Un sursis de cinq ans…ou presque !
Aux termes de deux ans de débats difficiles, les représentants des pays membres de l'UE ont voté lundi à Bruxelles le renouvellement de l'autorisation de l'herbicide controversé.
Les représentants des vingt-huit États membres de l'UE se sont enfin mis d'accord le 27 novembre. Ils ont voté le renouvellement pour cinq ans de la licence du glyphosate. Il était temps puisque la licence actuelle expirait le 15 décembre prochain... 18 pays dont, contre toute attente, l'Allemagne, ont voté en faveur de la proposition de l'exécutif européen, 9 s'y sont opposés et 1 pays s'est abstenu, permettant d'atteindre la majorité qualifiée requise (16 États membres qui représentent 65% de la population). Pour mémoire, le 10 novembre dernier, seulement 14 pays avaient soutenu la proposition de la Commission. 9 avaient déjà voté contre, dont la France et l'Italie, deux poids lourds démographiques. 5 États s'étaient abstenus, dont l'Allemagne, qui était en pleine négociation de coalition gouvernementale.
« Au plus tard dans 3 ans » pour la France…
La veille du vote du 27 novembre, la France, par la voix de Brune Poirson, secrétaire d'État auprès de Nicolas Hulot, avait annoncé une nouvelle fois qu’elle « voterait contre le renouvellement du glyphosate pour une durée de cinq ans » préférant une durée maximale de « trois ans » pour sortir du glyphosate. Mais force est de constater que la France n'a pas réussi à faire pencher la balance de son côté dans le vote des États membres. Un constat que ne semble pas accepter le Président Emmanuel Macron qui, dans un tweet publié quelques heures après la décision européenne, a indiqué que la France reste déterminée à sortir du glyphosate « au plus tard dans 3 ans ». Le gouvernement souhaite par ailleurs «continuer, avec d'autres États membres, à peser au niveau européen pour que la Commission mène des études supplémentaires sur la dangerosité du produit et sur les alternatives pour les agriculteurs».
Réactions...
Incompréhension totale !
En réaffirmant vouloir sortir du glyphosate «au plus tard dans 3 ans», malgré la décision de l'UE d'autoriser l'herbicide pour 5 ans, Emmanuel Macron attise déception et colère des agriculteurs.
« Paris fait bande à part » déplore Christiane Lambert, présidente de la FNSEA. « Quand on aime l’Europe comme Emmanuel Macron, on en accepte les principes et les décisions même quand ils ne nous arrangent pas », a-t-elle commenté sur tweeter avant de déplorer : « ce temps politique est en décalage avec le temps de la recherche scientifique ». Et ce, d’autant plus que les agriculteurs travaillent depuis plusieurs années à la recherche de solutions alternatives.
Pour Baptiste Arnaud, président des JA du Puy de Dôme, « cette prise de position française met en place une vraie distorsion de concurrence. On va interdire le glyphosate en France et on va l’autoriser en Allemagne, en Belgique et dans tous les autres pays ?» et d’ajouter : « C’est toujours la même chose ; la France se met constamment en marge des décisions européennes ; elle surenchérit en voulant toujours faire mieux que ses collègues européens sans jamais tenir compte de l’intérêt de ses agriculteurs ». Pourtant, ce n’est pas faute pour le syndicalisme agricole de se mobiliser pour dénoncer ce genre de prise de position et d’éviter de tels écueils. « Dans notre engagement syndical, il ne se passe pas une semaine sans que nous soyons sollicités sur des questions environnementales. Et nous n’avons plus le temps pour développer des solutions techniques et nos filières » regrette le président des jeunes agriculteurs
Pour Xavier Chocheyras, producteur de grandes cultures en Limagne, c’est l’incompréhension : « 5 ans ou 3 ans, peu importe. La question n’est pas là ! A l’heure où on parle de conservation des sols, de simplification d’usage des sols, où l’on réalise de plus en plus de semis directs, on est en passe de nous interdire le glyphosate alors que son usage est indispensable à ce type de conduite…comment va-t-on faire ? » interroge-t-il. « Une interdiction brutale du glyphosate conduirait une majorité d’agriculteurs à revenir à des substances abandonnées il y a plusieurs années, car plus dangereuses, ou à utiliser deux produits au lieu d’un seul. »
Dénonçant ce qu'il estime être une incohérence de la politique commerciale et économique française, Eric Thirouin, secrétaire général adjoint et président de la commission environnement de la FNSEA, cite l'exemple de l'accord de libre-échange conclu avec le Canada, qui permet d'importer des produits dont l'utilisation est pourtant prohibée en France. «Dans l'accord du Ceta, il y a 46 substances interdites en France qui sont autorisées à venir en France du Canada. On dénonce la distorsion de concurrence créée par la France» clame- t-il. « La solution d'avenir ce ne sont pas les interdictions avec des impasses», poursuit Eric Thirouin.
Trente organisations agricoles, il y a une dizaine de jours, ont décidé de lancer un contrat de solution.
« On veut un soutien fort du gouvernement pour nous aider à trouver des solutions et non pas des interdictions : par exemple, la recherche variétale, les solutions de bio-contrôle à booster, le numérique, les robots pour désherber… D'ici le premier trimestre 2018, on va travailler à la signature de ce contrat » indique le secrétaire général de la FNSEA
Un « contrat » dans lequel sont investis l’AGPB, l’AGPM, la CGB et la FOP. Dans un communiqué, les quatre organisations se déclarent «prêtes à s’engager pour trouver des solutions alternatives à l’image de celles qu’elles ont proposées dans le cadre du « contrat de solutions » aux côtés de la FNSEA». Mais elles rappellent que les producteurs ont le sentiment de n’être qu’une variable d’ajustement pour faciliter des arbitrages politiques. Face à ce mépris affiché à leur égard, ils veulent des Pouvoirs publics une réponse claire : pour eux, l’agriculture est-elle un secteur économique stratégique pour notre pays qu’il faut encourager ou détruire ? »
Propos recueillis par C.Rolle