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Interview
« L'eau, c'est notre problème à tous »

« Le dossier de l'eau sera le premier dont je vais me saisir. » C'est ce qu'avait déclaré Joël Mathurin, préfet du Puy-de-Dôme, lors de sa prise de fonction en octobre 2023. Six mois plus tard, celui qui est ingénieur agronome de formation est bien décidé à instituer une gestion de l'eau résiliente et concertée sur le département.

Joël Mathurin préfet du Puy-de-Dôme dans les salons de la préfecture.
Joël Mathurin, préfet du Puy-de-Dôme souhaite une gestion durable et concertée de l'eau dans le département.
© ©MélodieComte

Lors de l'H2O Trail organisé par Jeunes Agriculteurs d'Auvergne-Rhônes-Alpes, au barrage de la Sep, le 16 mars dernier, vous avez annoncé le lancement d'un "printemps de l'eau". Pouvez-vous nous donner plus de détails ? 


Joël Mathurin : Avec le président du Conseil départemental et les intercommunalités, nous avons dès décembre pris l'initiative autour d'une dynamique politique sur la question de l'eau. Nous avons tous été très marqués par les conditions dans lesquelles nous avons eu à gérer la sécheresse 2023. Le dernier arrêté sécheresse a été pris le 1er décembre ce qui est très tardif.
L'enjeu désormais est de bâtir dans les trois prochaines années une stratégie qui permet d'engager une vision 2040 pour la gestion de l'eau dans notre territoire. Ce travail doit être réalisé dans une méthode la plus concertée, partagée et objective possible. Le dérèglement climatique nous rattrape. Une stratégie nationale a été définie puisque le Président de la République a annoncé le 30 mars 2023 un "Plan Eau". J'ai de ce fait, pour le département du Puy-de-Dôme, les orientations qui me permettent de décliner ce plan avec les acteurs locaux pour une gestion de l'eau plus résiliente et durable.


C'est la raison pour laquelle, symboliquement, j'ai annoncé lors de l'H2O Trail un "printemps de l'eau" c'est-à-dire des initiatives, des actions, des engagements et de la concertation avec une perspective (qui n'est pas une fin mais une étape) : la tenue d'une conférence territoriale de l'eau en juin 2024, avec l'ensemble des parties prenantes. 

 

L'objectif est d'obtenir des réponses sur les trois axes stratégiques que nous avons engagés.

À lire aussi : L'H2O Trail, quand sport rime avec gestion de l'eau


Quels sont ces trois axes ?


JM : Le premier axe est un accord de résilience du territoire sur la gestion de l'eau. L'ensemble des usagers du Puy-de-Dôme consomment annuellement 93 millions de m3 dont 76% pour l'eau potable, 15% pour l'agriculture et 9% pour l'industrie. Cet accord doit donner des orientations stratégiques en matière d'abord, et avant tout, de sobriété. Il doit également encourager l'innovation en matière de réduction de consommation pour les industriels, les agriculteurs et l'État en termes de réglementations pour réutiliser l'eau dans les processus de réindustrialisation. Les usagers particuliers ne sont pas exempts de ces innovations. Cette gestion de la ressource doit être proposée à l’issue d'un dialogue partagé et doit intégrer des solutions globales et multi-usages (zones humides, haies, renaturation et stockage).
Le deuxième axe concerne la gouvernance de l'eau. Nous avons sur le département plus de 200 structures qui s'occupent de l'eau (syndicats d'eau potable, d'assainissement, l'eau sale, l'eau grise...). Dans le département de l'Allier, il y a un seul syndicat mixte. Comment dans le Puy-de-Dôme peut-on parvenir à une gouvernance concertée de l'eau? Nous devons entamer cette réflexion. Nous n'arriverons peut-être pas à une gouvernance unique, pas tout de suite. 

L'objectif derrière ce chantier est de travailler avec les différents acteurs pour répondre aux enjeux majeurs d'interconnexions et de réduction des fuites. 

