Installation des éleveurs : s'adapter aux nouvelles générations
En ouverture de leurs travaux, les membres de la Fédération nationale bovine réunis en congrès à Metz, ont notamment planché sur le thème « Renouvellement des générations, quelles conditions ? ». Une équation à multiple inconnue qui nécessite de prendre en compte les attentes des futurs installés.
Pour Patrice Faucon, vice-président de la FNB, l'enjeu est clairement « d'arrêter l'hémorragie ». En effet, de nombreuses exploitations bovines ferment leurs portes chaque année sans trouver de repreneurs ou en morcelant l'exploitation à leurs voisins. « De plus, c'est un secteur vieillissant », ajoute Marie Penn, chargée de mission à la FNB. Chiffres à l'appui, elle explique que 54 % des éleveurs ont plus de 50 ans, 18 % plus de 60 ans. Ils sont même 9 % à avoir plus de 63 ans. Dans la tranche 60-63 ans, plus de 60 % des éleveurs de viande bovine n'envisagent pas de prendre leur retraite (32 %) et ne savent pas ce qu'ils vont faire de leur exploitation (31 %). Pis : 50 % des éleveurs actifs en 2018 pourraient quitter le secteur avant 2027. De plus le taux de remplacement atteint péniblement 50 % ce qui est « bien faible » comparé aux autres secteurs de l'élevage. Si le schéma de reprise familiale (par un fils ou une fille) a été longtemps la règle, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Car « les mentalités ont changé », assure Guillaume Gauthier, secrétaire général adjoint de la FNB. « Les critères avec lesquels je me suis installé ne sont pas les mêmes que ceux de mon père et ne seront pas celui de mon successeur », explique-t-il en substance. Aujourd'hui, les jeunes qui pensent à reprendre des élevages « réfléchissent au métier lui-même et à ses contours : la vie de famille, les vacances, les week-ends... », précise-t-il.
« Redonner un coup de jeune »
C'est pourquoi les jeunes éleveurs (et éleveuses) n'aspirent pas à avoir de grandes fermes. Ils cherchent avant tout un équilibre entre temps de travail, rentabilité et donc rémunération. « L'indépendance, l'ambiance du travail, la qualité de vie, le respect de l'environnement », et bien d'autres facteurs constituent des points positifs pour les 188 étudiants interrogés sur l'attrait du métier d'éleveur. En revanche, cette même étude réalisée auprès de ce panel montre que la rémunération, les horaires de travail, la sécurité financière constituent de véritables freins à lever. Pour parvenir à un juste équilibre, le projet économique doit être bien ficelé en amont. « Il faut donc que chaque agriculteur puisse bien connaître ses coûts de production », plaide Patrice Faucon et être en phase avec ses propres attentes. Mais à vouloir trop réduire les cheptels, « l'aval risque d'en souffrir », prévient Béatrice Eon de Chezelles, expert Viandes au Crédit agricole. En effet, les abattoirs pour couvrir leurs coûts fixes ont besoin d'importants volumes de matière première, c'est-à-dire de bovins à abattre et découper. Et si le prix peut constituer une donnée déterminante, il ne doit pas constituer un leurre. « Dans d'autres secteurs de l'élevage, on a cru que la baisse du nombre d'éleveurs allait générer mécaniquement une baisse de la production et donc une hausse de prix. C'était une vision à court terme ! », prévient Guillaume Gauthier qui veut « redonner un coup de jeune au métier d'éleveur ».
Les congressistes ont largement abordé le phénomène de décapitalisation qui touche l'élevage français depuis plusieurs années. Interrogé sur la question des indemnisations suite à la sécheresse, le ministre de l'agriculture a déçu. Christian Arvis, président de la FDSEA de la Creuse revient sur les débats.
Christian Arvis, dans quel état d'esprit les éleveurs se sont rendus au congrès de la FNB ?
Compte tenu de la situation qui est la nôtre, l'ambiance du congrès n'était pas au beau fixe. La situation de l'élevage n'est pas brillante. Même si les cours de la viande bovine sont supérieurs à ce qu'ils ont été par le passé, les charges ont explosé et nous subissons des aléas climatiques à répétition. Nous avons encore 70 à 80 centimes de manque à gagner par rapport à notre coût de production. Cette situation se traduit en chiffres : depuis 2016 le cheptel bovin français allaitant et laitier a perdu 837 000 têtes ce qui représente à peu près 11 % du total. Rien que sur l'année 2022, la perte s'élève à 110 000 têtes. Cette décapitalisation conduit à une augmentation des importations de viande bovine en France car par ailleurs la consommation est stable. Aujourd'hui, 29 % de la viande bovine consommée en France est importée. L'autre souci c'est qu'un cheptel de mères qui recule ne permet pas de produire suffisamment de veaux pour alimenter les marchés du broutard en Espagne et en Italie. On va se retrouver avec le même phénomène que celui vécu par la filière ovine il y a plus de 20 ans : le prix de la viande importée va faire le prix de la viande française. Dans ce contexte, l'ombre des accords du Mercosur plane encore sur nous. Ils ont été retoqués jusqu'à présent mais pour combien de temps ?
Comment l'élevage français peut-il redresser la barre ?
Il faudrait plus d'installations. Or aujourd'hui peu de jeunes se tournent vers l'élevage. C'est une production qui demande de l'investissement et les nouvelles générations veulent pouvoir profiter de leur famille, avoir des congés... C'est normal. Il est aussi possible de se dégager du temps en élevage mais la première condition pour ça et, plus largement, pour installer de nouveaux éleveurs c'est la rémunération. Pour cela il est impératif que la loi Egalim soit appliquée et que nos coûts de production soient pris en compte. Mettre la loi en application dans la situation économique actuelle est ardu et il est difficile de négocier sereinement avec un prix de marché reparti à la hausse et la flambée des charges en parallèle. Il faut aussi une PAC qui soutienne l'élevage.
La gestion des risques en agriculture a été abordée également lors du congrès. Quelles sont les positions sur le sujet ?
Actuellement, le système assurantiel qui se profile pour les systèmes herbagers est basé sur la cartographie satellitaire. Or, il est clair que cette dernière ne reflète pas la réalité et n'est pas paramétrée correctement. Nous l'avons bien constaté suite à la sécheresse de l'été 2022 et aux estimations des calamités ; il y a de gros écarts entre les observations du satellite et celles du terrain. Le système est censé repérer la pousse de l'herbe or, ce n'est pas parce que le satellite voit une zone verte que l'herbe pousse effectivement. Nous demandons que la cartographie satellitaire soit complétée par des observations de terrain dans des fermes de référence. Mais le ministre de l'Agriculture ne semble pas très enclin à faire évoluer les choses pour le moment...