Irrigation sur l’axe Allier/Loire : Envisager 2023 dès à présent
La campagne de soutien d’étiage 2022 a été historique : débutée avec un réservoir de Naussac rempli à 76 % seulement, les premières lâchures ont été particulièrement précoces et le soutien d’étiage intense. Les lâchures se poursuivent encore en ce début octobre et pourraient impacter la campagne 2023.
La sècheresse de l’été 2022 a nécessité un important déstockage d’eau depuis les réservoirs de Naussac et Villerest. Villerest qui dispose au 03/10/2022 de 55 millions de mètre cube (Mm3) (40 % de remplissage) est situé sur la Loire et devrait selon toute vraisemblance être rempli en début de campagne 2023. En revanche, Naussac est situé sur un affluent de l’Allier, il dispose au 03/10/2022 de 67 Mm3
(36 % de remplissage) et son remplissage est plus complexe. Les dernières simulations de l’EP Loire* indiquent qu’il n’y a que deux chances sur dix pour qu’il soit intégralement rempli en début de campagne 2023.
Naussac et Villerest, deux réservoirs indispensables pour l’Allier et la Loire
L’Allier et la Loire sont deux cours d’eau dont le débit est soutenu par les réservoirs de Naussac (185Mm3) et Villerest (130Mm3). Au plus fort de l’été, plus de la moitié du débit de la Loire à Gien (45) peut provenir des lâchures d’eau de ces barrages. Cette proportion peut même monter à 100 %
sur la Loire et l’Allier à l’aval des réservoirs. Ce soutien d’étiage doit permettre d’assurer l’alimentation en eau potable de grandes villes comme Clermont Fd, Nevers, Tours et Nantes, le refroidissement des quatre centrales nucléaires de l’axe Loire, les usages économiques ainsi que la vie des milieux aquatiques. Une coupure du soutien d’étiage mettrait en péril l’alimentation en eau potable de plus de deux millions de personnes dans les grandes villes mais également dans les zones rurales. L’abreuvement des animaux d’élevage serait également gravement menacé.
L’irrigation sur l’Allier et la Loire : une activité fortement dépendante des réservoirs de Naussac et Villerest
L’irrigation à partir des axes de l’Allier et de la Loire représente un prélèvement de l’ordre de 150Mm3 pour une superficie irriguée d’environ 65 000 ha. L’importance économique de l’irrigation n’est plus à prouver mais ces prélèvements ne sont possibles que grâce au soutien d’étiage. Lorsque le niveau de remplissage des réservoirs ne permet pas d’envisager une fourniture d’eau suffisante jusqu’à la fin de l’étiage, les lâchures d’eau sont diminuées et les usages économiques (dont l’irrigation) sont contraints pour garantir la fourniture d’eau potable. Pour autant, de telles restrictions d’usage de l’eau sont rares puisqu’elles n’ont été activées qu’à deux reprises (2019 et 2022) ces dernières années.
2022 : une année qui restera dans les mémoires
Le déficit de précipitations hivernal et printanier exceptionnel n’a pas permis un remplissage complet du réservoir de Naussac à la fin du printemps 2022. Chose rare, au 1er mai 2022 Naussac ne disposait que de 143Mm3 (76 %). Le soutien d’étiage a ensuite débuté très tôt : 1er mai 2022 contre le 7 juillet en moyenne pour la Loire (Villerest) et le 15 mai 2022 contre le 15 juin en moyenne pour l’Allier (Naussac). Les pluies du mois de juin 2022 ont été intenses mais localisées sur le département de l’Allier et certains départements limitrophes. Elles n’ont donc pas permis de recharger les barrages, elles ont tout juste permis une diminution des lâchures. Au
3 octobre 2022, les réservoirs continuent de lâcher de l’eau et Naussac ne dispose plus que de 67Mm3 (36 % de remplissage). L’EPL estime qu’il pourrait terminer la campagne 2022 avec un stock de l’ordre de 50 à
60 Mm3 soit le plus faible stock observé depuis la mise en service de l’usine de pompage de Naussac, hors années de vidange (2003 et 2005). Depuis la création de l’ouvrage et hors années de vidange, un niveau inférieur à 50 Mm3 n’a été observé qu’à deux reprises (1990 et 1991).
Un impact possible sur le remplissage de Naussac en 2023
Le réservoir de Villerest est situé directement sur la Loire. Son remplissage complet en vue de la campagne de soutien d’étiage 2023 est donc une quasi-certitude. En revanche, Naussac est situé sur un petit affluent de l’Allier, le Donozau. Outre l’apport direct du Donozau, le remplissage de Naussac est assuré par la dérivation d’un cours d’eau adjacent, le Chapeauroux, et par un pompage dans l’Allier lorsque les conditions hydrologiques le permettent. Compte tenu du faible stock présent à Naussac en cette fin d’année, son remplissage complet pour la campagne 2023 est loin d’être garanti. L’EPL estime à 20 % seulement la probabilité d’un remplissage complet de Naussac et à 70 % la probabilité d’un remplissage à hauteur de 140Mm3 (soit le niveau de remplissage de mai 2022). Evidemment, ces probabilités ne sont que des estimations qu’il faudra consolider en fonction des conditions climatiques des mois à venir.
L’irrigation 2023 déjà compromise ?
