“On ne peut plus accepter de laisser nos animaux se faire dévorer !”
Depuis 2009, Thierry Baguet vit sous la menace et les attaques régulières des grands corbeaux sur son troupeau ovin. Un cas qui n’est pas isolé. D’autres éleveurs témoignent.
C’est devenu la bête noire, au sens propre comme au figuré, de Thierry Baguet, éleveur de brebis à un vol d’aile d’oiseaux du site d’enfouissement du Sytec aux portes de Saint-Flour. Depuis qu’il a repris la ferme familiale, en 2009, le moutonnier n’a plus connu la tranquillité, acteur malgré lui d’un scenario sombre à la Hitchcock où le grand corbeau, espèce protégée, a fait de son troupeau son garde-manger. Des “corvus corax” - nom scientifique de ces volatiles omnivores - attirés par les déchets des casiers de l’installation contrôlée des Cramades. “Au début, on trouvait parfois des agneaux morts dehors, les yeux percés, les intestins arrachés sans être sûrs qu’il s’agisse des grands corbeaux et puis un jour, je les ai vus s’attaquer à un agneau...”, témoigne Thierry Baguet qui, depuis, accumule les preuves, dont des films, que l’espèce n’est pas qu’un charognard mais bien un prédateur d’animaux d’élevages vivants.
Charognard ? Non, “prédateur”
Épaulé par son père, l’éleveur a tout essayé, sollicité la mairie de Saint-Flour, les services de l’État (sous-préfecture, Office national de la chasse et faune sauvage (ONCFS), DDT...), la Chambre d’agriculture, monté des dossiers argumentés présentés au Conseil national de protection de la nature (CNPN)... Il a appliqué une à une les préconisations de ce dernier pour tenter de protéger ses brebis et agneaux particulièrement vulnérables au moment des agnelages à l’extérieur : épouvantails, cerfs-volants, effarouchements sonores (cris d’alerte...), tirs de canons à gaz... Mais le grand corbeau est d’une redoutable intelligence et s’adapte remarquablement. Des individus capturés dans les cages installées par la famille Baguet, bagués puis relâchés par les agents de l’ONCFS à 20 km et même bien plus loin dans l’Hérault, sont revenus sur le site sanflorain. Selon les experts, la population qui a élu résidence aux Cramades - dont l’effectif est estimé entre 400 et 600 individus - n’est en effet pas locale mais évolue à l’échelle du grand Massif central (lire ci-contre). À défaut d’arriver à protéger le troupeau, qui a aussi vu l’arrivée d’un patou, en vain, le CNPN a autorisé des tirs de destruction, avec un quota annuel de 5, 30, puis 50 et cette année de 100. Réalisés initialement par les agents de l’ONCFS, ces derniers le sont aujourd’hui bénévolement par le louvetier Daniel Dalle : “Heureusement qu’il est là, chaque jour, il y passe du temps, mais dès qu’il s’absente, c’est reparti’, constate Thierry, qui a vu son temps de surveillance du troupeau grimper en flèche : “J’y passe au lever du jour, là où il y a le plus d’attaques, et au minimum 4 heures de plus chaque jour, c’est tout le fonctionnement de l’exploitation qui est chamboulé.”
D’autres témoignent
Sans compter les conséquences économiques de cette espèce dont les dégâts ne sont pas indemnisables. Or, une étude réalisée par la Chambre d’agriculture chiffre l’impact financier des attaques à 26 000 € pour la seule année 2015, entre les frais vétérinaires, les soins aux agneaux et brebis dont il faut panser les plaies, les frais de surveillance, d’alimentation car les Baguet ont dû se résoudre à rentrer une partie des brebis pour les agnelages. Une pratique contre-nature de leur système basé sur un pastoralisme extensif et qui a un coût important. “On ne veut pas mettre nos moutons en prison !”, peste Thierry Baguet, bien décidé à préserver son activité. S’il accepte aujourd’hui de parler, c’est qu’il n’est plus le seul éleveur à subir la voracité du grand corbeau. À Thiviers, Talizat, Villedieu, mais aussi Chalinargues, les langues se délient(1). Au Gaec de Montaigut, Florian et Michel Odoul ont dû faire euthanasier un veau “avec un trou de dix centimètres autour de l’anus. Quand tu arrives dans le pré à 8 heures le matin et que tu vois le regard du veau vivant avec cette plaie...”, raconte Florian, qui s’étonne du silence des défenseurs de la cause animale. Sébastien Alinc (Gaec des Hautes Terres à Talizat) a lui aussi déjà recensé quatre veaux morts (allaitants et laitier), attaqués après le vêlage. “Et pour deux autres, on est arrivé juste à temps”, témoigne l’éleveur de Talizat qui, comme nombre de ses collègues, privilégie des vêlages d’automne en extérieur, pour éviter des problèmes sanitaires. À Thiviers, Jean-Luc Bessette n’a pas encore eu de pertes à déplorer mais “parfois, quand une vache doit faire le veau, je monte jusqu’à dix fois pour surveiller sachant qu’il peut y avoir 30 grands corbeaux qui tournent autour...” Comme lui, beaucoup sont convaincus qu’on en “est qu’au début du problème”. La solution, pour eux, elle ne peut passer que par l’éradication de la population des Cramades. “On ne peut pas accepter de laisser nos animaux se faire dévorer ! Et il va falloir choisir entre les grands corbeaux et les éleveurs, pour nous le choix est fait !” s’insurge Guy Touzet, délégué cantonal FDSEA qui accompagne les éleveurs, avec l’idée de porter devant le CNPN un dossier collectif Cantal.
(1) Des attaques d’élevage ovins, de canards... ont également été rapportées ces dernières années en Ariège, dans l’Aude, les Savoie...
Plus d'infos à lire cette semaine dans L'Union du Cantal.
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