Le péril de la faim justifie les moyens
À Besançon, les agricultrices et agriculteurs du réseau FNSEA, réunis en congrès ont martelé un message clair : pas de souveraineté alimentaire sans soutien.
Crise Covid, guerre en Ukraine…ont largement alimenté les débats du congrès de la FNSEA, qui s’est déroulé la semaine dernière au pays du Comté, de la saucisse de Morteau… dans le Doubs. Outre les temps de recueillement, organisés en hommage au peuple ukrainien, toutes les régions ont dit à quel point, ces évènements géopolitiques mettent en exergue la nécessité de produire. Produire pour nourrir mais pas à n’importe quel prix, ni dans n’importe quelles conditions, … « Après de nombreuses années de propositions, d’explications et de manifestations, nous avons enfin une loi qui inverse la construction du prix à la production en France. Individuellement ou collectivement, les agriculteurs doivent demander un prix qui colle à leurs coûts de production », a indiqué Michel Joux, président de la Frsea Auvergne-Rhône-Alpes. Et d’estimer qu’il faut parfois agir de manière plus musclée pour faire bouger les lignes « on l’a fait récemment devant les centrales d’achat et les supermarchés. Avec la hausse des charges et les négociations commerciales réouvertes, il faudra peut-être y retourner. Ne lâchons pas une seule miette sur ce sujet ».
Bouclier énergétique
Face à la hausse des charges, l’application de la loi Égalim est urgente, mais sera-t-elle suffisante.
« Le gouvernement doit aller beaucoup plus loin dans son plan de résilience. Un bouclier énergétique doit être mis en place sans attendre à la hauteur de l’enjeu. Nous demandons que la spéculation inadmissible sur le GNR cesse immédiatement ! ». Produire plus, cela passe aussi par une libération des capacités de chacun, et à une concorde autour du bon sens paysan. « Nos gouvernements successifs, ont fait preuve d’un manque de courage politique flagrant. Plutôt que de travailler à des solutions basées sur la recherche et le développement et sur le progrès, ils ont écouté depuis trop longtemps, le hurlement des sirènes de minorités démagogues et archaïques qui prônent la décroissance. Des produits phytosanitaires sont interdits en France et sont utilisés en Europe. Des productions agricoles alimentaires disparaîssent de nos territoires et nous importons sans limite ! Les éleveurs sont chassés de leur territoire par des prédateurs comme le loup… Le développement de la ressource en eau reste encore très compliqué. Pas d’interdiction sans solution », a poursuivi l’agriculteur de l’Ain.
Lassale fait le show, Roussel déploie ses « Jours heureux » agricoles, Pécresse pédagogue, Macron en vidéo
Un slogan repris par certains candidats¹ à la Présidentielle, devant les représentants du monde agricole², à l’occasion du Grand Oral organisé en clôture du congrès. Sur les douze candidats en lice, seuls six avaient accepté l’invitation. Seul représentant des parties de gauche, Fabien Roussel chef de file du PCF a été fidèle au modèle agricole qu’il défend depuis plusieurs mois, bâti sur des exploitations à taille humaine, respectueux des femmes, des hommes, de la terre, et inspirant dès lors que les fermes sont économiquement viables et vivables. « Avec moins de 350 000 fermes en 2030, nous ne serons pas en capacité de nourrir la population. Il faut tabler sur 20 à 25 000 installations annuelles en doublant les moyens qui y sont consacrés. Ne rejouons pas le scénario de l’industrie ! ». Applaudissements nourris. Si Fabien Roussel a été celui ayant comptabilisé le plus de suffrages à l’applaudimètre, force est de constater qu’il a été devancé par un Jean Lassale, très en forme, dont la performance scénique relevait plus du sketch que d’un discours de politique agricole générale. À droite, Valérie Pécresse, a choisi la carte de la pédagogie pour lister ses priorités agricoles, indiquant vouloir faire preuve de pragmatisme :
« la société doit accepter que l’alimentation a une valeur, un prix celui d’hommes et de femmes qui travaillent dur au quotidien ». À l’extrême droite, Marine Le Pen a été mise en difficulté à plusieurs reprises par les questions des membres du Caf, jetant un froid en proposant de créer un statut de l’animal dans le Code Civil. Accueil glacial aussi de la proposition d’Éric Zemmour d’augmenter l’arsenal de protection des agriculteurs, y compris par le recours aux armes, face aux multiples attaques dont ils sont victimes. Bruissement de la salle… « Ce n’est pas le far-west ! ». Enfin, dans une vidéo pré-enregistrée, Emmanuel Macron³ a indiqué vouloir poursuivre les travaux engagés depuis cinq ans, en accélérant les transitions : « mener les transitions est nécessaire, mais cela ne doit pas nous faire perdre de vue la mission nourricière de l’agriculture. (...) Il nous faut réussir à combiner les deux, c’est possible à condition d’investir ».
