Campagnol terrestre : un piégeur à temps plein en Cuma pour tester la lutte collective
Dans l’Aveyron, la Cuma de Sainte-Geneviève Cantoin emploie un piégeur à temps plein et teste des méthodes collectives contre l’invasion des campagnols terrestres. Après une année de lutte, l’expérimentation commence à porter ses fruits.
Dans l’Aveyron, la Cuma de Sainte-Geneviève Cantoin emploie un piégeur à temps plein et teste des méthodes collectives contre l’invasion des campagnols terrestres. Après une année de lutte, l’expérimentation commence à porter ses fruits.
Accompagnée techniquement par le parc naturel régional de l’Aubrac et soutenue par la région Occitanie, la Cuma de Sainte-Geneviève Cantoin porte une expérimentation de lutte contre le campagnol terrestre depuis septembre 2022. Elle est destinée à tester des méthodes collectives et coordonnées, basées sur l’observation des populations et l’intervention d’un piégeur salarié à plein temps. Le principe de cette expérimentation repose sur les résultats encourageants d’autres essais de lutte menés dans le Massif central dont celui de l’impluvium de Volvic.
« Avant les invasions de campagnol survenaient à peu près tous les sept ans. Maintenant, c’est beaucoup plus fréquent », rapporte Guillaume Raynal, vice-président de la Cuma et référent du service piégeage qui élève un troupeau de 100 mères aubracs à Cantoin.
Difficile de recruter à temps plein
Les fonds du « dispositif biodiversité » de la région Occitanie, mobilisés par le parc naturel régional, ont permis aux dix-neuf « cumistes » (quatorze au départ) adhérents à ce service de piégeage de financer l’achat des pièges, du véhicule, et des piquets jalons pour baliser.
Ils financent également le CDI à plein temps du piégeur Laurent Felgines en fonction de leur surface et les agriculteurs se disent « ravis du service ». « Les pullulations de campagnols avaient causé énormément de pertes sur les parcelles, certaines vaches étaient mortes à force d’avoir ingéré de la terre. À l’autopsie, leur panse en était pleine. Aujourd’hui, nous sommes beaucoup moins embêtés lors des récoltes, il y a moins de terre dans le foin. Mais au-delà des finances, le plus difficile est de trouver un salarié qui accepte de piéger toute l’année. Il n’y en a pas beaucoup en France à notre connaissance, un à Volvic et un à Évian. »
Une lutte basée avant tout sur le piégeage mécanique
Il existe plusieurs techniques pour éradiquer le campagnol terrestre. Dans le cas de cette expérimentation, la lutte chimique a rapidement été éliminée par les éleveurs compte tenu de son faible niveau d’efficacité. Les pastilles de gaz, que les éleveurs n’utilisent pas, « sont coûteuses et fonctionnent mieux sur les taupes que les rats, mais pour que cette technique soit vraiment efficace, il faut une météo humide ». L’expérimentation est basée essentiellement sur le piégeage mécanique des campagnols et des taupes avec le fer à taupe, le cauet et le topcat. L’utilisation du raticide « ratron » est exclue.
Si la densité moyenne des populations est de 250 campagnols par hectare, Ugolin Bourbon-Denis, chargé de mission agroenvironnement du PNR Aubrac, précise que les populations peuvent aller jusqu’à 600 à 800 individus par hectare, et descendre entre cinq et dix campagnols. Sur les premiers mois de l’expérimentation, de septembre à décembre 2022, le piégeur a capturé 2 485 campagnols et 260 taupes. Alors que de janvier à mars 2023, il a piégé 465 taupes et 59 campagnols.
La taupe est précurseur à l’installation du rat taupier
« Le rapport s’est inversé car la pullulation des campagnols s’est brutalement terminée. On dit que la taupe est précurseur à l’installation du rat taupier. Elle creuse des galeries et le campagnol, qui est un opportuniste, en profite pour se disperser. C’est pour cette raison que nous demandons au piégeur d’intervenir en priorité sur les taupes, en fonction de l’année et de comment se répartissent les populations », ajoute Ugolin Bourbon-Denis.
