Alexandre Morel, 19 ans, futur éleveur : « qu'est-ce qu’on attend pour faire de la bonne communication ! »
Il a la fougue de la jeunesse et sa parole peut être incisive. Alexandre Morel est fils d’agriculteurs, étudiant et déjà très actif sur la ferme. Il a prévu de s’installer en 2024, en Gaec avec son père. Engagé dans la communication, il a à cœur de défendre l’agriculture. Bien dans sa région et bien dans sa peau, il est présent sur Tik-Tok où il entend parler de son métier, mieux que ceux qui ne connaissent pas ce monde…
Il a la fougue de la jeunesse et sa parole peut être incisive. Alexandre Morel est fils d’agriculteurs, étudiant et déjà très actif sur la ferme. Il a prévu de s’installer en 2024, en Gaec avec son père. Engagé dans la communication, il a à cœur de défendre l’agriculture. Bien dans sa région et bien dans sa peau, il est présent sur Tik-Tok où il entend parler de son métier, mieux que ceux qui ne connaissent pas ce monde…
A 19 ans, on a tout l’avenir devant soi mais on ne sait pas toujours où on va. Alexandre Morel, lui, sait depuis plusieurs années qu’il sera agriculteur. Il a bien tenté quelques stages généraux en étant au lycée mais « rien ne m’intéressait » reconnaît-il. Alors, il a choisi les études agricoles et se prépare à s’installer sur l’exploitation familiale. Sa mère partira et lui, aîné de 4 enfants, prendra sa place aux côtés de son père dans le Gaec.
La ferme est basée dans l’Ain, en AOP comté, et est engagée dans un système conventionnel qui cherche à favoriser l’autonomie et être sur du moins intensif. Le cheptel compte 66 vaches à 90 % Montbéliardes, qui produisent 420 000 litres de lait par an, livré à la coopérative de Nantey, dans le Jura. La famille Morel est arrivée dans cette région en 2013. Né dans la Nièvre où ses parents étaient déjà agriculteurs, Alexandre a ensuite vécu en Bretagne, non loin du Mont Saint-Michel, où son père a travaillé dans une coopérative céréalière, et en Haute-Saône, où sa mère a suivi une formation pour pouvoir s’installer. Il a vu du pays et voyage encore beaucoup mais « je n’arrive pas à me faire à d’autres régions », dit-il.
Celle où il vit est « la plus belle de France ». Après avoir obtenu un Bac pro CGEA (conduite et gestion de l’entreprise agricole), Alexandre termine cette année son parcours en BTS mais passe déjà beaucoup de temps à la ferme. « Je ne suis pas un élève très assidu » avoue-t-il mais il devrait obtenir son diplôme sans difficultés. L’étudiant assimile vite et a la chance d’avoir « des facilités ». C’est sans doute cet esprit vif qui l’a conduit à s’intéresser à la communication dans le milieu agricole. L’aventure a commencé au lycée et depuis, il s’est fait connaître sur Tik-Tok avec « La vie en AOP Comté ». On le voit très souvent au volant du tracteur que son père lui laisse volontiers et où les tournages sont plus faciles à réaliser mais il est aussi « un grand ami des animaux ». Ce jeudi 15 juin, il était à la ferme. Pris par les travaux à l’extérieur, il a coupé le contact pour nous parler de la façon dont il communique, nous décrypter son discours. Entretien.
A 19 ans, vous avez déjà tout un vécu sur les réseaux sociaux. Quand avez-vous commencé ?
Alexandre Morel – « J’ai toujours aimé faire des petites vidéos. Ça a démarré avec le Trophée national des lycées agricoles, en 2020, au tout début du Covid. J’ai réalisé des petites vidéos du monde agricole sur Instagram et je me suis rendu compte que la transmission du métier était une passion. Je me suis dit " pourquoi ne pas me mettre sur TikTok " ».
Etes-vous sur d’autres réseaux actuellement ?
A. M. – « Non. Je suis un peu sur Instagram mais je ne poste rien de spécial dans le domaine agricole. Ca me sert plus à discuter avec mes abonnés. Je ne suis pas non plus sur YouTube car je trouve le format trop long. »
Être sur Tik-Tok est-il un moyen pour un jeune en zone rurale d’être moins isolé ?
