Interview
"L'eau, un enjeu de territoire et de multi-usages"
Producteur de semences de grandes cultures et potagères à Espirat, administrateur Limagrain en charge du groupe eau, élu au comité de bassin de l’agence Loire Bretagne(*) et co-président du groupe eau national de Coop de France, Eric Greliche s'exprime sur l'enjeu de la gestion de la ressource en eau.
Producteur de semences de grandes cultures et potagères à Espirat, administrateur Limagrain en charge du groupe eau, élu au comité de bassin de l’agence Loire Bretagne(*) et co-président du groupe eau national de Coop de France, Eric Greliche s'exprime sur l'enjeu de la gestion de la ressource en eau.
En quoi la ressource en eau est-elle essentielle pour la coopérative et ses adhérents ?
Limagrain contractualise 28 000 ha de blé, 9 500 ha de maïs conso et 6 200 ha de maïs semence cultivés en Limagne. Chacune de ces productions est transformée ou conditionnée en totalité ou en partie, dans les outils industriels du groupe. Ainsi, 100% du maïs conso est transformé dans la maïserie Limagrain et 50% du maïs semence est conditionné sur le site d’Ennezat. En interface entre l’outil agro-industriel et la production, Limagrain est donc doublement concernée par l’acte de production de ses adhérents et par l’approvisionnement de ses outils industriels. En effet, dès l’instant où la qualité et la quantité des productions ne sont pas au rendez-vous, les conséquences se répercutent alors sur l’ensemble des maillons de la filière industrielle. L’accès à l’eau est donc un élément fondamental à l'équilibre de la filière, notamment dans les années où nous avons à gérer des phénomènes climatiques extrêmes. C’est le gage du maintien du modèle agricole choisi par Limagrain, basé sur la proximité entre zones de productions et outils de transformation.
Ce modèle basé sur la production de semences et sur l’irrigation peut-il perdurer en Limagne ?
En fait, la question est de savoir quel modèle d’agriculture nous voulons. Veut-on des exploitations de type familial avec de petites surfaces optimisées permettant de dégager un revenu, ou souhaitons-nous un modèle d’exploitation basé sur de grandes surfaces qui va modifier profondément la structure du paysage ? Le choix qui a été fait sur la Limagne est d’avoir des exploitations familiales, viables, produisant de la valeur ajoutée et insérées dans un circuit de proximité entre production et transformation. Ce modèle agricole s’est construit dans la durée et a fait émerger un certain nombre d’autres acteurs économiques. L’enjeu aujourd’hui est de savoir comment amener les conditions et les solutions pour pérenniser ce modèle de vallée différent de celui des grandes plaines, dans lequel l’eau devient un élément limitant.
Que promeut la coopérative en matière de gestion de l’eau ?
Le changement climatique des 30-40 prochaines années devrait se concrétiser par une stabilité du régime des précipitations mais avec une répartition dans l’espace et dans le temps très différente, et des températures en hausse. C’est pourquoi la réflexion de Limagrain porte à la fois sur l’éco-efficience de l’eau, sur son utilisation sur le territoire et sur les moyens d’en accroitre les volumes.
Pour nous l’enjeu de l’eau est un enjeu de territoire et de multi-usages. Notre objectif est d’atteindre une gestion équilibrée entre l’éco-efficience et la gestion de la ressource. Pour cela, nous devons travailler à améliorer l’utilisation de l’eau actuelle et à constituer des ressources, comme cela a été fait dans les années 70 avec des barrages comme Nausac. A la différence qu’aujourd’hui la réflexion doit se faire globalement dans un véritable projet d’aménagement du territoire basé sur une vision multi-usages : eau potable, industriels et agricoles.
Pour les usages agricoles quelles solutions se présentent alors ?
La seule réponse aujourd’hui pour un agriculteur touché par la sécheresse est la constitution de ressource à travers notamment la création de retenues ou bassines. C’est également la seule possibilité de discuter du stockage de l’eau dans le cadre réglementaire à l’échelle du bassin Loire-Bretagne dont nous dépendons. Cependant, la solution "bassine" ne répond qu’à l’enjeu agricole. Nous sommes conscients que c’est une réponse à court terme et que nous devons envisager une réflexion à moyen et long termes sur le changement climatique, les enjeux autour du stockage de l’eau et de l’accroissement de la ressource. Un Plan territorial de gestion de l’eau (PTGE) est en cours de réflexion. Il est l’occa- sion unique de travailler dans une logique de construction avec l’ensemble des usagers de l’eau pour s’entendre sur la ressource disponible sur le territoire à horizon 2030 et définir des solutions à apporter pour continuer à développer le territoire dans toutes ses activités. L’enjeu de l’eau dépasse le cadre agricole ; nous ne devons pas mettre les usages en opposition.
Quelles pistes propose Limagrain pour aller vers l’éco-efficience de l’eau ?
Nous avons investigué plusieurs axes de travail sur l’éco-efficience : mieux comprendre la plante, mesurer ses réels besoins en eau, acquérir des données pour modéliser le moment optimum de l’irrigation, travailler sur le choix variétal. Nous cherchons aussi à mieux comprendre le fonctionnement du sol, sa capacité de rétention en eau et l’amélioration du travail du sol.
Aujourd’hui l’apport d’eau se fait majoritairement par l’intermédiaire de canons. C’est la solution la plus adaptée à notre contexte parcellaire mais ce n’est pas le système le plus vertueux en termes d’efficience. Nous conduisons donc des essais sur des rampes frontales, des pivots. Nous travaillons aussi sur la transposition de techniques expérimentées dans d’autres pays, en particulier sur des technologies Israéliennes de goutte à goutte de surface ou enterré. Des études technico économiques et de faisabilité sont menées en grandes cultures. Enfin la recherche Limagrain a également mis au point hydraneo, une variété permettant de calculer un index de tolérance au stress.
Vous l’avez compris, il n’y a pas de solution unique d’irrigation mais un ensemble de possibilités au choix des producteurs, en fonction de leur modèle et de leur conduite d’exploitation. L’agriculteur est le seul décisionnaire du système d’irrigation le mieux adapté. Son objectif est d’apporter l’eau à la plante au bon moment et donc d’analyser en amont ses besoins mais avec les sécheresses que nous vivons, la tâche est plus compliquée car il doit anticiper davantage les aléas climatiques.
(*) Le comité de bassin Loire-Bretagne est composé de 190 membres représentants différents collèges et sous-collèges. Parmi ceux-ci, le collège des industriels dont fait partie Eric Greliche à travers Coop de France.