Foncier : Comment les Chinois investissent sur les plaines céréalières du Berry
Le rachat par une entreprise chinoise de 1 700 ha de terres agricoles dans le Berry inquiète la FNSafer. Ces ventes sont réalisées par le biais de rachats de parts de société.
Si l’on savait que les entrepreneurs chinois s’intéressaient aux domaines viticoles français, l’achat de champs de céréales est un phénomène nouveau. Cinq exploitations, soit 1 700 ha de terres, ont été rachetées depuis le mois de septembre par Hongyang, une société chinoise. Des transactions réalisées «dans la discrétion générale», confie Emmanuel Hyest, président de la FNSafer. Cette dernière n’a pas eu son mot à dire : les ventes ayant été réalisées par le biais de rachats de parts de société, la Safer ne dispose d’aucun moyen juridique pour s’en mêler.
D’autres rachats en perspectives
«Je pense que ce n’est pas terminé», soupire Régis Lemitre, président de la Safer du Centre, qui s’attend à de nouveaux achats par la même société. La production de céréales est destinée à l’exportation, explique la Safer. Dans ces conditions, Régis Lemitre est «persuadé que ce n’est pas seulement 1 700 ha qui les intéressent» mais bien plus. «Il faut au moins 15 000 ha pour remplir un bateau» témoigne-t-il. De fait, l’entreprise aurait tout intérêt à acheter davantage, afin de rentabiliser le transport des céréales. «Le bateau ne reviendra pas à vide», alerte Régis Lemitre qui craint voir revenir des intrants en provenance de la Chine. «Et on va verser des aides Pac à ces gens-là !», conclut-il. Le phénomène n’a pas de raison de s’essouffler : selon Régis Lemitre, en France, on compte 27 ares de terres agricoles par habitant ; en Chine seulement 4 ares. Les terres agricoles sont donc une denrée rare et convoitée par les Chinois. Et les terres françaises sont particulièrement attractives, car elles restent moins chères que celles des pays voisins, selon Gilles de la Poterie, l’agent immobilier qui a conclu une partie des ventes.
Des investisseurs étrangers à défaut de candidats locaux
Gilles de la Poterie estime de son côté que l’arrivée d’investisseurs étrangers est bienvenue. «Heureusement que des sociétés étrangères investissent !», s’exclame-t-il. L’agent immobilier déclare en effet que l’une des exploitations rachetées par l’entreprise chinoise était en vente depuis deux ans et qu’elle ne trouvait pas d’acquéreur. Il assure travailler en priorité avec des acquéreurs potentiels locaux. Mais seules les petites et moyennes exploitations intéressent les locaux ; et ces exploitations se font rares dans la région Centre. Pour Gilles de la Poterie, seuls les gros investisseurs ont les moyens de racheter les grandes exploitations. «J’ai vendu à des Américains, des Canadiens, des Écossais…», déclare-t-il, remarquant que ça n’avait pas fait tant de bruit. Interrogé sur les ambitions de la société chinoise, Gilles de la Poterie dit ne pas savoir si elle souhaite investir davantage dans la région, cependant, il affirme qu’elle investit partout en Europe et dans le monde entier.
Le bon moment pour vendre
Étant donné le contexte et les pers-pectives sombres qui se dessinent, notamment pour les céréaliers, revendre aujourd’hui peut être un bon compromis. «Les trésoreries sont mises à mal» témoigne Régis Lemitre qui reconnaît que la vente, pour les agriculteurs proches de l’âge de la retraite, peut permettre de rembourser les dettes et de s’en tirer avec une somme restante supérieure à ce que la conjoncture peut leur laisser espérer s’ils continuaient leur activité. D’autant plus que l’entreprise chinoise achète à un prix supérieur au prix du marché, même pour des terres «pas excellentes», selon Régis Lemitre. Certains agents immobiliers profiteraient de la crise agricole pour proposer aux agriculteurs de vendre.«Certaines transactions sont conclues de manière surprenante», avant toute communication, s’étonne Régis Lemitre qui s’agace contre ces agents immobiliers «peu scrupuleux». «En termes d’éthique, ils sont plutôt borderline !» renchérit Emmanuel Hyest.
Une faille juridique pour contourner les contrôles
Et si ces ventes irritent particulièrement les Safer, c’est parce qu’elles n’ont aucun moyen de les contrôler. Certains agents immobiliers «apportent un conseil pour contourner le système de contrôle des structures», déplore Régis Lemitre. Ils s’engouf-frent dans une faille juridique qui exclut les Safer de tout contrôle. Lorsqu’une transaction est effectuée par le biais de vente de parts sociales et que l’acquéreur ne rachète pas l’intégralité des parts de la société dont il veut prendre le contrôle, la Safer ne peut pas intervenir, son contrôle étant limité aux cas de cessions de l’intégralité des parts. Certaines exploitations créent des sociétés uniquement dans ce but : «Une société a été créée et quelques semaines plus tard, le transfert était fait», raconte Régis Lemaitre. En pratique, l’acquéreur rachète la quasi-totalité des parts, tandis quel’agriculteur en place en garde un minimum, avant de vendre les dernières parts quelque temps plus tard.
La FNSafer tire la sonnette d’alarme
«Il faut contrôler ces transferts», alerte Emmanuel Hyest. Une revendication partagée par Régis Lemitre, qui déplore «l’abandon du monde rural par les pouvoirs publics». La FNSafer finalise un rapport qui démontre l’augmentation d’achat de terres agricoles par le biais de transfert de parts sociales. Elle espère pouvoir le présenter au mois de juin afin qu’il appuie ses revendications. «Le fait qu’il y ait des investisseurs étrangers ne nous pose pas de soucis» indique Emmanuel Hyest. Ce qui inquiète, c’est qu’en dehors du contrôle de la Safer pour vérifier que «le projet d’acquisition répond bien aux objectifs des politiques publiques», il y a «une remise en cause totale de l’agriculture française» causée par «la financiarisation et la spéculation».
BB