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L'estive traverse inlassablement les âges

L'estive n'a pas d'âge mais de tout temps sa première vocation est d'offrir aux éleveurs et leurs troupeaux de l'herbe durant tout l'été, avant de lui prêter bien d'autres avantages.

Les sécheresses successives asséchent les sources, jusque-là intarissables, de l’estive des Monts du Forez
Les sécheresses successives asséchent les sources, jusque-là intarissables, de l’estive des Monts du Forez
© M. Comte

 

 

Elle entretient les paysages, participe à la préservation de la biodiversité et fait vivre le folklore local. Avant de lui prêter tous ces avantages, l'estive est, et a toujours été, une pratique à l'intérêt économique et agronomique pour les éleveurs et leurs troupeaux.

En témoigne les estives collectives d'Orcines et des Monts du Forez dans le Puy-de-Dôme qui existent depuis plusieurs décennies voire plusieurs siècles dans le seul but d'offrir de l'herbe durant toute la période estivale. Ancestrales et modernes à la fois, chacune a su s'adapter aux évolutions agricoles et aussi sociétales.

La plus célèbre...

Sur les flancs des volcans de la Chaîne des Puys, les moutons pâturent sans se soucier des ébullitions magmatiques souterraines. Il en est ainsi depuis la fin du XVIIIème siècle, date où remontent les premières traces de l'estive. Au lendemain de la Révolution française, "des terres ont été acquises par nos anciens" explique Christian Pichons, éleveur et président de l'estive collective d'Orcines. Des lopins de terres jusqu'alors "pas vraiment délimités" mais dotés "d'un droit de pacage". Les surfaces sans propriétaires sont ensuite tombées dans "le domaine public". A partir de 1980, année de création de la coopérative d'estive d'Orcines, la pâture dans la Chaîne des Puys s'est organisée pour se professionnaliser, se développer et perdurer. Elle compte aujourd'hui plus de 500 ha de prairies et sous-bois pour une dizaine d'éleveurs ovins amenant quelque 2 050 moutons. "Nous ne possédons pas la totalité de la surface bien sûr. Certains ilôts appartiennent à des associations de propriétaires à qui nous payons un fermage."

Au-delà de l'habitude ancestrale, l'estive dans la Chaîne des Puys répond à un réel besoin des éleveurs. "Nous avons de la chance d'avoir ces terres." Du 15 mai jusqu'à la fin octobre, les moutons paissent à plus de 1 000 mètres d'altitude, une herbe abondante libérant ainsi des surfaces dans les exploitations. "L'estive nous permet d'élargir les surfaces de fauches dans nos fermes et de nous libérer du temps de travail. En 2019, nous n'avons pas pâti de la sécheresse grâce à cette pratique." Des petites vacances de six mois durant lesquelles les adhérents de la coopérative confient leurs animaux à deux bergères. Il y a quatre ans, ils leur ont même construit un chalet de 40 m2 car derrière le cadre bucolique se cache une réalité envahissante.

...et la plus convoitée

La Chaîne des Puys et ses paysages sont en effet prisés des touristes et surtout des clermontois. Un afflux de visiteurs, pas toujours respectueux des activités économiques, qui a le don de faire fuir les bergers. "Entre les chiens, les vtt qui déboulent au milieu du troupeau et l'incivilité des promeneurs, nos bergers font rarement deux campagnes." Cette difficile conciliation des usages pourrait à long terme avoir de lourdes conséquences pour les éleveurs et la pratique de l'estive. Pourtant, cette dernière est portée au nu par les administrations puydômoises depuis le classement de la Chaîne au Patrimoine Mondial de l'UNESCO. Un coup de projecteur quasi permanent qui ferait presque oublier la vocation première de la pratique. "Avant d'entretenir le paysage, l'estive a un intérêt économique. Elle n'est pas là uniquement pour faire plaisir à toutes les administrations du Puy-de-Dôme ! Elle nous permet de faire vivre nos élevages, perdurer snos activités et même d'installer des jeunes."

Après de longs mois de batailles et des rendez-vous en pagaille avec les acteurs concernés, les éleveurs peuvent compter cet été sur la présence de la Garde Républicaine pour rappeler les promeneurs à l'ordre et préserver ainsi la tranquilité du troupeau. Néanmoins, Christian Pichons n'est pas dupe. Le président de la coopérative prévoit ainsi de "clôturer d'autres parcs et créer d'autres points d'eau" pour protéger les moutons non pas de potentiels prédateurs mais "des envahisseurs bipèdes".

La plus sauvage...

A l'estive des Monts du Forez, près de Job, les éleveurs s'inquiètent davantage du changement climatique et de la possible arrivée du loup que des promeneurs. Sur ce plateau à 1 400 mètres d'altitude, loin des grandes agglomérations, et où seul un chemin de Grande Randonnée passe, les visites de masse sont extrêmement rares voire inexistantes.

La pratique de l'estive remonte aux années 1960. Un petit groupe d'agriculteurs a d'abord commencé à conduire ses troupeaux sur des terres près de Valcivières. Quinze ans plus tard, ils ont déposé les statuts pour constituer la coopérative d'estive des Monts du Forez avant d'acquérir des parcelles et un buron abandonnés à La Jacine, commune de Job.

Rémy Pumains, actuel président de la coopérative explique "qu’au fil des années la surface d'estive s'est agrandie". A l'époque, la coopérative Copagno leur avait même mis à disposition des terres à Saint-Anthème, 12 Km plus loin,  avant de leur en confier la complète gestion. L'estive s'est étendue et les éleveurs ont pu compter sur l'expérience de leur berger arrivé en 1972 et reparti 40 ans plus tard. Un nouveau jeune berger a pris sa place et veille sur les 2 200 brebis d'une dizaine d'éleveurs. Il les conduit pendant six mois sur ces 650 hectares nichés sur un plateau où les clôtures sont rares. Près du buron, seul un parc de tri et quelques timides grilles à mouton trahissent leur présence.

... et la plus fragile

Loin de tout, l'estive des Monts du Forez n'en perd pas moins ses avantages. "Elle permet d'augmenter nos surfaces de fauches et de nous libérer du temps pour l'été" témoigne Rémy Pumains. Malheureusement, la pratique est mise à mal depuis quelques années. Les épisodes de sécheresse asséchent désormais les sources, uniques points d'eau sur le plateau. "L'année dernière nous avons monté de l'eau à l'estive pour les bêtes. Même notre ancien berger n'avait jamais connu ça." Si l'éleveur pense pouvoir s'adapter à ces aléas, il s'inquiète du coût qu'ils pourraient avoir à long terme. "Aujourd'hui, chaque éleveur paie 18€/animal pour toute la durée de l'estive, du 25 mai au 10 octobre. Cela permet de rémunérer le travail de notre berger. Malgré les avantages que cela présente, l'estive a un coût pour les éleveurs. Quel sera-t-il demain avec les sécheresses, la nouvelle PAC ou le manque de renouvellement des éleveurs ? Sans parler du loup..." Face à tant de questionnements, l'estive paraît bien fragile.

Les avantages que l'on conférait autrefois à l'estive sont encore et toujours valables aujourd'hui, tandis que d'autres s'ajoutent. L'intérêt agronomique partage sa part avec l'écologie et le tourisme offrant à la pratique une attention particulière de la part de la société et des administrations. Suffira-t-elle pour autant à faire barrage à sa plus grande menace qu'est le loup ?

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