Quelles grandes mutations pour l’élevage bovin retenez-vous de ces six dernières années ?
Bruno Dufayet - La décapitalisation du cheptel, phase amorcée avant même le début de mon mandat, représente un changement majeur sur cette période. Si des hausses de prix ont bien été opérées pour l’ensemble des catégories d’animaux, nous ne pouvons nous en féliciter, car ces revalorisations ont été permises au détriment d’un quart des éleveurs de bovins (1). Malgré les risques que cette perte de cheptel représente pour l’ensemble de la filière, la prise de conscience des acteurs de l’aval n’a pas été suffisante pour tenter d’endiguer l’hémorragie. Le combat reste à poursuivre quant l’adoption d’une réelle vision collective et de la juste répartition de la valeur au sein de la filière.
La promulgation des lois Egalim 1 et 2 représente un autre temps fort. Leurs philosophies ont soulevé la nécessité de construire une filière plus moderne, et de s’appuyer sur la contractualisation pour donner des perspectives claires aux éleveurs.
Autre élément important, nous sommes parvenus à combattre toutes les intox qui pouvaient circuler sur la valeur des animaux dans les cours de ferme ou les marchés par le relais de chiffres sourcés, vérifiables et inattaquables. Avec la publication hebdomadaire des indicateurs de marché viande bovine, nous n’avons reçu que des retours positifs de la part des éleveurs, qui bénéficient d’informations robustes pour argumenter et défendre leurs prix.
Ces six dernières années ont également marqué la montée en puissance des accords de libre-échange portés par l’Union européenne, incluant quasi systématiquement des contingents de viande bovine. Alors que la politique européenne interne oriente l’élevage communautaire vers toujours plus de durabilité, souvent au travers de normes supplémentaires, sa politique commerciale l’expose à une concurrence déloyale. Les instances publiques doivent se demander quel modèle d’élevage elles souhaitent défendre à l’avenir et mettre ainsi en cohérence l’ensemble des politiques. La sensibilisation à la réciprocité des normes de production, via la mise en place de clauses et mesures miroir, constitue de ce fait une bataille majeure.
La
nouvelle Pac 2023-2027 a été un autre dossier fastidieux, qui s’est traduit par de longs mois de mobilisations pour limiter les impacts des derniers arbitrages, notamment sur les modalités techniques liées au couplage bovin.
Par ailleurs, le dérèglement climatique, qui s’accompagne de sécheresses récurrentes, est devenu une réalité que les éleveurs vivent au quotidien. Afin d’en atténuer les effets, un changement de posture global a été initié au sein de la filière, avec la volonté d’intégrer de nouveaux enjeux. Les nombreux diagnostics CAP’2ER déployés à l’échelle française pour le calcul des émissions de GES et du stockage de carbone des exploitations sont la preuve concrète des avancées en la matière.
Quelles sont les actions qui, selon vous, vont s’inscrire dans la durée et être porteuses de changements pour l’avenir ?
B.D. - La diffusion large d’indicateurs de marché incontestables - et à présent d’indicateurs de référence "coût de production et prix de revient" - permet aux éleveurs de mieux appréhender le marché et de gagner en visibilité. Dans le contexte actuel de déséquilibre entre l’offre et la demande, ces derniers sont d’autant plus attentifs aux signaux conjoncturels pour ajuster les sorties de leurs animaux à des périodes encore plus favorables.
« Nous sentons que les éleveurs ont une lecture du marché mieux maîtrisée ».
Aussi, l’établissement de contrats entre les différentes parties prenantes, plaçant l’indicateur de coût de production comme socle de la négociation, s’impose aujourd’hui pour préserver la production bovine française. Il n’y a pas d’autres voies que la contractualisation pour y parvenir. Même les plus réticents y viendront, ou ils disparaîtront.
Du côté de notre communication, dans le sillage du mouvement collectif porté par l’interprofession autour du "manger mieux", nous devons pousser la réflexion encore plus loin. Car si les Français continuent à manger autant de viande qu’aujourd’hui alors que la production intérieure ne cesse de baisser, la filière s’orientera inéluctablement vers une trajectoire de consommation par l’import. Or, ce ne sont pas les valeurs que nous prônons. Bien qu’il s’agisse d’un changement culturel profond, nous avons tout intérêt à traiter ce message pour corréler production et consommation de viande issues de modèles durables.
Dans le cadre de la stratégie "De la ferme à la fourchette", déclinaison du pacte vert pour l’Europe, les producteurs devront de toute façon trouver leur place au travers de systèmes d’élevages plus résilients et durables. D’où la nécessité de définir ce qu’est ce modèle vers lequel l’Europe souhaite tendre. En France, la majorité de nos élevages allaitants sont herbagers, autonomes et à taille humaine. À nous de préserver cet équilibre, en y associant des critères et des seuils concrets. Sans cette étape essentielle, nous pourrions craindre de laisser place demain à toute sorte de dérive comme l’apparition de feedlots.
Quel message souhaitez-vous porter à votre successeur fraîchement élu ?
B.D. - Il s’agit bien sûr de s’assurer que la FNB reste très active et qu’elle soit toujours une voie de l’élevage dans les différentes instances, avec un discours propre aux réalités de terrain. Il y a aussi un véritable enjeu à créer une unité entre les différentes filières de ruminants. Nous serons meilleurs pour défendre nos sujets si nous la jouons collectivement.
(1) En l’espace de six ans, la France a perdu 837 000 vaches allaitantes et laitières, et 27 % des exploitations de bovins ont disparu entre 2010 et 2020, d’après les résultats du dernier recensement agricole.