Pour une régulation de la financiarisation du marché foncier
Tandis que la part de sociétés agricoles parmi les propriétaires fonciers en France augmente, l’achat de 900 ha dans l’Allier par un groupe chinois relance l’attention sur une faille du contrôle des structures.
Voilà quelques semaines, la profession agricole s’alarmait à la découverte de l’achat de 900 ha de surfaces céréalières dans l’Allier par le groupe China Hong Yang, spécialisé dans la fabrication et la commercialisation d’équipements pour les stations-service et l’industrie pétrolière. L’investisseur a pu contourner le droit de préemption des Safer sur les terres agricoles, en acquérant 98 % des parts sociales de sociétés agricoles. Cette fois – à la différence d’une première acquisition début 2016 de 1 700 ha dans l’Indre par ce même investisseur et des associés – la Safer a été avertie de la transaction, mais n’a pu intervenir.
La loi contre l’accaparement des terres du précédent gouvernement, partiellement invalidée par le Conseil constitutionnel en mars dernier, permet en effet à la Safer d’être informée, mais ne lui laisse la possibilité d’intervenir que lorsqu’il y a cession de la totalité des parts sociales. « Cette transaction met en évidence la faille de nos moyens de réguler le marché des terres agricoles en France, affirme le président de la Fédération nationale des Safer, Emmanuel Hyest. Et cela remet en cause le modèle d’agriculture familiale que nous défendons. Nous y voyons un risque pour l’autonomie alimentaire du pays, les capitaux pouvant repartir aussi vite que venus, ceci ayant des conséquences négatives sur les filières et l’organisation sociale des territoires. Elle traduit la financiarisation de ce marché. Voilà 10 ans, il n’y avait pas de terres détenues par des sociétés à capitaux, on ne comptait que des GFA. Depuis 2016, on compte 15 à 20 % des terres propriétés de sociétés. »
Loi contre loi
S’il ne met bien sûr pas en cause l’achat par des étrangers en tant que tel, un mouvement qui ne date pas d’hier, Emmanuel Hyest dénonce le défaut de transparence de ces transactions. Il s’inquiète de la spéculation attachée à ces prises de participation qui concourent à une augmentation des prix du foncier* « néfaste si elle n’est pas corrélée à la valeur ajoutée à l’hectare ». « Nous voulons que les mêmes contrôles s’exercent tant sur les individus que sur les sociétés propriétaires de terres agricoles », plaide-t-il. La FNSafer est déjà intervenue en ce sens. « Nous avons rencontré le ministre de l’Agriculture et nous espérons que notre objectif commun soit d’entamer en 2018 une réflexion pour modifier la loi foncière, de façon à remettre à plat les modalités de contrôle et simplifier les mesures. Je pense qu’il convient d’éviter de réagir en urgence et nous espérons qu’en 2019 une nouvelle loi sera proposée au Parlement ». Les discussions à venir poseront une question importante, celle de la régulation du marché foncier. « Ce sujet n’est pas corporatiste, c’est un vrai sujet de société. Une importante modification des structures de propriété des terres et des flux importants de capitaux fragiliseraient la production alimentaire et transformeraient l’image de l’agriculture et de notre pays. Songez au Royaume-Uni où la financiarisation a tout changé en 30 ans », affirme le président de la FNSafer. Le maintien d’un contrôle des structures n’est pas une bataille gagnée d’avance. Il suffit de noter l’article 30 du projet de loi présenté en Conseil des ministres, le 27 novembre, « pour la simplification et le droit à l’erreur », dont l’intitulé a été modifié pour devenir « loi pour un État au service d’une société de confiance ». Il y est prévu, en effet, une expérimentation pour « alléger, dans certains départements ou régions, le contrôle des structures des exploitations agricoles pour le réserver aux situations qui le justifient ». Un projet contre lequel ont vivement réagi les organisations agricoles. « La FNSafer n’est pas directement concernée, mais je rejoins les OPA pour affirmer qu’un contrôle des structures doit être maintenu », répond Emmanuel Hyest. Récemment, le ministre de l’Agriculture, Stéphane Travert, a précisé qu’il s’agissait, selon lui, d’expérimentations d’allégements, et non de suppression du contrôle des structures.