« Pour dix taupes laissées sur une parcelle, l’année d’après il y en aura vingt-cinq. Et si elles n’ont pas assez d’espace, elles s’étalent. La taupe est une grande travailleuse. Il faut qu’elle mange toutes les cinq ou six heures sinon elle meurt », ajoute Laurent Felgines.
Des perchoirs à rapaces installés
L’expérimentation prévoit également de favoriser les prédateurs naturels avec l’installation de nichoirs à rapaces fabriqués par le piégeur pendant la période hivernale en complément d’activité, comme les buses et les milans, mais aussi aux rapaces nocturnes comme le hibou moyen-duc ou la chouette chevêche. Dans les secteurs dépourvus d’arbres ou de points hauts, quatorze perchoirs à rapaces ont été installés. « Le renard reste chassable sur la zone. Il représente, avec l’hermine et les rapaces, un des principaux consommateurs de campagnols. Sa présence ne résout pas le problème des pullulations mais c’est un allié sur lequel nous pouvons compter. »
Chiffres clés
19 exploitations de la Cuma adhérent à ce service de piégeage (130 adhérents au total)
2 000 hectares concernés
65 000 € dont 40 000 € pour la Cuma et 25 000 € pour le PNR engagés la 1re année
20 800 € budget estimé au total pour la Cuma pour les deux années suivantes
80 % de soutien financier par la région Occitanie, 17,4 % par le PNR, et 2,6 % par la Cuma
Trois outils de piégeage mécanique du campagnol terrestre
1- Le fer à taupe : « vieux comme le monde », cet outil est majoritairement utilisé par la Cuma. « Je le place beaucoup plus facilement que le cauet pour pratiquement la même efficacité. J’en positionne 25 en une heure, alors que pour le cauet c’est 8 à 10 en une heure. Et le topcat, lorsque le terrain est bien, c’est 25 en une heure », détaille Laurent Felgines, le piégeur embauché à l’année par la cuma.
2- Le topcat : d’origine suisse et spécialement conçu contre le rat taupier, il s’agit d’un cylindre métallique, parfois en plastique, qui fonctionne selon le principe de la guillotine.
3 - Le cauet : conçu contre les taupes et les rats taupiers, Laurent Felgines l’estime « très efficace mais très long à poser. Alors je l’utilise plutôt dans la terre labourée après les semis car on trouve plus facilement les galeries ».
Avis d’expert : Ugolin Bourbon-Denis, chargé de mission agroenvironnement du parc naturel régional Aubrac
« Une lutte en collectif et coordonnée jugée plus efficace »
« Je visite la majorité des parcelles au printemps et à l’automne afin de recenser la densité de campagnols et de taupes, et d’estimer leur impact. Si la parcelle est trop touchée, c’est-à-dire qu’elle loge plus de 250 campagnols à l’hectare, l’action de piégeage ne sera pas efficace pour stopper les dégâts. Par contre, lorsqu’il y en a peu, nous arrivons à observer où les premiers foyers réapparaissent, et nous pouvons demander au piégeur d’intervenir en priorité sur cette parcelle.
Sur les 2 000 hectares concernés par le piégeage, la proximité de certaines parcelles voisines permet de créer cinq îlots (îlots cumulés : 600 hectares). Cela nous donne l’opportunité d’intervenir sur ces îlots sans trop se poser de questions sur les propriétaires. Nous sommes assurés d’être efficaces et d’éviter une repopulation trop rapide des nuisibles. Ce système de lutte collectif et coordonné est beaucoup plus efficace. Bénéficier d’un salarié piégeur à temps plein et ce, tout au long de l’année, est un sacré avantage. Cela permet aux exploitants de gagner en souplesse. Il s’adapte en fonction de la météo, des foins, et peut être réactif.
Pour que cette lutte soit pérennisée, les résultats doivent être à la hauteur des attentes des éleveurs mais l’efficacité se fera connaître plutôt dans trois à cinq ans après le lancement de la lutte. »