« Nous voulons faire avec les agriculteurs, pas contre eux »
Thierry Burlot, président du comité de bassin Loire-Bretagne et Valéry Morard, directeur général adjoint de l’Agence de l’eau reviennent sur les points d’opposition avec la profession agricole autour du nouveau SDAGE.
L’Agence de l’eau Loire-Bretagne présentait la semaine dernière son nouveau SDAGE aux élus, collectivités, agriculteurs, industriels, associations de protection de l’environnement et représentants de l’État. Ce schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux planifie, pour les six années à venir, un programme de mesures qui tente de répondre à la difficile équation de préserver les milieux aquatiques tout en satisfaisant les différents usages de l’eau des multiples consommateurs (agriculteurs, industriels, eau potable...). Toutefois, la profession agricole pointe du doigt ce nouveau schéma qui, selon elle, « n’intègre pas les conclusions du Varenne de l’eau » et dont « les mesures sont insuffisantes pour répondre aux enjeux de l’eau ». Les FNSEA/FDSEA et la Coopération agricole du réseau Loire-Bretagne (une trentaine de structures selon le syndicat agricole) ont déposé, le 26 septembre dernier, un recours contentieux devant le tribunal administratif d’Orléans engageant ainsi une bataille judiciaire à l’encontre du SDAGE et de l’Agence de l’eau Loire-Bretagne. Thierry Burlot, président du comité de bassin Loire-Bretagne et Valéry Morard, directeur général adjoint de l’Agence de l’eau s’expriment pour la première fois dans la presse sur cette opposition.
Quelle est votre réaction face à ce recours contentieux déposé par la profession agricole ?
Thierry Burlot : J’entends surtout, dans cette action, la très grande inquiétude des agriculteurs et elle est légitime. Pendant longtemps, tous autant que nous sommes, nous avons considéré l’eau comme une ressource inépuisable dans notre pays. Les agriculteurs travaillent la nature chaque jour. Ils sont les premiers à se rendre compte, et à subir, les déficits pluviométriques. Je comprends qu’ils soient inquiets ; qui ne l’est pas dans ce contexte où tous les éléments sont réunis pour créer des tensions ? L’eau est indispensable aux agriculteurs mais elle l’est aussi à d’autres. Elle participe pour 80 % à la production énergétique française. Cet été, plusieurs centrales nucléaires ont risqué d’être arrêtées. La ville de Nantes était à deux doigts de ne plus avoir d’eau ! Ce nouveau SDAGE est là pour tenter d’anticiper les effets du changement climatique sur nous, tout en trouvant les moyens de couvrir les besoins en eau pour tous.
Justement, la profession agricole qualifie ce nouveau SDAGE de « peu ambitieux » et lui reproche surtout « de ne pas intégrer les conclusions du Varenne de l’eau »...
Valéry Morard : Le SDAGE est un document de planification établi durant le comité de bassin où tous les acteurs du territoire sont représentés. Les agriculteurs le sont également en quantité et en qualité, avec des représentants très pointus sur le sujet. Dans les négociations, l’agriculture est, après les collectivités territoriales, l’acteur qui pèse le plus lourd. Quant aux conclusions du Varenne de l’eau, elles ne sont pas intégrées en raison d’un défaut de calendrier. Le Varenne s’est ouvert alors que les discussions du SDAGE étaient d’ores et déjà avancées.
Les orientations du SDAGE ne semblent pas consensuelles puisqu’un recours a été déposé ?
TB : Le recours repose principalement sur les zones humides périphériques. Nous avons fait le choix à l’Agence de l’eau de les préserver pour maintenir la capacité d’absorption des sols. C’est une solution de stockage, comme d’autres, pour soutenir l’étiage en période estivale. Contrairement à ce qui est répandu, l’Agence de l’eau n’est pas contre le stockage de l’eau. Nous avons signé les autorisations pour les bassines dans les Deux-Sèvres !
V.M : Le SDAGE est un outil qui s’impose parce que nous allons devoir faire face à de plus en plus de pénuries d’eau mais il est faux de penser qu’il est coercitif à tous les niveaux ! Il y a eu vis-à-vis de ce schéma un défaut d’appropriation.
Les agriculteurs reprochent à l’Agence de l’eau Loire-Bretagne d’être trop restrictive et de veiller davantage aux intérêts de l’aval que de l’amont. Que répondez-vous à cela ?
TB : La région AuRA a la particularité d’être sur trois bassins différents et, oui, certains veulent faire croire que le SDAGE Loire-Bretagne est trop contraignant. Plus vous êtes en amont d’un bassin plus la compréhension des actions est compliquée. Vous voyez beaucoup d’eau tomber et vous pensez qu’elle s’échappe chez les autres. C’est une erreur de croire que les bassins sont indépendants des uns des autres. De l’eau est pompée en Auvergne pour remplir le barrage de Villefort en Lozère et soutenir l’étiage de l’Ardèche.
Il y a quelques années, l’Agence de l’eau Loire-Bretagne s’opposait au stockage de l’eau. Il semble que vous ayez réajusté votre positionnement ?
V.M : Le bilan pluviométrique de cette année est négatif. Le barrage de Naussac va nécessiter un an de pluie pour revenir à son niveau normal. Nous ne pouvons pas créer de nouvelles ressources en eau mais nous pouvons trouver des substitutions.
T.B : Le stockage de l’eau profite à tous : aux agriculteurs, aux industriels, aux collectivités... Mais comment le finance-t-on ? Je n’ai pas envie d’accompagner les agriculteurs dans ces projets pour qu’ils se retrouvent seuls au milieu du gué ! L’eau est un bien commun qui profite à tous. Nous devons parvenir à une gestion commune. Nous voulons le faire avec les agriculteurs, pas contre eux !
Joël Bialoux, élu Chambre d’agriculture de la Creuse en charge du dossier eau :
« Le nouveau SDAGE est beaucoup plus prescriptif que les précédents. Il laisse peu de marges de manœuvre aux SAGE (schéma d’aménagement et de gestion de l’eau) qui ont la charge d’adapter et d’appliquer les orientations du schéma directeur aux territoires. L’action des SAGE est de ce fait réduite et nous sommes confrontés à des mesures peu adaptées et contraignantes. Les SAGE devant à minima mettre en application le Sdage, il n’y aura que des contraintes supplémentaires pour les agriculteurs. C’est pourquoi la Chambre d’agriculture soutient le recours contentieux déposé par la FNSEA et la Coopération Agricole.
Notre territoire est à l’amont du bassin couvert par l’Agence de l’eau Loire-Bretagne. Alors oui, nous voyons de l’eau tomber puis partir mais qu’elle profite aux autres n’est pas ce qui nous dérange, contrairement à ce qui est affirmé par Thierry Burlot. Si nous tenons à stocker et garder cette eau en période haute, c’est pour mieux la relâcher en période d’étiage. Elle ne profitera alors pas seulement aux agriculteurs mais à tout le monde grâce aux réserves multiusage (abreuvement, eau potable, lutte incendies, alimentation des cours d’eau en aval…)
En Creuse, nous sommes très mobilisés sur la question du changement climatique grâce à la présence d’un climatologue au sein de la Chambre d’agriculture. Nous tenons à une bonne application du Varenne de l’eau (et du changement climatique) car c’est une question de souveraineté alimentaire. Nous voyons désormais chaque année des tensions sur l’eau, notamment sur le réseau d’eau potable. On ne peut pas à la fois vouloir figer les territoires comme le prône le Sdage et faire des réserves comme cela est nécessaire.
Le stockage de l’eau n’est plus seulement une question agricole mais de bien commun et, à terme, de santé publique. »