A. M. – « Pas du tout. Je suis à 20 km de Bourg en Bresse. C’est un endroit dynamique et je suis relié à une communauté de jeunes. »
Quels thèmes aimez-vous aborder ?
A. M. – « Un peu tout. Il y a du sérieux et du pas sérieux. Je poste des belles images de notre métier pour répondre à ceux qui nous dénigrent et pour valoriser l’environnement où je vis. La ferme est située à 250 m d’altitude. D’un côté c’est le début de la montagne. De l’autre, le début de la plaine bressanne. Ce sont des paysages opposés et j’adore ce mélange. »
« On laisse beaucoup trop parler ceux qui nous dénigrent. »
Vous utilisez aussi des mots forts comme « tous corrompus » par exemple. Etes-vous vraiment révolté ?
A. M. – « J’emploie ces mots parce que c’est l’impression que j’ai. Je ressens que le modèle d’agriculture que nous proposons n’intéresse pas le syndicat auquel nous étions adhérents. Nous n’avons eu aucun soutien de leur part. Quand tu commences à dire que tu veux être indépendant, ils ne manifestent pas d’intérêt et nous considèrent comme des paysans riches. Et les coopératives ne sont pas nos grands alliés non plus.
Mais il y a beaucoup de gens qui adhèrent à mon discours, des gens qui se reconnaissent. Je suis très déçu par tous les syndicats. Je trouve qu’il n’y a pas de réponse face à l’agribashing, parfois je me demande vraiment s’ils ne seraient pas subventionnés par de grands lobbys. On a tous un téléphone. Je ne sais pas ce qu’on attend pour faire de la bonne communication. Le monde agricole est mauvais là-dessus et on laisse beaucoup trop parler ceux qui nous dénigrent. »
Vous êtes sensible à la souffrance du monde agricole. Vous estimez qu’il faudrait en parler plus ?
A. M. – « Oui. Il y a des familles d’exploitants qui ont des maisons qui fuient. Il y a quelque temps, on a enterré un ancien voisin agriculteur nivernais. Il avait quasiment l’âge de mon père et j’ai été fortement affecté. Il n’arrivait plus à joindre les 2 bouts. Pourquoi est-ce qu’on n’en parle pas ? Des agriculteurs dans cette situation, j’en connais beaucoup trop. Ma démarche est aussi celle d’un défenseur du monde agricole. »
Quel est votre public ? Votre nombre d’abonnés ? Votre meilleure audience ?
A. M. – « Des jeunes majoritairement. 57 % de mon public a entre 18 et 24 ans et 24 % entre 25 et 34. Les 35-44 ans représentent 10 % et les 45 ans et plus 8 %. J’ai à peu près 40 000 abonnés et ma meilleure audience, c’est 3 millions 600 000 vues. C’était une vidéo sur les engrais. Une autre vidéo, où je répondais à Hugo Clément sur l’élevage intensif a fait 950 000 vues. »
Avez-vous des remarques négatives ?
A. M. – « C’était ma plus grosse crainte. Mais non. Les gens sont plutôt fiers de trouver quelqu’un qui pense comme eux. »
Y-a-t-il une vidéo que vous regrettez ?
A. M. – « Il y en a une sur un broyeur d’accotement pour laquelle je m’étais fait " défoncer " par mes parents. Je ne l’ai pas postée. C’était au début, je n’avais pas forcément la même maturité des mots. Ca n’allait pas pour des questions de date et je m’en suis rendu compte avec eux. Mais globalement, mes parents adhèrent à 100 %. Ce sont mes premières fans. »
Une vidéo qui vous a plus particulièrement amusé ?
A. M. – « J’aime toutes celles que je fais avec des amis. Il y a une bonne ambiance. Je trouve ça plaisant. »
« Je suis très déçu par tous les syndicats. Je trouve qu’il n’y a pas de réponse face à l’agribashing. »
Vous fixez-vous des limites dans vos vidéos ?
A. M. – « Non pas spécialement, du moment que ça ne touche pas à ma vie privée et que ça ne détériore pas l’image de l’agriculture. Je n’ai pas envie, par exemple, de montrer une vache malade. »
Y-a-t-il des sujets qui vous ont marqué sur les réseaux sociaux ?
