Le droit de préemption dans les zones de captage d'eau potable
Un décret institue un droit de préemption sur terres agricoles au bénéfice des collectivités territoriales et des établissements publics en charge de la gestion de l'eau potable. La profession agricole doit rester vigilante.
Le droit de préemption pour la préservation des ressources en eau destinées à la consommation humaine a été institué par la loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique. La FNSEA s'était déjà fortement opposée à ce droit de préemption qui constitue une atteinte grave à la liberté d'entreprendre des agriculteurs et qui soulève de graves problèmes démocratiques. Il permet en effet à une collectivité territoriale d'exercer des prérogatives exorbitantes hors de son territoire et donc d'imposer ses choix politiques à des citoyens qui ne l'ont pas élue. C'est encore plus grave quand le droit de préemption est exercé par un établissement public qui sera encore plus éloigné des électeurs.
Ce droit de préemption n'avait pas pu être mis en oeuvre jusqu'à présent compte tenu de défauts techniques dans la loi qui finalement ont été corrigés par la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (loi « 3DS »). Le décret d'application du 10 septembre 2022 en permet une mise en oeuvre effective. Les collectivités territoriales peuvent donc commencer à demander l'institution de tels droits en leur faveur.
Modalités du droit de préemption
Sur le plan des modalités procédurales, ce droit de préemption est très similaire à celui des droits de préemption urbains ou pour les zones d'aménagement déférées. Sur le fond, ce droit est presque équivalent à celui des Safer. Il est cependant prioritaire sur celui des Safer. Les personnes qui sont prioritaires sur la Safer selon le code rural le sont également sur les collectivités territoriales. Cela concerne en premier lieu le fermier en place mais également les membres de la famille du cédant dans les limites définies par le code rural.
Ce droit est institué « sur un territoire délimité en tout ou partie dans l'aire d'alimentation de captages utilisés pour l'alimentation en eau destinée à la consommation humaine ». Il s'agit d'un territoire potentiellement très vaste. Il faut également prendre en compte qu'une personne publique peut parfaitement demander un droit de préemption hors de son territoire, et même hors du territoire de son département ou de sa région. Par exemple, la régie des Eaux de Paris a d'ores et déjà commencé à agir en Eure-et-Loir.
Ce droit de préemption a pour objectif de « préserver la qualité de la ressource en eau dans laquelle est effectué le prélèvement ». Il ne permet pas de remettre en cause l'usage agricole du terrain : les changements de destination sont interdits. Il ne doit donc pas être utilisé aux fins de constitution de réserves foncières.
L'institution du droit de préemption
Il s'agit de la phase cruciale, celle où la profession agricole doit être extrêmement vigilante. La personne publique doit faire une demande motivée au préfet, qui saisit différents organismes pour avis, dont les chambres d'agriculture et les Safer. La profession agricole doit être particulièrement attentive à la motivation de cette demande, qui doit être justifiée par un objectif de préservation de la qualité de l'eau potable, dans le cadre d'une politique de préservation complète reposant sur des schémas locaux de protection des eaux, fondée sur une analyse de risques avérés. La demande ne peut être fondée sur des motifs abstraits ou idéologiques.
Dans les six mois qui suivent le dépôt du dossier complet de demande, le préfet rend une décision motivée, qu'elle accorde ou rejette la demande. Cette décision ne produit pas d'effet avant d'être publiée dans le registre de la préfecture, dans la presse locale et dans les mairies des communes concernées. La profession agricole devra être attentive à la motivation de la décision et au respect des formalités de publication.
L'exercice du droit de préemption
Le droit de préemption s'applique aux « aliénations volontaires à titre onéreux, sous quelque forme que ce soit ». Cela inclut les cessions de parts de sociétés civiles immobilières. Avant de procéder à la cession, à peine de nullité, les parties doivent transmettre une déclaration d'intention d'aliéner. L'action en nullité se prescrit par cinq ans.
À réception de la déclaration d'intention d'aliéner, le bénéficiaire du droit de préemption dispose d'un délai de deux mois pour faire savoir s'il exerce son droit ou non. Ce délai est suspendu lorsque le bénéficiaire du droit de préemption formule une demande de communication de documents complémentaires. Cette demande ne peut être formulée qu'une fois. Les documents complémentaires pouvant être demandés sont nombreux.
Lors d'une vente de gré à gré, le bénéficiaire du droit de préemption peut formuler une contre-offre au vendeur. Celui-ci peut refuser. S'il maintient son intention de vendre, le titulaire du droit de préemption peut renoncer, accepter purement et simplement le prix demandé ou demander la fixation judiciaire du prix. Attention, la fixation judiciaire se fait comme en matière d'expropriation, c'est à dire à valeur de marché, et non comme en cas de préemption du fermier. Les collectivités locales n'ont que rarement recours à ce mécanisme qui est politiquement dangereux pour elles. Le bénéficiaire peut également demander à ne préempter que sur une partie du bien. Le vendeur peut refuser et exiger la préemption totale.
Lors d'une vente par adjudication, le bénéficiaire ne peut que se substituer à l'adjudicataire. Il s'agit d'une substitution pure et simple : le préempteur est tenu par le prix de la dernière enchère ou de la surenchère.
Le bien préempté intègre le patrimoine privé du préempteur et non le domaine public. Il peut conserver ce bien ou le revendre. La revente peut avoir lieu immédiatement, malgré les demandes de la FNSEA qui souhaitait un délai minimal de revente de neuf ans. En cas de revente, le préempteur est obligé de grever le bien d'une obligation réelle environnementale (ORE). Cette ORE « prévoit, au minimum, les mesures garantissant la préservation de la ressource en eau ». Cette ORE sera opposable aux propriétaires successifs pendant toute sa durée.
Le bien ne peut être conservé qu'en vue de l'exploitation agricole. S'il est libre, il doit être mis à bail. Le bail doit obligatoirement contenir des clauses environnementales « de manière à garantir la préservation de la ressource en eau ». Si un fermier est déjà en place, le préempteur a l'obligation de proposer au fermier l'insertion de clauses environnementales dans le bail en cours : le fermier alors peut refuser. Mais lors du renouvellement du bail, le préempteur devra insérer des clauses environnementales et le fermier sera alors obligé d'accepter ou de mettre fin au bail en renonçant au renouvellement.