Agriviande : « nous vendons une histoire et des produits atypiques »
Née de la crise de la vache folle, la société Agriviande située dans l'Aveyron sert la viande des producteurs locaux sur la table des grands restaurateurs. Et sert surtout l’esprit familial inculqué par Solange, égérie des fondateurs.
Née de la crise de la vache folle, la société Agriviande située dans l'Aveyron sert la viande des producteurs locaux sur la table des grands restaurateurs. Et sert surtout l’esprit familial inculqué par Solange, égérie des fondateurs.
Une histoire de famille et d’amitié. Tel est l’ADN d’Agriviande, une société aveyronnaise située dans le bourg de Cassagnes-Bégonhès, qui commercialise de la viande et divers produits de terroir auprès de la restauration. Mais, pas n’importe laquelle. La plus haut de gamme qui soit, celle qui a envie de « raconter à ses clients l’histoire atypique » de deux jeunes étudiants au temps de la première crise de l'ESB, qui se sont mis en tête de vendre en direct les veaux de la ferme familiale. Si ce positionnement quasi exclusif sur la restauration secoue depuis un an l’entreprise et l’oblige à réorienter quelque peu ses débouchés (lire plus loin), la solidité qui est la sienne aujourd’hui devrait lui permettre de traverser la tempête sanitaire sans trop de dégât.
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Retour donc au printemps 1996, quand l’élevage dut affronter une de ses premières grandes crises sanitaires. Frédéric Tressières terminait ses études d’ingénieur à l’Esap de Purpan. Il décide de réaliser son stage de fin d’études sur la ferme de son petit-cousin, Jean-Marie Bousquet, aux portes de Cassagnes-Bégonhès. La ferme de Lariès où lui, enfant de la ville, passait toutes ses vacances et où il acquit très tôt « la passion du monde paysan et de ses valeurs, l’entraide, le travail manuel… ». Pour parfaire sa stratégie commerciale, il fit appel à une classe de BTS force de vente au sein de laquelle il rencontra son futur associé, Thierry Frontin. Et, tous les deux d’aller livrer des caissettes de veaux aux particuliers. La découpe était sous-traitée à l’abattoir de Rodez, puis chez un autre cousin, Bousquet Viandes.
« Du sur-mesure pour les restaurateurs »
Puis, viennent les premiers pas dans la restauration. « Quand nous avons commencé à professionnaliser notre activité, nous avons été perçu comme des concurrents et plus personne ne voulait transformer nos produits », se souvient Frédéric Tressières. Ils se tournent donc vers la mairie de Cassagnes-Bégonhès qui leur propose un atelier relai dans un bâtiment vacant. C’était en 2002. « Nous avons embauché du personnel et nous avons commencé à faire du sur-mesure pour développer l’activité auprès de professionnels, restaurateurs, collectivités. » En 2005, ils arrêtent la vente aux particuliers, peu adaptée à la professionnalisation qu’ils envisageaient.
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En 2008, trop à l’étroit, ils créent avec la commune un nouvel atelier relai de 900 m2 tout en rachetant le premier pour y développer une activité de négoce de produits fermiers sous une nouvelle entité (Le Lagastou) pour répondre à la demande des restaurateurs intéressés par une gamme complète de produits locaux : charcuterie, fromages... Un atelier relai de transformation de porcs de 700 m2 — dénommé l’Atelier du Lagast — est en cours de construction sur le même site. Récemment, Brice, ingénieur et fils de Jean-Marie Bousquet, a rejoint les deux fondateurs d’Agriviande. « Bien que cela génère des contraintes logistiques et de recrutement de personnel, nous avons décidé de rester à Cassagnes-Bégonhès parce que nous avons de bonnes relations avec la municipalité », assure Frédéric Tressières.
Authenticité d’un territoire et de ses produits
Mais, pourrait-il en être autrement tant la force commerciale d’Agriviande repose sur l’authenticité d’un territoire et de ses produits portée par le lien fort qui l’unit à la ferme de Lariès. En 2018, les deux associés ont d’ailleurs créé une marque commerciale la Table de Solange, qui couvre toutes les activités, en l’honneur de la grand-tante qui vit toujours sur la ferme et qui est « à l’origine de l’esprit familial qui règne à Lariès. J’ai passé beaucoup de temps avec elle, je lui dois beaucoup », se remémore Frédéric Tressières. Aujourd’hui, la société continue à s’approvisionner en bœuf et veau sur la ferme, qui possède un troupeau de 120 vaches allaitantes et a fortement développé l’engraissement (1 800 vaches par an). Avant la crise sanitaire, Agriviande transformait 10 tonnes de viande par semaine : 4-5 veaux, 10 vaches, 60 agneaux et 30 porcs. Tous les veaux gras (200-240 kg c) viennent de la ferme auxquels s’ajoutent quelques veaux d’Aveyron et du Ségala label rouge issus du négoce.