A. M. – « Il y a un influenceur qui a posté une vidéo sur les moyens de transport qui " font chier sur les routes ". Les critiques sur les tracteurs ont été reprises en masse par tous les agriculteurs. Il a estimé que c’était devenu " invivable " pour lui et il a dû fermer son compte. Ca peut aller très loin dans un sens comme dans l’autre. Mais il ne faut pas aller jusqu’à la haine et aux intentions de " casser la gueule ". On n’est pas là pour ça. Il faut communiquer positivement. »
Y-a-t-il des sujets qui vous énervent sur les réseaux sociaux ?
A. M. – « Tout ce qui est vidéo anti-agriculture française. Je trouve qu’ils font bien des raccourcis. Certains sujets sur l’agriculture hors de la France aussi. Les gens qui réalisent ces vidéos n’y connaissent rien et c’est bien souvent sorti du contexte. Je pense à une vidéo où on voit un éleveur qui tape une vache. J’ai visionné l’intégralité du film et en fait, on voit que la vache lui fonce dessus. Les activistes vegan aussi quelquefois. J’ai vu un débat sur un plateau télé où un militant faisait un parallèle entre nos élevages et les camps de concentration. C’est hyper déshonorant pour notre métier. Il y a un peu de tenue à avoir. On leur donne trop la parole. Dans les écoles aussi. Mes frère et sœurs plus jeunes ont assisté à des interventions où ils montraient des images d’abattoir. C’est complètement ahurissant. »
Avez-vous suivi des modèles pour vous lancer sur les réseaux sociaux ?
A. M. – « Il y a quelques YouTubers que je suivais. Je passais énormément de temps par exemple à regarder les vidéos d’Etienne Agri YouTuBeurre mais il n’a pas été spécialement mon modèle. »
Quel a été votre déclic pour vous lancer ?
A. M. – « C’est la vidéo réalisée dans le cadre du Trophée des lycées. C’est vraiment ça qui a déclenché. Les retours étaient extrêmement positifs et je me suis dit qu’il y avait une carte à jouer dans ce domaine. »
Combien de temps passez-vous sur les réseaux sociaux ?
A. M. – « C’est très variable. Quand je suis en cours, 2 à 3 h par jour. Quand je suis chez moi, 1 h à 1 h 30. Sans compter le tournage des vidéos. Là, le temps peut doubler. Je peux passer jusqu’à 1 h 30 pour certaines vidéos. Quand il y a un discours plus engagé, c’est plus long. Pour d’autres, ça peut être très rapide. Ma vidéo sur la fin des foins par exemple, je l’ai mise en ligne directement. »
A quelle cadence postez-vous vos vidéos ?
A. M. – « J’essaie de me tenir à une vidéo par jour mais ce n’est pas toujours possible. Je ne sais pas quel est le bon rythme pour les algorithmes mais ce rythme me convient. »
« Il faut du nouveau sur les réseaux sociaux (…) Les gens veulent quelque chose qui change. »
Quels conseils donneriez-vous à un agriculteur qui veut se lancer sur les réseaux sociaux ?
A. M. – « Il y a un jeune qui est venu me poser cette question récemment justement. Je lui ai conseillé d’innover. Il faut du nouveau sur les réseaux sociaux. Il faut savoir mettre en valeur de façon exceptionnelle. Un montage, un plan drone, ça ne suffit plus. Les gens veulent quelque chose qui change. Il ne faut pas hésiter à s’investir. Je lui ai dit de trouver quelque chose d’original, à lui, quelque chose qui le représente lui. »
Allez-vous poursuivre cette communication quand vous serez installé ?
A. M. – « Après l’installation, j’aurai peut-être moins le temps mais oui, j’ai l’intention de continuer tant que ça marche. Je considère que ça fait partie de notre métier. Soit, c’est nous qui parlons, soit d’autres parlent et c’est mal dit. Il ne faut pas laisser ceux qui ne connaissent pas le monde agricole parler à notre place. »
Seriez-vous prêt à communiquer ailleurs que sur les réseaux sociaux ? Sur une télévision nationale ? Auriez-vous des choses à dire à Mr Macron ?
A. M. – « Oui, je suis prêt à aller plus loin dans la communication. Je suis prêt à m’engager sur un plateau de télévision par exemple. Ce serait l’aboutissement de ce que j’ai fait. Mr Macron, ça me ferait bizarre mais pourquoi pas ? »
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