Mgr Grua : “Le dialogue entre les différences n’est pas une menace, il nous enrichit”
Quelques semaines après le meurtre du père Hamel, l’évêque de Saint-Flour appelle au dialogue inter-religieux, à accepter la diversité et met en garde contre une laïcité élargie à la société.
Il y a un mois et demi, le père Hamel était assassiné. Comment avez-vous vécu ce drame, qu’est-ce que cela a changé au quotidien pour vous, évêque, pour les prêtres et l’ensemble des catholiques du diocèse ?
Mgr Grua : “Nous avions déjà été secoués par les attentats sanglants de Nice, ceux de novembre 2015, de Charlie Hebdo... L’assassinat du père Hamel, aussi horrible soit-il, ne l’est pas plus que les précédents même si c’est vrai que le fait que ce soit un prêtre, un vieillard, un catholique, que cela se soit passé dans une église, au moment de la messe, tout cela nous touche comme un évènement qui affecte notre propre famille. J’ai reçu des réactions, y compris de personnes “à distance” de l’église qui ont tenu à exprimer leur sympathie à l’égard de la communauté chrétienne, en disant “On est tous touché par ça.” J’y vois l’expression d’un lien à l’église qui, d’ordinaire, ne s’exprime pas, mais qui, dans cette circonstance, s’est un peu réveillé.”
Cet attentat a-t-il eu pour effet de souder les catholiques du diocèse, de renforcer leur foi voire peut-être de susciter des réactions de repli ou de rejet vis-à-vis de la religion musulmane ?
Mgr Grua :“Ce que les prêtres du diocèse ont constaté, c’est qu’il y a eu cet été beaucoup, beaucoup de monde dans les églises pour le 15 août. Cela peut vouloir dire quelque chose. Je crois en tout cas qu’il y a, dans la tête des gens, l’idée que, peut-être, on a trop laissé l’identité chrétienne de côté, qu’on n’a pas su ou osé manifester ce que c’était qu’être chrétien. Face à une religion, qui, elle, ose s’affirmer, il faut nous aussi affirmer notre identité, avec une face positive à cela, mais éventuellement une face plus criticable : la recherche identitaire qui peut mener à des rétrécissements, des raccourcis, voire des conflits. Personnellement, je n’ai entendu ici qu’une seule réflexion hostile à l’islam. Il faut dire que les responsables de l’église de France ont calmé le jeu - j’ai même lu que le président de la République en a été impressionné - et très majoritairement, nous sommes dans une posture d’écoute, de dialogue et non de vengeance. Dans le département, nous entretenons d’ailleurs des relations amicales avec les responsables de la communauté musulmane structurée à Aurillac.”
Avez-vous depuis le sentiment d’être potentiellement en danger ?
Mgr Grua : “Ça a pu me traverser l’esprit une demi-seconde mais pas au-delà. Bien sûr, personne ne peut se dire à l’abri, d’autant, on l’a vu à Saint-Étienne-de-Rouvray, qu’un attentat en zone rurale est un message fort : “Vous êtes tous des cibles potentielles.” Au sein du diocèse, nous n’avons pas pris de mesures spécifiques. La préfecture nous a seulement demandé de l’informer en cas de grands rassemblements, comme lors du pèlerinage de Lescure dont j’ai célébré la messe le 15 août. Il y avait 5 à 600 personnes et les gendarmes étaient là.”
La polémique autour des signes religieux, du burkini, a animé l’été, attisée par les politiques. Quelle est votre position sur ce sujet et plus globalement la laïcité ?
Mgr Grua : “En 1905, a été définie une laïcité de l’État : l’État en tant que tel ne privilégie aucune religion mais offre à tous la possibilité de croire selon son choix. Une laïcité qui, certes, a été longue à accepter pour l’église catholique, mais dans laquelle on se retrouve aujourd’hui, elle fait partie de notre patrimoine commun. Sauf que petit à petit, cette laïcité d’État tend à être élargie à l’ensemble de la vie publique, à devenir une laïcité de société avec comme message : “La religion doit rester dans la sphère privée.” Avec l’exemple du burkini, on en est là et je trouve cela dangereux. Le sentiment religieux fait partie de la nature humaine et touche donc forcément aux relations sociales. Vouloir le contenir dans la sphère privée, vouloir aseptiser notre vie de toute dimension religieuse, ça crée des frustrations, des mécontentements, des rancœurs, qui murissent tranquillement dans les cœurs, et, un jour, ça pète. Je ne prétends pas que la religion soit la seule explication des attentats, il y a des considérations économiques, géo-politiques,... mais à Saint-Étienne-de-Rouvray, il y a une dimension religieuse. Et derrière les réactions autour des menus de substitution, du burkini..., il y a une société qui a du mal à intégrer les différences, la diversité, avec la tentation soit de se barricader, de refuser les différences, soit de chercher à les gommer, comme on l’a fait dans le cadre du mariage pour tous en disant “homme et femme, c’est pareil”... Soit on est capable d’accepter qu’on est différent et que le dialogue entre ces différences va nous enrichir au lieu de constituer une menace, qu’on a intérêt à s’écouter et pas à provoquer des chocs frontaux.”
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