Si le risque d’un remplissage de Naussac inférieur au maximum autorisé pour 2023 est bien réel, il est trop tôt pour avoir des certitudes sur la campagne d’irrigation 2023. Toutefois, les inquiétudes grandissent à mesure de la baisse du niveau de Naussac. Pour Emmanuel Lehmann, Chef du service Barrages à l’Etablissement public Loire, 2023 s’annonce d’ores et déjà comme une année compliquée : « sauf précipitations particulièrement abondantes, 2023 pourrait ressembler à 2022 avec un niveau de Naussac inférieur au maximum autorisé au début du soutien d’étiage. » La probabilité de connaitre des tensions, et donc des restrictions est forte. L’enjeu de 2023 sera de maintenir un fonctionnement normal le plus longtemps possible dans la saison pour limiter les impacts économiques d’éventuelles restrictions. Au-delà de 2023, Emmanuel Lehmann alerte sur les campagnes suivantes : « vider Naussac une année hypothèque la campagne de l’année suivante. La gestion 2023 devrait donc être prudente pour ne pas entrer dans un cercle vicieux ».
Quelle stratégie face au risque de restriction d’irrigation 2023 ?
Le risque de restrictions d’irrigation durant la campagne d’irrigation 2023 est donc bien présent, bien qu’il soit impossible d’avoir des certitudes à ce stade. Plusieurs stratégies sont envisageables pour limiter les conséquences d’une éventuelle limitation de l’usage de l’eau.
Les restrictions d’irrigation surviennent rarement durant les premiers jours de l’été. La première stratégie consiste donc à cibler des cultures dont le besoin en eau est précoce. On pourra cibler bien évidement les cultures d’hiver comme le blé. Concernant le maïs il conviendra autant que possible d’avancer la date de floraison en évitant de choisir des variétés trop tardives et en le semant dès que les conditions le permettent.
En cas de tension sur la ressource en eau, les restrictions d’irrigation se limitent dans un premier temps à des interdictions partielles : 33 % de la durée d’arrosage en alerte et 50 % en alerte renforcée. Une stratégie d’adaptation consiste donc à adapter sa superficie irriguée de manière à être capable d’irriguer convenablement avec seulement 66 % ou 50 % du temps d’irrigation disponible. La diminution de la superficie irriguée ou l’introduction de cultures moins consommatrices en eau comme le tournesol peuvent être une solution.
Contact : Julien Martens Chambre d’agriculture de l’Allier 04 70 48 42 42.
1EPL : L’Etablissement public Loire est le propriétaire et le gestionnaire des réservoirs de Naussac et de Villerest (Loire)
Nicolas Bonnefous, membre du Comité de bassin, vice-président de la commission territoriale Allier-Loire amont, élu à la Chambre d’agriculture de l’Allier et membre de la FRSEA : « Il ne faut rien lâcher et nous défendre, céréaliers comme éleveurs »
Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est le Sdage ?
Nicolas Bonnefous : Le Sdage, Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des eaux doit traduire la directive cadre européenne sur le bassin hydrographique. L’élaboration du Sdage est préparée par le secrétariat technique de Bassin composé de la Dreal Centre, l’OFB et l’Agence de l’eau. Il est ensuite voté par le comité de bassin composé d’élus, d’usagers économiques et non économiques et de représentants de l’État.
Comment se sont déroulés les échanges ces dix-huit derniers mois ?
N.B : Clairement, dans un état d’esprit délétère où ceux qui souhaitaient signaler des incohérences dans le texte proposé ont été contrés ! Ce texte, il nous a été « vendu » comme ne comportant que de simples modifications à la marge. Il s’avère qu’il comprend des modifications très importantes avec de nombreuses erreurs techniques de la part de l’administration. Une première version du texte avait été, dans un premier temps, proposée à la consultation publique, lors de laquelle, les assemblées et les Chambres consulaires avaient fait un certain nombre de remarques qui n’ont jamais été prises en compte. Seules les remarques allant dans le sens du durcissement réglementaire du texte l’ont été ! Le jour du vote, nous avons été mis devant le fait accompli. Si nous prenons en compte les votes défavorables et les abstentions, ce Sdage a été, pour nous, très mal voté.
Quelles seraient les conséquences pour l’agriculture si le Sdage restait en l’état ?
N.B : Concernant l’irrigation, nous voici face à un durcissement de la gestion à l’étiage et du remplissage des réserves hivernales. Quant aux zones humides, on nous parle désormais de leurs zones périphériques, ce qui provoque un sentiment d’interrogations concernant les différences entre celles-ci. Nous pouvons donc tout imaginer et, à terme, peut-être, une mise sous cloche. L’aménagement des cours d’eau dans le bassin versant comprend désormais l’introduction des éléments paysagers comme les talus et les haies par exemple. Nous avons donc une inflation de mesures. L’élevage est également attaqué par le biais de l’abreuvement.
Quel est l’objectif du recours ?
N.B : Suite au recours gracieux, la Préfète de Bassin a choisi de ne pas nous répondre. Nous avons donc fait le choix de partir au contentieux devant le tribunal administratif au titre des FRSEA, FDSEA et de la Coopération agricole. Nous espérons que notre position sera reconnue et que ce texte sera corrigé. Une procédure longue, sans doute de plusieurs années et, il faut savoir que ce recours n’est pas suspensif. Le Sdage s’applique donc désormais à partir de sa signature, c’est-à-dire depuis le 4 avril 2022.