L’agriculture «peut être à nouveau le moteur de l’unité européenne»
Quelques jours avant les élections européennes, Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, rappelle la qualité des agricultures française et européenne, et souligne l'attachement des agriculteurs à l'Europe et à la politique agricole commune.
Et si les élections européennes offraient une occasion unique de redonner un souffle nouveau à la construction européenne ? Ce souffle nouveau, les agriculteurs l’appellent solennellement de leurs vœux. Avec la Politique Agricole Commune (PAC), première politique intégrée, les agriculteurs sont conscients de ce qu’ils doivent à l’Europe, mais aussi de ce qu’ils lui ont apporté en assurant à 500 millions de citoyens une alimentation saine, sûre et accessible. Les agriculteurs ont de surcroit intégré les défis sanitaires, environnementaux et climatiques, grâce à une modernisation historique, qui a permis de hisser l’Union Européenne au premier rang des puissances agricoles mondiales en quelques décennies. Pourtant, jamais cet héritage n’a été autant critiqué et récusé. Tel est le paradoxe agricole européen.
Comment comprendre que les enjeux politiques de la production alimentaire européenne soient aussi peu considérés, dans un monde où la population augmentera de 30 % d’ici à 2050 ? L’Union Européenne doit être plus ambitieuse pour ce secteur, pilier de sa construction, face aux géants que sont les États-Unis, la Chine, la Russie et le Brésil, qui font de l’agriculture une priorité nationale pour assurer leur développement et leur influence extérieure. L’élection européenne doit être l’occasion de réaffirmer que l’avenir et la stabilité de l’Union se joueront en grande partie sur sa capacité à renforcer, accompagner et protéger son agriculture. Il est urgent que cette prise de conscience irrigue de nouveau le cœur et l’esprit du projet européen.
Plus mais surtout mieux d’Europe
Les agriculteurs l’ont bien compris : leur avenir passera par plus, mais aussi et surtout par mieux d’Europe.
Mieux d’Europe, pour protéger notre agriculture des distorsions liées à la dérégulation mondiale des marchés agricoles. Comment maintenir une agriculture rentable, attractive et à taille humaine, capable d’engager ses transitions agroécologiques, si l’Europe continue à importer l’agriculture que nous ne voulons pas ?
Mieux d’Europe, pour faire converger nos règlementations sociales, fiscales et environnementales dans un véritable marché unique. Comment espérer être forts collectivement si nous détruisons, entre pays, des pans entiers de nos productions par le jeu des distorsions intra-communautaires ?
Enfin, mieux d’Europe, quand il s’agit d’assumer le choix politique de la solidarité financière des États membres qui contribuent à un budget de la PAC fort. Toute tentation de renationalisation des aides, serait un mauvais signal du grand retour des nations.
Les agriculteurs regrettent l’absence de vision stratégique de l’Union Européenne tant leur destin est intimement lié à celle-ci. Même si les priorités politiques européennes s’élargissent à la sécurité, à l’immigration… il n’y aura pas d’Europe forte sans une agriculture forte. Rappelons qu’un tiers des excédents de la balance commerciale européenne proviennent des exportations de produits agricoles et alimentaires.
Face aux enjeux alimentaires, climatiques, énergétiques et écologiques, l’agriculture apparait comme une solution majeure grâce au maintien d’agriculteurs nombreux dans tous les territoires. Cette agriculture productive et durable, remise au cœur du projet européen peut être à nouveau le moteur de l’unité européenne et le catalyseur des grandes transitions.
Les agriculteurs croient en l’Europe
Le 26 mai prochain, faisons le choix de l’agriculture pour renforcer l’Europe ! Sillonnant la France à l’écoute des agriculteurs, je suis sans cesse interpellée sur la violence des critiques à l’égard de l’agriculture, qui atteignent un paroxysme au cours de cette campagne aux Européennes. Ces critiques, les agriculteurs en sont cernés, harcelés par le bavardage quotidien des donneurs de leçons qui leur expliquent à longueur de lignes, de programmes ou de pétitions, le bon et le mauvais, le faire bien et le faire mal. Les paysans ne seraient-ils pas capables de saisir la marche complexe du monde ? Seraient-ils illégitimes pour exercer leur métier et nourrir leurs concitoyens de manière saine, sûre et durable ?
Toutes ces remises en question, sur l’impact des produits phytosanitaires, les modes d’élevage, l’alimentation... Les agriculteurs les reçoivent comme une injustice profonde. Injustice, lorsque l’on sait que face aux enjeux capitaux de l’environnement, du climat, de la biodiversité, les agriculteurs français n’ont pas à rougir de leurs engagements : notre modèle agricole et alimentaire a été promu, pour la troisième année consécutive, le plus durable au monde, par The Economist, loin devant l’Espagne (19e) et les États-Unis (26e).
Injustice aussi, quand on connaît le décalage entre la réalité de nos métiers, la diversité de nos productions, l’importance de nos efforts et les critiques réductrices d’activistes, qui ont trouvé dans le lynchage du monde agricole une raison d’être. Ceux qui dressent des murs entre les paysans et les citoyens sont des marchands de peurs. Ils refusent délibérément de considérer les transitions réalisées par le monde agricole, qui méritent pourtant d’être reconnues, respectées et valorisées, principalement en prix, pour l’encourager à poursuivre.
«Présents !»
Un adage paysan bien connu dit : «il y a ceux qui piaillent et ceux qui travaillent !». Malgré la mauvaise foi de certains, tous les travaux de prospective internationale placent l’agriculture en tête des solutions face aux grands enjeux du XXIe siècle. Solution, pour assurer la sécurité alimentaire d’une population mondiale en croissance de 30 % d’ici 2050, aux besoins plus divers, plus qualitatifs et plus éthiques ; solution, pour lutter contre le réchauffement climatique avec le potentiel immense de captation de carbone dans nos sols et nos prairies et le développement des énergies vertes ; solution, pour préserver la biodiversité, notre bien commun, qui ne peut toutefois reposer sur les seules épaules des agriculteurs sans un effort contributif de la société, dans un nouveau contrat ; solution, pour protéger les milieux, les sols et les ressources en eau, avec des engagements que les agriculteurs tiendront pour la réduction de l’impact des produits phytosanitaires ; solution encore, pour répondre aux attentes en matière d’évolution des modes d’élevage dans le respect des animaux, domaine où la France est citée comme bonne élève dans le monde.
Quel autre secteur est autant attendu ? Quel autre secteur a conduit depuis 60 ans une transition économique et sociale de grande ampleur tout en restant capable, encore aujourd’hui, de relever les défis pour les générations futures ? Une nouvelle fois, les agriculteurs répondent présent.
Alors de grâce, ne tirez pas sur le pianiste ! Ecoutez les agriculteurs expliquer la réalité de leurs pratiques ! Regardez les agriculteurs agir, raisonner et démontrer que, sans eux, point de réponse aux grands défis planétaires. La confiance de la société est et sera le meilleur carburant des transitions !
Christiane Lambert - Présidente de la FNSEA