¹ La candidate des Républicains, Valérie Pécresse a indiqué de ne pas vouloir laisser les agriculteurs dans l’impasse en assortissant systématiquement toutes interdictions de produits phytosanitaires notamment par des alternatives crédibles.
² Le Grand Oral était organisé par le Conseil de l’Agriculture français (FNSEA, Coopération, Crédit agricole, MSA). Pour découvrir l’intégralité des débats rendez-vous sur le https://www.youtube.com/watch?v=JC8zHXJ-GSI
³ Emmanuel Macron était absent pour cause de conseil de défense.
Au fil des sujets… Morceaux choisis
■ Daniel Couderc, président de la FDSEA de Corrèze
« La dérogation européenne d’utilisation de 4% des jachères est une bonne chose. Il faudrait avoir la même stratégie sur les prairies, en autorisant le retournement d’une partie de celles qui sont permanentes pour ne pas altérer nos capacités de production et de renforcer notre résilience face au changement climatique ».
■ Bertrand Lapalus, éleveur dans la Loire, responsable de la section des fermiers et métayers
« On veut une grande loi foncière qui définisse clairement le statut d’agriculteur professionnel. C’est la priorité. Cette loi doit permettre d’aménager le statut du fermage via l’accord obtenu avec les bailleurs pour favoriser la mise à bail afin de sécuriser le fermier ».
■ Patrick Bénézit, secrétaire général adjoint de la FNSEA
« Nous, adhérents, avons parfois la critique facile et la mémoire sélective, mais notre combat a payé : 20 pages d’acquis syndicaux en 2021. C’est nous la FNSEA qui avons porté le combat des Éga. La loi Éga 1 n’était pas assez offensive, nous en avons réclamé une autre pour stopper ce jeu mortifère : à toi les marges, à moi les charges. La marche avant est enclenchée, il n’est pas question de lâcher ».
Maria Dudikh, représentante des organisations agricoles ukrainiennes :
« Le travail dans les champs continuent…la nuit »
Séquence émotion au premier jour du congrès de la FNSEA, lorsque le visage de Maria Dudikh, représentante des organisations agricoles ukrainiennes est apparue sur l’écran géant. Les bouches se sont tues, les têtes se sont baissées, et les larmes ont coulé…lorsque sa voix a résonné pour décrire l’impensable. « Mon pays est aussi brillant et prospère que le vôtre. Il l’était jusqu’au
24 février. Nos citoyens sont tués, tout le monde est uni pour lutter contre l’envahisseur russe. Une de nos priorités est d’éviter la catastrophe humanitaire. L’armée tire sur les couloirs humanitaires, plus de 100 000 personnes sont bloquées à Marioupol. Quand la neige était là, les gens la faisait fondre pour s’hydrater ». Réseau électrique endommagé, fourniture de produits compliquée, hommes mobilisés…très clairement « la sécurité alimentaire est menacée dans le monde à cause de cette invasion russe. 400 millions de personnes dépendent de notre production agricole », a détaillé l’agricultrice ukrainienne. Alors que le front s’étire sur 500 kilomètres traversant les zones rurales, les semis sont impossibles de jour. « Les fermiers sortent dans les champs la nuit pour semer leurs parcelles. Nous espérons semer 60 à 70 % des terrains agricoles ». Mais ça, c’est le pronostic le plus optimiste. « La Russie bombarde les entrepôts et les bases de stockage des carburants. Les envahisseurs bloquent les voies maritimes. Grâce aux efforts du Gouvernement ukrainien et de nos partenaires à l’export, des voies ferroviaires ont été réorientées pour exporter les céréales ». Par le rail, 20 % des céréales pourraient être acheminées vers les clients de l’Ukraine. Mais là encore, rien de certain. Du côté de l’élevage, la situation est catastrophique. Des animaux meurent faute d’alimentation, la commercialisation des produits laitiers est quasiment à l’arrêt. Face au chaos, et devant les congressistes Maria a redit l’urgence de stopper tout business avec la Russie. « Le monde entier doit s’unir pour la paix ». Standing ovation de la salle.