez les animaux à volonté.
Génétique : des vitesses de développement variables d’une race allaitante à une autre
Dans le cadre d’un autre volet de recherche intitulé Precobeef (1), les données commerciales des femelles de cinq races allaitantes ont été collectées afin d’approfondir les connaissances sur la précocité de développement et son lien génétique avec d’autres caractères.
Pour étudier plus finement l’héritabilité de la précocité de développement et ses corrélations génétiques avec d’autres caractères de production, les données de pesées des femelles de cinq races allaitantes (aubrac, blonde d’Aquitaine, charolaise, limousine, parthenaise) ont été récupérées par le biais de la certification de parenté bovine et du contrôle de performances. Les données d’abattage ont été fournies par Normabev. Seules les femelles ayant eu au moins quatre pesées, dont la dernière à plus de 4 ans d’âge, ont été retenues pour l’essai. Les courbes de croissance moyennes des femelles nées entre 2009 et 2015 ont fait apparaître des différences notables entre races. En considérant les deux extrêmes, « à 15 mois, l’aubrac a atteint 56 % de son poids adulte alors que la parthenaise affiche 44 % », illustre Armance Lepers, d’Idele. En termes de vitesse de développement, l’aubrac se révèle être la race la plus précoce, suivie par la charolaise et la limousine à performances équivalentes, puis vient la blonde d’Aquitaine et enfin, la parthenaise.
Aboutir à une évaluation génétique
Pour les différentes races étudiées, « il a été prouvé que la vitesse de développement est un caractère mesurable à partir de données commerciales collectées directement en élevage, à condition que le nombre de pesées au sevrage et en post-sevrage soit suffisamment important », poursuit Armance Lepers. C’est par ailleurs un caractère héritable, rendant possible une sélection directe. Mais il est aussi corrélé génétiquement à d’autres caractères, permettant d’envisager des sélections indirectes. En effet, « les animaux jeunes ayant un poids plus élevé ont tendance à avoir des vitesses de développement également plus fortes. En revanche, plus ils avancent en âge, plus la corrélation génétique entre le poids de l’animal et sa vitesse de développement a tendance à diminuer jusqu’à devenir fortement négative », note l’experte d’Idele. Ces conclusions doivent être approfondies dans le cadre d’un second volet du programme Precobeef, les objectifs finaux étant de mettre en place une évaluation génétique sur la précocité de développement, de valoriser les collectes de pesées et de produire du conseil en élevage.