« Laissez-nous produire »
Conformément aux consignes, les premiers tracteurs ont commencé à converger aux alentours de la Porte de Versailles où les attendait un dispositif de sécurité, armé par la police et la gendarmerie. Puis le long cortège, escorté par les forces de l’ordre, s’est élancé vers les Invalides en remontant la rue de Vaugirard, le boulevard Pasteur, l’avenue de Suffren, l’École militaire puis l’avenue de Lamotte-Picquet. Sur le passage, beaucoup de badauds ont salué ce long serpent de véhicules avec des encouragements appuyés, des prises de photos et de nombreux applaudissements. Les premiers tracteurs sont arrivés à destination vers 10 h 15 et les derniers vers 11 h 30.
Au total, ce sont plus de 600 tracteurs et environ 3 000 manifestants qui se sont retrouvés au rond-point du Bleuet de France, face à l’Hôtel des Invalides. Le lieu n’a pas été choisi par hasard car c’est ici que repose Napoléon Ier. C’est en effet à l’empereur que l’on doit l’introduction de la betterave en France (qu’il a rapportée de Pologne), à la base du déclenchement du mécontentement des agriculteurs depuis l’interdiction par la Cour de justice de l’Union européenne le 19 janvier dernier, d’utiliser des néonicotinoïdes. « C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase », ont soutenu, tour à tour, Christiane Lambert, présidente de la FNSEA et Damien Greffin, président de la FNSEA Grand bassin parisien.
Besoin de courage politique
Tous les agriculteurs, agricultrices, jeunes et moins jeunes, venus de plus « de 30 départements », a précisé ce dernier, ont exprimé leur « ras-le-bol » des interdictions, des réglementations et des surtranspositions qui pénalisent les exploitations. Ainsi Alain Huchet, producteur de pommes de terre en Normandie et éleveur de 200 vaches allaitantes, s’étonne-t-il que la quasi-totalité de sa production de pommes de terre parte à l’exportation et que les hausses de charges de l’an dernier lui ait fait perdre plus 40 000 euros « uniquement sur troupeau allaitant. Je ne peux pas me permettre ça une année supplémentaire », nous a-t-il confié. « On n’en peut plus de ne plus pouvoir produire des betteraves, des cerises, des pommes de terre, etc. », s’est emporté Jérôme Despey, secrétaire général de la FNSEA. Comme les autres orateurs, il a harangué les nombreux politiques présents de tous bords (lire encadré) à défendre le savoir-faire agricole français : « Laissez-nous produire », leur a-t-il lancé, très applaudi par les manifestants. Dans le prolongement de ce discours, Christiane Lambert a souligné le besoin de courage dont les politiques devraient avoir besoin pour rectifier le tir. « Faire croire que l’on peut produire sans produits phytopharmaceutiques, sans chimie, c’est une mascarade », a-t-elle affirmé mettant en évidence la contradiction suivante : « La France est le premier pays au monde consommateur de médicaments humains, et il ne faudrait pas que nous traitions nos plantes et nos animaux malades ? ».
Indemnisation totale
Ce qu’ont demandé les dirigeants agricoles qui se sont succédé à la tribune* c’est que les politiques arrêtent de faire preuve de « naïveté face aux opposants qui détruisent l’agriculture française », selon les mots de Franck Laborde, président de l’Association générale des producteurs de maïs (AGPM). Un thème repris par Christiane Lambert qui ne veut pas reproduire en agriculture les coups de boutoirs qui ont conduit l’industrie française et le nucléaire à la décroissance.
Ce que Louise Piercourt (JA) appelle « la liquidation organisée des moyens de production ». « Nous manifestons pour avoir le droit de travailler […] alors même qu’on fout en l’air l’agriculture française », a, pour sa part, invectivé Éric Thirouin, président de l’Association générale des producteurs de blé. Un avis partagé par Arnaud Rousseau, président de la Fédération française des producteurs d’oléagineux et de protéagineux qui demande de la cohérence aux politiques. « La primauté du politique doit prévaloir », a-t-il insisté. Il faut dire que pendant que les tracteurs se dirigeaient vers les Invalides, une délégation d’agriculteurs, conduite par la FNSEA, a été reçue par le ministre de l’Agriculture. « Le ministre s’est engagé à ce que l’intégralité des pertes sur les betteraves soient prises en charge par l’État, sans franchise et sans plafond. L’indemnisation sera totale », a indiqué Franck Sander, président de la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB). « Un rendez-vous très moyen », a estimé de son côté Damien Greffin qui demande que le Gouvernement se réveille pour qu’il « nous redonne vision et perspectives ».
Manifestations parisiennes
La dernière grande manifestation agricole, avec des tracteurs, à Paris remonte au 27 novembre 2019. Environ mille tracteurs avaient alors mené des opération escargot sur le périphérique. Ils dénonçaient déjà les restrictions dont ils étaient l’objet, notamment à travers les zones de non-traitement (ZNT). Mais ils n’avaient pas pu entrer dans Paris. C’est le jeudi 3 septembre 2015 qu’ils s’étaient retrouvés Place de la Nation pour exprimer leur désarroi face à la chute de leurs revenus et dénoncer les charges, les normes, les contrôles sociaux et environnementaux, la fiscalité… Pas moins de 1 500 tracteurs avaient envahi la capitale. Les agriculteurs ont également manifesté le 14 décembre 2021 devant le Conseil d’État, toujours pour les ZNT. Plusieurs arrestations s’en étaient suivies, sans conséquence. Cette manifestation du 8 février 2023 s’est déroulée dans la bonne heure, dans une ambiance chaleureuse et détendue. C’est autour de nombreux barbecues, installés sur place, qu’elle s’est terminée.
* Damien Greffin (FNSEA GBP), Geoffroy d’Evry (UNPT- pommes de terres), François Roch (FNPFruits), Éric Thirouin (AGPB), Philippe Bréhon (Union des endiviers), Louise Piercourt (JA), Franck Laborde (AGPM), Franck Sander (CGB), Arnaud Rousseau (FOP-oéloprotéagineux)