Le taux de fuite est de 25% en moyenne sur le département et jusqu'à 50% dans certains territoires.
Enfin, troisième et dernier axe, établir un pacte de gestion patrimoniale de l'eau sur les territoires, au niveau des bassins. Comment va-t-on gérer notre eau sur notre bassin où l'on vit, travaille et profite de l'environnement ? Par exemple sur le bassin de Riom et Volvic, entre les entreprises, les syndicats d'eau, les agriculteurs, les activités économiques, comment on consolide le partage de l'eau ?
Ces travaux permettront au quotidien de renforcer notre gestion de l'eau pour être plus résilients. Nous avons déjà un accord de territoire sur l'enjeu de la sobriété, l'innovation et la ressource. C'est une démarche d'agora. Nous allons travailler tous les jours jusqu'à juin avec nos différents partenaires. Le premier comité départemental de l'eau aura lieu en avril pour préparer les prochaines échéances.


Le prix de l'eau est très politisé. Ne craignez-vous pas qu'il soit un frein aux travaux sur la gouvernance de l'eau ?


JM : Justement tout se tient. 

Une politique tarifaire éclatée empêche la solidarité entre les territoires. 

Or, le dérèglement climatique implique plus de solidarité parce qu'il y a davantage d'imprévisibilité. Personne ne peut affirmer à l'avance où il va manquer d'eau et personne n'est à l'abri.
 

Le changement climatique va donc forcer la marche ?


JM : Oui c'est certain. Si nous voulons mieux faire face aux impacts du dérèglement climatique en 2040, nous devons nous donner les moyens d'avoir une démarche de gouvernance concertée de l'eau.


Qu'en est-il du stockage de l'eau ?


JM : Il faut plus de stockages mais on ne peut poser cette question sans intégrer le multi-usage. Dès lors, les réponses à cette interrogation sont multiples. Consolider les lieux de stockages naturels doit être envisagé tout comme les retenues et les barrages. Naussac est aujourd'hui à 68% (à date du 2 avril NDLR) mais il a encore eu du mal à se remplir cette année, comme les précédentes. Quelles questions doit-on se poser pour faire mieux ? Il y a aussi le barrage de la Sep. Serait-il pertinent de s'interroger sur son rehaussement ? Faut-il d'autres barrages, par exemple sur l'Allagnon ou la Dore ? Et bien sûr, il y a le sujet des retenues colinéaires collectives ainsi que des retenues individuelles. Est-ce que demain, les intercommunalités devront équiper chacune des écoles d'une citerne pour récupérer l'eau pluie? Quand vous êtes maraîchers bio, à horizon 2035-2040, vous aurez un problème majeur de réserve, de stockage de l'eau pour l'irrigation parce qu'il n'y a pas d'agriculture sans eau. La question du stockage se pose à tous les niveaux mais avec une approche globale.

À lire aussi : Les nouveautés de la campagne d'irrigation 2024 dans le Puy-de-Dôme


Le sujet de l'eau est particulièrement clivant au sein de la société. Comment allez-vous faire pour rassembler toutes les parties autour de la même table ?


JM : L'eau, on l'a en partage. Pas un seul acteur du territoire n'aura pas de problème d'eau à l'avenir. C'est pourquoi il faut des réponses multi-usage. 

S'il n'y avait pas eu Naussac en 2023, j'aurais été contraint de prendre des décisions drastiques qui auraient changé la vie de la population. 

Et dans le même temps, on ne peut pas inonder impunément une autre vallée. N'oublions pas que 152 habitants ont été déplacés lors de la construction de Naussac. Chacun doit avoir à l'esprit cette concertation. Nous nous sommes beaucoup focalisés sur l'agriculture mais le changement climatique dépasse ce seul sujet. Nous ne pouvons pas dire à l'agriculture d'arrêter d'irriguer pour maintenir notre comportement domestique. Dans le même sens, le monde agricole a le défi de modifier ses pratiques pour intégrer une meilleure capacité de résilience.

À lire aussi : Irriguer ou "comment donner un coup de pouce à Dame nature ?"

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