« Nous ne vendons pas une entrecôte sur catalogue »
En matière de bœuf, l’atelier travaille deux sortes d’animaux issus de la production locale et de races à viande, principalement de l’Aubrac. D’une part, des vaches « d’exception » (400-500 kg c), très grasses (5-6 mois de finition, voire plus), pour la restauration haut de gamme « à l’ancienne ». D’autre part, des vaches plus légères (360-370 kg), mais « dans le haut du panier », pour la découpe à destination de la restauration plus classique. « Pour gagner sa vie avec des bêtes d’exception, il faut les vendre entières, explique Frédéric Tressières. En découpe, certains produits sont bien valorisés, d’autres moins. Pour sortir une marge, il faut taper dans des bêtes de qualité inférieure. Mais, dans la restauration très haut de gamme, de plus en plus de clients nous achètent des demi-carcasses que nous travaillons à façon. Nous sommes tout petits par rapport aux grandes sociétés de cheville. Nous n’avons pas d’autres choix que de nous différencier en proposant un produit atypique issu des exploitations locales, une découpe sur-mesure et une histoire à raconter. » Les vaches haut de gamme, uniquement des Aubracs, sont commercialisées sous la marque Bœuf des Drailles.
Prestation de service pour les éleveurs
Aujourd’hui, Agriviande ne souhaite pas développer la transformation de viande bovine mais plutôt diversifier ses activités, notamment les porcs. Son atelier ne permet pas de passer davantage de viande de bœuf, pour une question de volume de stockage notamment. En revanche, les trois associés veulent mettre l’accélérateur sur la prestation de services pour les éleveurs qui font de la vente directe. Ils proposent de la découpe sur-mesure et peuvent même assurer la distribution. Le coût varie de 2,20 à 3 euros par kilo de carcasse, selon la prestation demandée.
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Actuellement, l’atelier transforme trois à huit bêtes par semaine pour des éleveurs. S’il fallait une preuve que le positionnement commercial atypique d’Agriviande est plus que jamais dans l’air du temps, on la trouve dans l’intérêt que les restaurateurs ont manifesté à son égard malgré l’arrêt de l’activité : « cette année, nous avons reçu 200 à 300 restaurateurs qui sont venus visiter nos installations et la ferme de Lariès ». C’est plutôt de bon augure pour la reprise car ils auront vu de leurs propres yeux l’histoire à raconter : « une petite structure en milieu rural qui voulait commercialiser les produits issus des fermes locales dans les grandes villes ».
Des porcs sur paille
Les porcs sont élevés sur paille dans une exploitation voisine avec laquelle a été mis au point le produit : un cochon issu d’une race rustique (Duroc) qui produit des carcasses assez lourdes et amène de la couleur à la viande, d’une qualité « incomparable ». En attendant la montée en puissance de la production, Agriviande achète aussi des porcs finis à la châtaigne et, pour les collectivités, du porc de montagne.
La distribution coûte de plus en plus cher
« La logistique n’est plus un problème mais elle peut atteindre des coûts prohibitifs », explique Frédéric Tressières. Et parfois incompréhensibles. Ainsi, expédier de la viande vers Bordeaux coûte une fois et demie plus cher que vers Paris, destination où le transport est sans doute plus concurrentiel. La société Agriviande assure elle-même la distribution vers la région de Montpellier et localement et sous-traite le transport vers les autres destinations. Elle commercialise principalement dans les grandes villes (Paris, Toulouse, Bordeaux, Lyon) et sur la côte méditerranéenne. En matière de communication, la Table de Solange est très présente sur les réseaux sociaux et bénéficie de l’appui médiatique de chefs étoilés ou branchés, tels que Juan Arbelaez.
Chiffres clés
La Covid-19 de plein fouet
La Table de Solange a pris la crise sanitaire en pleine face. Une réorientation vers les particuliers et revendeurs a permis de limiter la casse mais elle a tout de même perdu 65 % de son activité.
Quinze tonnes de viande. C’est ce qui était stocké dans les frigos d’Agriviande quand fut annoncé le premier confinement il y a un an. Qu’en faire quand 90 % de vos clients ferment leurs portes du jour au lendemain ? « Nous avons actionné un fichier de particuliers via les réseaux sociaux et nos connaissances, raconte Frédéric Tressières. Nous avons demandé à nos restaurateurs de nous aider à toucher leurs clients. Et, nous avons créé un site de vente en ligne sur lequel nous vendons de plus en plus au détail. Nous avions arrêté les particuliers en 2005, mais, en 2020, c’est eux qui nous ont sauvés. Désormais, on ne les laissera plus tomber. » Grâce à ce regain d’énergie, le stock a été écoulé sans perte. Les mois qui ont suivi ont, par contre, été très difficiles, hormis les trois bons mois d’été. Outre les particuliers, la Table de Solange s’est réorientée vers des revendeurs : bouchers, épiceries, fromageries… « La clientèle des bouchers pourrait se développer car ils sont de plus à la recherche d’un lien avec la production. Ils ne veulent plus se contenter d’acheter une carcasse pendue chez un chevillard. Certains d’entre eux n’ont jamais vu une bête vivante. » En revanche, pas question de prospecter davantage le marché des collectivités car il créé « un déséquilibre » dans la valorisation des morceaux. Malgré ces nouveaux débouchés, depuis le début de la crise sanitaire, Agriviande a perdu 65 % de son activité. « Heureusement, nous avons pu bénéficier du chômage partiel », reconnait le dirigeant. L’entreprise tourne au tiers de son activité. « Nous espérons beaucoup sur une réouverture des restaurants au printemps. Ce sont habituellement nos meilleurs mois. »
La Ferme de Lariès engraisse 1 800 vaches par an