Rugby : “Apprendre à plaquer différemment et faire évoluer les règles”
Comment faire pour que les phases de plaquage ne tuent plus dans le rugby ? Éléments de réponse avec le docteur Laurent Caumon, du centre hospitalier d’Aurillac.
Louis Fajfrowski, Aurillac, 21 ans, décédé le 10 août. Adrien, Billom, 17 ans, décédé le 20 mai. Nicolas Chauvin, Stade français, 18 ans, décédé le 9 décembre. Trois feu jeunes joueurs qui marqueront à tout jamais l’histoire du rugby. Leur mort, provoquée par des faits de jeu, aura engendré une vague d’émotion, mais aussi une onde de choc jusqu’aux plus hautes instances internationales de la discipline. Leur destin est dramatique, mais il évitera peut-être d’autres drames. Faut-il changer les règles du rugby ? Faut-il mieux prendre en charge les commotions cérébra-les ? Faut-il interdire le plaquage à deux ? Des réponses, le docteur Caumon, chef du pôle de médecine d’urgence, de médecine préventive et d’addictologie du centre hospitalier d’Aurillac, n’en a pas de toutes faites. Mais le médecin, référence en matière de protocole commotion sur le département, se fait un devoir de prévenir, conseiller, former, éducateurs, parents, jeunes licenciés, monde médical. Pour ne pas ajouter un nom de plus à cette série noire...
Comment définir une commotion cérébrale ?
Dr Laurent Caumon : “D’une manière générale, c’est un choc à la tête. Il faut savoir que le cerveau a une structure très gélatineuse. Il mature de l’arrière vers l’avant et le cortex pré-frontal arrive à maturité que vers 23-25 ans. Et c’est lui qui fait la différence avec le primate, c’est grâce à lui qu’on réfléchit, qu’on résoud des problèmes, qu’on a des comportements sociaux,... Dans le cas d’une commotion, le cerveau va aller d’avant en arrière dans sa boîte. On parle de lésion de coup, en frontale, et de contre-coup, derrière. Les nerfs sont touchés, des neurones cérébraux vont se désolidariser et mourir. En plus du coup initial, il y a une mort de neurones à distance du fait de ces lésions. Au départ, on parle de suspicion. Le diagnostic de commotion ne se pose donc qu’a posteriori.”
Un joueur doit-il sortir si l’on suspecte une commotion ?
L. C. : “Après un traumatisme comme celui-là, si le joueur reste sur le terrain, il prend le risque de subir un second impact. La pression intracrânienne va augmenter, ce qui peut provoquer la mort du patient rapidement ou dans les jours d’après. C’est à l’arbitre de prendre la décision s’il constate que le joueur est potentiellement commotionné, quel que soit le niveau, avec un protocole carton bleu. Il y a ensuite les éducateurs, les entraîneurs et, pour le haut niveau, les médecins sur le bord de touche.”
Sur quels critères l’arbitre peut-il évaluer cet état ?
L. C. : “Plusieurs symptômes sont répertoriés sur des fiches internationales : l’amnésie, les convulsions, les maux de tête, la perte d’équilibre,... Mais attention, la perte de connaissance n’est pas obligatoire pour suspecter une commotion. Une fois sorti, le joueur subit plusieurs tests, sur environ une quinzaine de minutes : équilibre, mémoire immédiate et différée, orientation... Sa licence est bloquée tant qu’il n’a pas vu un médecin qui, en fonction de diagrammes, lui fait passer, ou pas, un scanner.”
Quel est le suivi médical d’un joueur commotionné ?
L. C. : “Ce qui est nouveau, c’est le repos cognitif. C’est-à-dire que le jeune joueur commotionné le samedi est au repos complet dimanche et lundi, sans écran ni lecture. Le mardi, il peut faire ses devoirs, mais ne va toujours pas à l’école. Mercredi, il est à temps partiel et le jeudi, il reprend à temps plein. Si un trouble X ou Y réapparaît, il devra à nouveau respecter ce protocole depuis le début. D’un point de vue sportif, on distingue les plus de 18 ans des moins de 18 ans. Il y a 15 jours de repos complet et ce n’est seulement qu’à partir de la troisième semaine que l’on reprend progressivement. À J28, il peut revenir à la compétition, avec un certificat, pour débloquer sa licence. Une reprise prématurée perturbe la guérison, on doit donc rester dans la zone de confort, pratiquer une activité, mais pas trop. Depuis septembre, j’ai reçu une quinzaine de jeunes Cantaliens victimes de commotions. J’estime qu’après deux commotions en douze mois, le moins de 18 ans devrait arrêter le rugby et consulter un neurologue.”
Comment les instances du rugby réagissent-elles face à cette problématique ?
L. C. : “La Fédération française de rugby en a pris très rapidement conscience, avec une vraie volonté de progresser. Le sport de haut niveau a changé. En 20 ans, les professionnels ont pris 20 kg de masse musculaire. Donc l’intensité du choc est décuplée... Même si en ce moment, on a l’impression que le rugby est un mauvais élève, ce qui est paradoxal, c’est que la FFR est plutôt bon élève en matière de prévention... Il faut encore se mobiliser bien sûr, mais ce qui est fait est déjà énorme.” Le rugby est en train de modifier ses règles : fin des plaquages à deux, interdiction des plaquages au-dessus de l’abdomen(1),...
Cela permettra-t-il d’éradiquer les commotions dans ce sport ?
L. C. : “Des commotions, il y en aura toujours, on n’y peut rien, c’est un accident. Le rugby restera un sport de contact quoi qu’il arrive. Du moment où on peut tomber, on peut faire une commotion cérébrale. La visite médicale ne peut pas être plus poussée qu’actuellement car il n’y a pas de signe prédictif d’une commotion. La prévention, ça passe par l’apprentissage. Il faut faire évoluer la manière d’entraîner les gamins, optimiser ces techniques individuelles de plaquage et les éducateurs y sont extrêmement plus sensibles, ils sont très vigilants. On a par exemple abouti à la quasi-disparition des lésions du râchis cervical après avoir revu les règles d’apprentissage de la mêlée. Les règles doivent de toute manière évoluer : le physique des joueurs a changé, les mecs de 120-130 kilos sont aujourd’hui capables de courir le 100 m en moins de onze secondes. On n’avait pas des gabarits comme ça avant. Sauf que le règlement, lui, est le même depuis 10 ou 15 ans. On ne modifiera pas le physique des joueurs. Par contre, on peut apprendre différemment et faire évoluer les règles.”
(1) La FFR et la Ligue du rugby ont proposé aux dirigeants de World Rugby l’abaissement de la ligne de plaquage au niveau de la ceinture, l’interdiction des plaquages à deux et de pénaliser les plaquages tête contre tête.