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Radicalisation dans le sport : aucun territoire ni sport n’est hors cible

Ancien gendarme et ancien DTN de la Fédération française de kick-boxing, Médéric Chapitaux veut sensibiliser sur la radicalisation dans le sport “sans parano mais sans angélisme”.

Le danger qui nous guette, “c’est de ne pas vouloir en parler, d’être dans l’angélisme”, estime l’expert.
Le danger qui nous guette, “c’est de ne pas vouloir en parler, d’être dans l’angélisme”, estime l’expert.
© UC

À 43 ans, Médéric Chapitaux a déjà un parcours professionnel long comme le bras, à la croisée de deux domaines qui, a priori, se sont longtemps ignorés. Déjà retraité de la gendarmerie après plus d’une quinzaine d’années, il rejoint en 2010 un autre ministère, celui des Sports, où il a œuvré comme directeur technique national de la Fédération française des sports de combat. En 2014, il choisit de se mettre en disponibilité, jette un pavé dans la mare via un ouvrage au titre édifiant - “Le sport, une faille dans la sécurité de l’État” - et entame un doctorat en sociologie sur le thème de la radicalisation dans le sport. Un sujet qu’il est venu développer hier soir lors d’une conférence à Aurillac à l’invitation de la préfecture, de l’association Acc’Ent Jeunes et du Cdos. Sans langue de bois, Médéric Chapitaux(1) a dépeint un constat sans concession sur une situation loin d’être l’apanage des seuls quartiers de banlieue. Sans concession et sans épargner personne, y compris son ancien ministère. Un constat lucide sans alarmisme, sans amalgame ni angélisme.

Comment en êtes-vous arrivé à ce constat d’une radicalisation souterraine du milieu sportif ?

M. C. : “Dès 2010-2011, j’ai fait le constat, en arrivant au ministère des Sports, qu’il y avait des failles dans le dispositif, j’ai commencé à repérer des marqueurs liés à la religiosité. Ce phénomène n’a fait que se développer. Et dès 2014, j’ai identifié deux problèmes majeurs : la criminalité organisée dans le sport et la problématique de radicalisation. J’avais à l’époque alerté très fortement ma hiérarchie sur ce processus de radicalisation. Mais l’islam n’est pas le seul visé. Comme Olivier Roy(2), moi je parle d’islamisation de la radicalité et pas de radicalisation de l’islam.”

Vous parlez de marqueurs, quels sont ces signaux ?

M. C. : “Pendant des décennies, la religion, quelle qu’elle soit, est restée dans la sphère privée. Et puis on a vu apparaître de plus en plus de demandes liées aux pratiques ou fêtes religieuses : des horaires à respecter, des régimes alimentaires... On n’était pas préparé à ça, on était éduqué à la neutralité du sport. Le monde sportif s’est interrogé mais de manière discrète. On aurait peut-être dû alors intervenir plus tôt pour rappeler les règles du sport et éviter de laisser s’immiscer la pratique religieuse. Et puis il y a eu les attentats et on s’est rendu compte que les frères Merah, Kouachi, Abdeslam, les auteurs des tueries de Paris, Nice, Saint-Étienne-du-Rouvray, tous ont pratiqué la boxe thaï, le foot,... et s’y sont croisés à un moment...”

Tous les sports sont-ils concernés de la même manière ?

