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PROJET. De l’économie, de l’agronomie et surtout de l’humain

À Saint-Martin-la-Méanne, 3 jeunes agriculteurs ont concrétisé leur volonté de travailler ensemble grâce à la mise en place d’un atelier poules pondeuses.

Les 3 associés ont reçu leur premier lot de pondeuses au mois d’avril. De gauche à droite : Quentin Flotte, Alexis Aussoleil et Emmanuel Lissajoux
Les 3 associés ont reçu leur premier lot de pondeuses au mois d’avril. De gauche à droite : Quentin Flotte, Alexis Aussoleil et Emmanuel Lissajoux
© UP19

À Saint-Martin-la-Méanne, le bien nommé Gaec des vaches à plumes est le fruit d’une aventure humaine peu commune. Constitué le 1er janvier 2020, il réunit 3 jeunes agriculteurs : Emmanuel Lissajoux, âgé de 38 ans et installé depuis 2008, Alexis Aussoleil et Quentin Flotte, tous deux âgés de 26 ans et tous deux installés hors du cadre familial à la création du Gaec. Sur 150 ha, les 3 associés conduisent 90 mères limousines et 20 064 pondeuses.

La génèse
Alexis est commercial dans un garage automobile. Épris d’agriculture, il réfléchit aux possibilités d’installation mais ne dispose que de 10 ha de propriétés familiales. Quentin, lui, est originaire d’Aurillac. Non issu du monde agricole, il affirme très tôt son envie de devenir agriculteur. Il obtient un Bac Pro CGEA puis un BTS en apprentissage réalisé chez un exploitant de Marcillac la Croisille qui deviendra son cédant. Ce dernier n’a pas atteint l’âge de la retraite mais entend lever le pied. Il propose à son apprenti de reprendre une partie de l’exploitation comprenant 40 ha, un bâtiment et 25 vaches. Emmanuel, de son côté, désire ne pas rester seul. Avec Alexis, son cousin, ils explorent les pistes d’une association. Puis c’est au travers des JA du canton de la Roche Canillac qu’ils côtoieront Quentin et finiront par envisager un projet à trois. Peu motivés à l’idée de courir d’improbables hectares, les 3 collègues fouillent du côté des filières hors-sol. Sans diplôme agricole, Alexis est parti à Naves. Il obtient un BPREA et réalise différents stages. Celui en poules pondeuses constituera le déclic. Loin de constituer une solution « par défaut », ce type d’élevage passionnant emporte l’adhésion des 3 éleveurs.

Un modèle économique sécurisant
L’investissement du poulailler se chiffre à près d’1 million d’euros, subventionné par la Région à hauteur de 101 000 €. Les oeufs sont commercialisés au travers de la coopérative Capel, à un prix contractualisé sur 15 ans et indexé sur le coût de l’aliment. Le Gaec bénéficie d’un acompte de 0,19 € par poule et par mois (soit environ 3 800 €) et d’une « prime bâtiment » de 3 € par poule et par an (soit 60 000 €) qui couvre l’amortissement du bâtiment. En fin de cycle, un bilan est réalisé entre les produits livrés par l’exploitation (oeufs et poules de réforme), les charges avancées par la Coopérative (fourniture des pondeuses et d’aliment) et les acomptes versés. L’activité n’a débuté qu’en avril mais les résultats techniques laissent déjà espérer un résultat supérieur aux objectifs. « Nous avançons directement les charges d’énergie, de produits vétérinaires et de bâtiment. Une fois le tout déduit, nous espérons une marge nette avant MSA de 70 000 à 80 000 € par an ».
À cela s’ajoute le bénéfice du fumier. « Nous tablons sur 400 à 500 tonnes de fientes, dosées à 25 unités en N, P et K. De quoi apporter 3 à 4 tonnes par ha et par an. Nous n’avons plus à acheter d’engrais et nous ne pouvons qu’améliorer notre assolement et l’autonomie fourragère du troupeau allaitant. C’est une activité très complémentaire de l’atelier bovin » affirment les associés.
Côté travail, les 3 premières semaines suivant l’arrivée des poules sont un peu chargées. « Il faut d’abord les éduquer ». Les 16 mois suivants, en routine, la charge de travail est estimée à 0,5 ETP. C’est Alexis qui pilote l’atelier mais ses deux associés sont à même de le remplacer plusieurs jours. « Le travail du quotidien reste facile » témoignent-ils. L’essentiel des tâches (éclairage, alimentation, abreuvement, curage, ventilation, ouverture des trappes ou des nids) sont pilotées depuis un ordinateur central avec des programmes personnalisables. Différentes sondes enregistrent tout et signalent le moindre problème à l’exploitant via son smartphone. L’ordinateur fournit également en temps réel de nombreux indicateurs permettant aux éleveurs d’ajuster leurs pratiques (eau consommée, quantité d’aliment, nombre d’oeufs…). Les poules sont même pesées quotidiennement à l’aide d’une balance où elles passent et repassent de manière aléatoire. À noter qu’aucun système de chauffage n’est nécessaire.

