L'enseignement agricole public en danger
Les discussions du budget de l'enseignement agricole se télescopent avec les assises lancées par le ministère. Les pouvoirs publics reconnaissent l'excellence de l'enseignement agricole, public comme privé, avec un bon taux de réussite, certaines mesures pédagogiques originales… Et pourtant les défenseurs de cet enseignement doivent chaque année se battre pour sauvegarder leurs acquis, notamment le maintien des effectifs.

«Il est primordial de pouvoir, dès à présent, créer les conditions d’un développement agricole viable, raisonné et solidaire » affirmait, fin octobre, Sylvia Pinel, députée du Tarn-et-Garonne, lors de l’examen de la mission agriculture du Projet de loi de finances 2010. Parmi ses propositions, l’élue pointait notamment le fait de « miser sur l’enseignement agricole public ». Cette intervention a trouvé de nombreux échos depuis. Ils se sont transformés en grogne manifeste dans l’Ouest de la France ou encore en Île-de- France, régions dans lesquelles des parlementaires (députés comme sénateurs) ont poussé des coups de gueule. Certains n’ont pas hésité à parler « d’état de choc » ou encore « d’asphyxie ». Même les professeurs ont décidé de passer à l’action pour tirer ce qui, hélas, apparaît comme une énième sonnette d’alarme.
Suppressions d’emplois
Car la problématique n’est pas nouvelle. Les pouvoirs publics n’ont de cesse de louer l’excellence de l’enseignement agricole en France, public ou privé d’ailleurs. Le taux de réussite aux bacs de la filière agricole est régulièrement supérieur à celui des filières générales. Dans plusieurs exemples, l’originalité de certaines mesures pédagogiques a même pu servir de références dans d’autres types d’enseignement. Et pourtant… La reconnaissance, dans les faits, n’est pas au rendez-vous. Chaque année, les défenseurs de l’enseignement agricole doivent monter au créneau pour simplement sauvegarder les acquis des années précédentes.
En cette fin d’année 2009, un point en particulier fait bondir tous ceux qui s’intéressent à cette branche pédagogique : la remise en cause des effectifs dans l’enseignement agricole public dans le Projet de loi de finances 2010 concernant l’agriculture. En clair, le programme 143 sur l’enseignement technique agricole budgétise l’équivalent de 244 emplois temps plein (ETP) en moins par rapport à l’année précédente. Parmi ces ETP, on compte 211 postes d’enseignants. « En clair, cela signifie des fermetures de classes dans certains établissements. Alors faire des économies, oui, je comprends, mais pas sur les emplois et en particulier ceux d’enseignants » déclare Françoise Férat, sénatrice de la Marne et spécialiste des questions d’enseignement agricole depuis de nombreuses années.
Du coup, le Snetap-FSU, principal syndicat d’enseignants techniques agricoles dans le public, a aussi réagi. Ses représentants ont boycotté les assises nationales de l’enseignement agricole public et ont présenté, le 10 novembre, une liste de 21 propositions(1) pour répondre au « budget indigent » présenté par le ministère de l’Agriculture. Cette liste entend répondre aux « besoins des citoyens, des professions et des territoires ». Du coup, les conclusions des assises, qui devaient être présentées le 10 novembre, sont repoussées au 10 décembre.
Objectif ambitieux, moyens insuffisants
De son côté, françoise férat ne décolère pas. Elle devait présenter un avis défavorable sur un rapport concernant le sujet, le jeudi 19 novembre, devant la commission culture de ses collègues sénateurs. « Jespère que cela servira à prendre conscience de lampleur de ce constat catastrophique sur la situation de lenseignement agricole dans notre pays. Le vote sur ce rapport aura lieu le 1er décembre. Jai aussi écrit au président de la république, début novembre. Jattends encore sa réponse ». La sénatrice insiste sur le fait que lenseignement agricole nest pas touché par les problèmes démographiques et quil existe une vraie volonté des jeunes daller vers ces métiers.
« Il ny a pas lieu de différencier enseignement public et privé. Cest lensemble de lenseignement agricole français qui présente des avantages notoires. Tant sur linsertion - du très haut niveau aux élèves qui quittent le cursus général tôt - que sur lemploi, avec des formations qui correspondent à des débouchés réels, sans voie de garage. Nous sommes très attentifs sur ce point. Cest ceci qui nest pas reconnu aujourdhui. Françoise férat avait tenté de fixer des objectifs sur cinq ans, avec un fil conducteur et cétait une bonne chose. Mais si les budgets ne sont pas au moins maintenus, sil nest plus possible que les établissements puissent créer des modules - encore une originalité du système agricole - adaptés en fonction des contextes locaux, ce sont les élèves qui ne sy retrouveront pas » déplore joël clergue, en charge des questions de formation chez les jeunes agriculteurs, avant de poursuivre : « en fait, il y a un grand décalage entre des objectifs très ambitieux et le manque de moyens nécessaires pour les réaliser. Pourquoi par exemple, lorsquun enfant quitte le cursus général prématurément, ne pas allouer des crédits pour le réinsérer dans un cycle de formation agricole ? Les assises ? Je ne sais pas trop. Si cela permet de donner un coup de projecteur sur la qualité de lenseignement agricole, de montrer son vrai visage, alors ce sera positif. Alors que lopinion publique a peut-être limpression dun système fermé sur lui-même ».
Les assises nationales de l'enseignement agricole public
C’est Bruno Le Maire, ministre de l’Alimentation, de l’agriculture et de la pêche, qui a lancé cette initiative concernant des assises de l’enseignement agricole public, ouvertes le 10 septembre 2009. Leur objectif ? Donner un nouvel élan à cet enseignement en termes de missions (atelier 1), de répartition de l’offre de formation sur le territoire (atelier 2), d’ambitions pédagogiques (atelier 3) et d’organisation (atelier 4), selon les termes du communiqué de presse du ministère. Toutes les parties intéressées par le sujet ont pu envoyer des contributions (jusqu’au 16 octobre). Des débats, avec déplacements du ministre sur le terrain, ont aussi eu lieu pour enrichir ces assises. L’ambition, au départ, est d’identifier et de réaffirmer les fondamentaux qui ont fait et font la force de l’enseignement agricole, de construire une stratégie pour l’enseignement agricole public définition de missions, d’objectifs et établissement d’une feuille de route) et enfin de mieux faire connaître et reconnaître ce type de filière.
Les assises devaient normalement se terminer le 10 novembre. Pour pouvoir prendre en compte toute l’ampleur des contributions et des points de vue, les conclusions de ces travaux seront en fait tirées le 10 décembre, par Bruno Le Maire.