Dans le Dartmoor, une région montagneuse du centre du Devon, les parcours sont situés entre 300 et 600 mètres d’altitude. Ils abritent une biodiversité fleurissante, chérie des défenseurs de la nature anglais. Ici, ovins, bovins et équins cohabitent quasiment toute l’année sans clôture ni berger. Les vestiges d’une activité agricole remontant jusqu’à l’âge de bronze jonchent ce parc naturel national, entre vallées incisées et plateaux tourbeux ponctués de « tors » – ces fameuses crêtes rocheuses. La végétation de lande atlantique recouvre les parcours, que les Britanniques appellent commons. Ils permettent aux éleveurs d’avoir accès à une grande surface de pâturage, bien que peu productive, tout en préservant leurs propres terres pour produire le fourrage récolté.
Répartir ovins et bovins selon les types de prairies
Seule une faible proportion des terres exploitées individuellement permet d’obtenir de bons rendements de céréales, du fait de la faible profondeur des sols, de leurs pentes fortes et du climat océanique. Les exploitations peuvent couvrir plusieurs centaines d’hectares de prairies, ce qui constitue un véritable gradient de productivité fourragère. Les élevages pastoraux misent donc sur la complémentarité ovins-bovins pour valoriser l’ensemble de leurs terres et rompre les cycles de parasitisme. Les prairies de fond de vallée sont peu mécanisables car humides, mais leur sol formé d’alluvions fertiles permet la pousse de prairies de qualité suffisante pour le pâturage estival des bouvillons vendus dans l’année. Les prairies faisant l’objet d’une récolte de foin ou d’enrubannée ne produisent pas assez de regains pour le pâturage des bovins, qui risqueraient en plus de les endommager avec les pluies automnales. Les brebis sont donc celles qui viennent paître sur ces prairies à l’arrière-saison. Les éleveurs jouent également sur les différentes races d’ovins et de bovins, ayant jusqu’à trois troupeaux de rusticité différente pour chaque espèce.
Sur les parcours, une complémentarité rompue
Depuis les années 1990, le pâturage hivernal des bovins n’est plus autorisé sur les commons sous prétexte environnemental. « La complémentarité ovins-bovins est rompue sur les parcours où nous avions tous des vaches rustiques, les Galloway, qui vivaient dehors toute l’année avec les brebis rustiques », explique Layland Branfield, éleveur pastoral de 85 vaches allaitantes et 520 brebis, membre de la fondation britannique pour les commons. Avant les années 1990, les vaches rustiques Galloway permettaient de produire du bœuf de trois ans à l’herbe. Les veaux passaient leur premier hiver à l’intérieur, leur deuxième hiver en pension ou sur prairie permanente, et leurs derniers mois sur les prairies de fond de vallée plus productives. Le reste du temps, ils paissaient sur les commons avec les mères Galloway. « Puis la vache folle et les restrictions environnementales nous sont tombées dessus, poursuit l’éleveur. Où allions-nous mettre nos bêtes l’hiver ? Les seuls qui ont pu continuer à en élever (en effectif réduit) sont ceux qui ont les quelques parcelles de landes privatisées entre le XVIIe et le XIXe siècle. Ces élevages se sont tournés vers le croisement à trois voies pour pallier la réduction du cheptel rustique. »
Le croisement à trois voies pour exploiter une diversité de fourrages
Le croisement le plus répandu consiste à croiser les vaches Galloway avec des taureaux White shorthorn, produisant des bovins Blue grey de rusticité intermédiaire. Les vaches Blue grey peuvent être croisées avec des taureaux charolais et produire des veaux au potentiel de croissance relativement élevé. La complémentarité entre troupeaux va donc au-delà des différentes espèces, elle couvre également les différences de rusticité des races. Les animaux les plus rustiques valorisent au maximum les espaces de lande (les ovins sur parcours, les bovins sur parcelles de landes privatisées). Quant aux animaux croisés, ils ne passent que quelques mois sur parcours, et valorisent les terres individuelles. Ils paissent majoritairement sur prairies permanentes, bien que les prairies de meilleure qualité soient réservées aux animaux vendus dans l’année. Enfin, les animaux les moins rustiques ne sont jamais sur landes et nécessitent un hivernage en bâtiment avec une alimentation plus dense énergétiquement (foin, enrubannée et concentré pour les mères, ensilage ou enrubanné de prairies temporaires, chou fourrager, céréales, concentrés pour les suites).
La complémentarité doit aussi se poursuivre dans la répartition de la charge de travail. Les agnelages ont lieu au printemps, des moins rustiques en février aux plus rustiques en avril. Du côté des bovins, cela dépend du nombre de mères de l’exploitation. S’il y a plus de cent vaches mères, en général, les vêlages se répartissent entre le printemps et l’automne. De plus, pour les exploitations pratiquant le croisement à trois voies, les Galloway sont celles qui mettent bas en octobre-novembre, et les Blue grey (les croisées) mettent bas en avril et mai. Comme les fourrages récoltés sont rares, il est plus avantageux de faire vêler les Blue grey plus exigeantes au printemps. Ainsi, les besoins de croissance et de lactation de ces bovins sont couverts par du fourrage sur pied. Les Galloway qui vêlent à l’automne ont des besoins moins élevés et produisent surtout des femelles de renouvellement, donc leur hivernage est moins coûteux en ressources fourragères.