Vous avez fait le pari il y a quelques années de développer l’exportation de broutards vers l’Algérie. Comment analysez-vous aujourd’hui ce choix ?
André Veyrac - Nous ne regrettons pas notre choix politique, au sein de Bevimac, d’avoir misé sur l’export vers les pays tiers et plus particulièrement l’Algérie. Avec 20 000 broutards exportés en 2019 vers l’Algérie, sur une activité totale de 110 000 têtes, l’union de coopératives est devenue le premier opérateur sur cette destination. Bevimac a clôturé les comptes 2019 avec un résultat jamais égalé. Cette richesse est redistribuée aux producteurs via les coopératives adhérentes. L’Algérie ne représente pas un volume énorme mais c’est une variable d’ajustement salutaire face au monopole italien.
Comment expliquez-vous ce succès ?
A. V. - Dans notre région, nous avons la chance que le marché algérien soit "amoureux" de la race Aubrac. Les broutards de race pure se comportent de façon exemplaire dans leurs bâtiments d’engraissement et sous leur climat et les Algériens apprécient la couleur soutenue de la viande. Pour notre coopérative, Célia, pouvoir faire de l’Algérie, au travers de Bevimac, fait revenir de la plus-value dans notre zone. L’Aubrac se vend plus cher que le Charolais. Pour un même broutard Aubrac, selon qu’il est orienté vers le marché italien ou algérien, la différence de valorisation pour l’éleveur est de 15 centimes d’euro par kilo.
C’est toutefois un marché contraignant pour les producteurs sur le plan sanitaire…
A. V. - L’Algérie demande des veaux qualifiés IBR et indemnes de FCO. On peut regretter qu’il faille en plus faire des contrôles IBR sur des animaux provenant d’élevages qualifiés. Les producteurs de la zone Aubrac ont fait un effort conséquent pour être qualifiés IBR. Ils s’organisent pour pouvoir vendre des veaux sur l’Algérie. Lorsqu’ils visent ce marché, ils savent aussi qu’ils devront composer avec les incertitudes sur la date à laquelle va se faire le bateau. Ils doivent donc se préparer à une vente qui peut avoir lieu ou pas au moment où ils le souhaitent. Ils s’exercent dans leurs élevages pour tenir les bêtes plus longtemps ou par rapport à leur trésorerie.
N’était-ce tout de même pas un pari osé de miser autant sur un marché aussi difficile et incertain ?
A. V. - Nous sommes dans notre rôle, au sein de nos coopératives et de notre union de coopératives Bevimac, d’oser, d’apprendre et de faire collectivement ce qu’on ne peut faire seul. Exporter des bêtes vers l’Algérie est beaucoup plus compliqué que de les charger sur un camion à destination de l’Italie. Il faut avoir les bateaux, la production, le sanitaire, l’adhésion des producteurs qui doivent manipuler le bétail pour faire les contrôles sanitaires, les savoir-faire, la confiance des banques… Un bateau, c’est entre 1,5 et 2 millions d’euros qui prennent la mer. Le paiement est assez fiable mais, souvent, c’est extrêmement compliqué à faire aboutir. C’est un jeu périlleux qui a demandé aux équipes un solide entraînement. Mais, aujourd’hui, à Bevimac, comme certainement chez d’autres opérateurs, nos équipes ont acquis le savoir-faire commercial et administratif.
Malgré les incertitudes (crises politique, économique…), vous semblez optimiste sur l’avenir de ce marché…
A. V. - Je suis optimiste par rapport au marché algérien mais aussi pour les autres pays tiers. Tous les pays qui s’enrichissent souhaitent manger de la viande. Tous les opérateurs travaillent à l’ouverture de nouveaux marchés : Israël, Égypte, Turquie. Israël a besoin de broutards. Ils importent d’Amérique du Sud et d’Australie, mais la production française les intéresse. La Turquie reviendra sûrement demain car la qualité des productions françaises finira par avoir raison des divergences politiques qu’a eu la France avec ce pays. Je pense que le salut de l’élevage en France passe par l’export vers les pays tiers.
Un bateau, c’est entre 1,5 et 2 millions d’euros qui prennent la mer.
Célia installe un site de quarantaine à Carmaux
La coopérative aveyronnaise Célia vient d’acquérir l’ancien domaine expérimental de l’Inra à Carmaux dans le Tarn. Quelque 800 places permettront de mettre des broutards en repousse, et donc en quarantaine, afin de les préparer pour les marchés des pays tiers. « Quand un client vous demande un bateau de 1 000 bêtes, si vous n’en avez pas déjà la moitié en stock, à certaines périodes, il est très compliqué de le satisfaire. Et, quand les éleveurs ont l’obligation de vendre et qu’il n’y a pas dans l’immédiat le marché en face, il est important d’avoir un site tampon », explique André Veyrac. Ce stockage de broutards permettra aussi de montrer les animaux aux clients sans être obligé de faire le tour des fermes. C’est bien plus attractif.