M. C. : “Il y a trois familles d’activités déclarées comme des endroits posant problème : les sports de combat, la musculation, le futsal.  Je reprends une autre phrase choc d’Olivier Roy, dont je précise qu’il n’est pas mon mentor : “Le club de sport de combat est plus important que les mosquées dans la radicalisation djihadiste.” Pourquoi ces trois familles sont-elles ciblées ? Parce qu’elles ont des vertus “utilitaristes” : s’entraîner au combat, renforcer sa musculature... Quant au futsal, c’est surtout un travail sur la cohésion. Les premiers terroristes kamikazes recrutés par le Hamas ont tous été sélectionnés au sein d’une équipe de foot formée pour ça. Le futsal, c’est la résultante d’une politique publique après les émeutes dans les banlieues en 2005. On a créé plein de salles de futsal pour occuper les jeunes sans prévoir aucun encadrement. Le futsal n’est passé sous fédération qu’en 2012 et la musculation n’est pour l’instant pas encadrée, restant dans le secteur marchand ou associatif. Mais on voit apparaître aussi des problèmes dans des fédérations comme la lutte, notamment avec des ressortissants des pays de l’Est. Il y a également un regard posé aujourd’hui sur le basket, notamment féminin, dans des disciplines comme l’athlétisme avec des coureurs/ses de fond... Et puis il y a une kyrielle d’activités sur lesquelles on me fait remonter des cas : en patinage artistique où des ados ont décidé de patiner voilées sur une musique religieuse, au twirling bâton où un garçon a disparu des radars pendant plusieurs mois avant de revenir transformé et d’être ramené dans le giron sportif et éducatif in extremis... Il y a aussi des gens de l’UNSS qui s’inquiètent de dérives dans le sport scolaire. On peut d’ailleurs aussi se questionner sur la réforme des rythmes scolaires qui a fait rentrer des éducateurs sportifs non diplômés, faute de budget, via des conventions passées avec des associations.”

Loin de la concentration des grandes métropoles, un département comme le Cantal est-il aussi touché ?

M. C. : “Pourquoi ne le serait-il pas ? Le Jura, d’où je viens, comme le Cantal, le sont potentiellement à des degrés divers mais on n’y a pas les filtres pour identifier le phénomène. On se croit préservé, alors qu’en Haute-Saône, on a découvert des gens qui se sont radicalisés, sont partis en Syrie sans qu’on n’ait rien vu. La question est “comment se former à identifier ce type de profils sans tomber dans la parano ni la stigmatisation ?” Aujourd’hui, il faut essayer de réfléchir autrement. Le grand danger qui nous guette, c’est de ne pas vouloir en parler, d’être dans l’angélisme qu’on pourrait associer au monde rural.” Quels sont les signaux qui doivent inquiéter ?

Et justement comment prévenir ?

M. C. : “La première des choses, c’est de sortir des trois singes de la sagesse c’est-à-dire ne rien voir, ne rien dire, ne rien entendre. Le meilleur moyen de protéger nos enfants, la population, c’est d’accepter que ça existe, accepter d’écouter et d’en parler. Après, il y a des signaux faibles qu’on peut repérer, encore faut-il qu’ils soient connus. Il faut donc que ces attitudes, signaux soient publiés pour que les éducateurs, les clubs se les approprient et les contextualisent à leur milieu. Le gars qui se laisse pousser la barbe n’est généralement pas celui qui pose problème. Il y a aussi un autre axe de réflexion, c’est celui des éducateurs sportifs recruteurs qui peuvent embrigader les jeunes.”

Les clubs, comités départementaux, fédérations... sont-ils justement bien armés et accompagnés pour faire face ?

M. C. : “Le fait de dire que le sport est touché par la radicalisation blesse profondément les acteurs sportifs et les laisse souvent incrédules. On touche au mythe du black-blanc-beur, qui a été une supercherie phénoménale. Le sport bénéficie d’une telle image de marque en tant que vecteur d’intégration, que cette réalité est très dure à entendre. Et je pense que si les services déconcentrés du ministère de l’Intérieur ont pleinement conscience de la problématique, le ministère des Sports est lui très, très, très loin du niveau requis pour accompagner les autres services de l’État. Et le fait que les autorités locales à l’initiative de ce type de conférence - DDCSPP, Cdos...- ne soient pas soutenues par l’autorité centrale qu’est le ministère en charge des Sports atteste d’une forme de déni actuelle. Il n’est d’ailleurs pas rare que je reçoive des appels a posteriori pour me demander d’infléchir un peu mon discours... qui, c’est vrai, est un choc et fait un peu mal pour le monde sportif mais je dis les choses avec respect, sur la base de documents vérifiables. Mon but est de faire prendre conscience que la radicalisation existe même dans le sport.”

 

(1) Par ailleurs auditeur à l’Institut national des hautes études de Sécurité et de la Justice (INHESJ).

(2) Politologue français spécialiste de l’islam.

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