Le cycle
Les poules arrivent à l’âge de 16/17 semaines et débutent la ponte 15 à 20 jours plus tard. Elles seront réformées après 16 mois de ponte. 4 formules d’aliment sont prévues au cours du cycle en fonction de leurs besoins (fin de croissance, pleine ponte…). Le taux de ponte objectif est de 97 % mais a baissé à 94 % lors des épisodes caniculaires. Les oeufs sont collectés sur un tapis, pré-triés à la main, emballés automatiquement en alvéoles de 30, puis entreposés dans un local climatisé avant d’être collectés une fois par semaine par la coopérative. Pour l’heure, les oeufs initialement prévus pour la consommation partent en casserie* à Poitiers.

Le choix du bâtiment
Les associés insistent sur l’importance de la conception du bâtiment. « Nous sommes très satisfaits du système volière. Nous avons travaillé avec l’entreprise BFC Constructions rencontrée au Sommet de l’élevage. Outre un grand professionnalisme dans la conception du bâtiment, elle nous apporte aussi beaucoup de conseils techniques. » Le bâtiment mesure 105x18 mètres auquel s’ajoute une fumière bétonnée et fermée pour le stockage des fientes, acheminées par tapis. Les trappes s’ouvrent sur un parc de 8 ha (4m² par poule), sur lequel ont été implantées des haies. Les associés réfléchissent à installer également des ombrières photovoltaïques. Le parc est protégé par un grillage plaqué au sol sur 50 cm à l’extérieur. « Inutile d’enterrer le grillage car le renard ou la fouine cherchera toujours à creuser. En le plaquant au sol, les prédateurs tombent nez à nez avec le grillage et abandonnent ». L’alimentation du bâtiment en eau est assurée de manière autonome par un captage réalisé à 800 m, sur le site des bovins. « Nous recherchions l’autonomie pour des raisons économiques, mais aussi pour faire taire les craintes de certains riverains ». Car, comme souvent en pareil cas, la réalisation du projet n’a pas été un long fleuve tranquille et les jeunes éleveurs ont dû affronter l’opposition de quelques voisins. Une pétition a même circulé au titre de l’accaparement de l’eau, du risque de pollution, des nuisances sonores et olfactives… Des arguments habituels mais peu éloquents, qui n’ont pas tenu face à un projet mené de manière irréprochable. Le Gaec des vaches à plumes revendique avec fierté la production de plus de 6 millions d’oeufs de qualité par an, soit la consommation d’environ 30 000 personnes.

Damien Valleix

* Une casserie d’oeufs est une usine où les oeufs sont cassés et conditionnés pour l’industrie agroalimentaire

OEufs : les producteurs satisfaits mais vigilants

Les producteurs d’oeufs ont de quoi se réjouir. Les chiffres présentés par le CNPO portent à l’optimisme avec une hausse des achats des ménages de +2,7 % sur les huit premiers mois de l’année 2022 comparée à la même période de l’année de référence 2019. « Ces achats ont été tirés par la hausse des achats d’oeufs de poules élevées au sol (+187 %), en plein air (+19 %) et en bio (+ 4 %). Les achats d’oeufs retrouvent leur rythme de croissance pré-Covid », a indiqué Yves-Marie Beaudet, président du CNPO. Répondant aux attentes des consommateurs en matière de bien-être animal et en qualité, les oeufs dits alternatifs prennent toujours plus le pas sur les oeufs issus de poules en cages. « Ils représentent aujourd’hui 67 % du mode de production en France contre une moyenne européenne de 58 % », a précisé Yves-Marie Beaudet. Depuis 2013, les élevages en cage disparaissent au rythme de 9 % chaque année et son remplacés par des élevages bio (+11 %), Label rouge (+4 %), plein air (+ 9 %) et au sol (+ 15 %). Présenté comme le produit anticrise par excellence, car financièrement abordable et nutritionnellement complet, il est considéré par 91 % des Français (*) comme « incontournable ».

Malgré ces bons résultats et cette bonne notoriété, les producteurs d’oeufs restent sur le qui-vive avec une grippe aviaire qui reste toujours présente, notamment dans la faune sauvage. Les aviculteurs appellent d’ailleurs à « la plus grande vigilance » en mettant les animaux à l’abri, en appliquant les mesures de biosécurité et en renforçant les autotests. « Tout le monde est en alerte maximale », a rappelé Yves-Marie Beaudet.

La filière doit aussi faire face au surcoût de l’élimination des poussins mâles qui « nécessitent de lourds investissements dans les couvoirs, de l’ordre de 50 millions d’euros sur une année, soit près d’un million d’euros par semaine », a souligné Yves-Marie Beaudet. Mais comme seules la France et l’Allemagne sans doute rejointes par l’Italie en 2026 sont les seuls pays à s’engager dans cette démarche, les professionnels de l’oeuf craignent une distorsion de concurrence. En effet, « le poussin coûte 0,85 euros pièce à l’achat. L’ovosexage s’élève lui à 1,10€/poussin », a précisé le président du CNPO qui demande « une harmonisation européenne ».

(*) Selon une enquête CSA de mai 2022
Christophe Soulard

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