FILIERE PORCINE. Elevage de porcs naisseurs : de la passion à la gestion de crise
Rencontre avec une famille d'agriculteurs qui fait face à la crise actuelle, dont les enfants voient l'avenir sous un tout autre angle.
Valérie Lathieyre est installée depuis 1996 à Monceaux sur Dordogne en Corrèze. Venant de Paris, elle s'est d'abord formée sur le tas, pour passer ensuite un Brevet d'Etudes Professionnelles Agricoles à Cornil. « J'aimais les animaux, surtout les petits, alors devenir naisseur était assez naturel pour moi, je n'ai pas eu de difficulté à m'adapter au métier », déclare-t-elle. A son arrivée dans l'exploitation où elle est actuellement associée avec son mari, il y avait 80 truies, puis 150. Comme il ne peuvent engraisser, l'exploitation a été obligée de passer à 330 truies. « Economiquement, nous n'avions pas le choix, les groupements voulaient que nous augmentions la production, ça ne passait plus avec seulement 150 truies » insiste-t-elle ; et elle ajoute : « On nous demande de faire du cochon, mais quand il y a une crise, on nous dit : Débrouillez-vous ! »
Une évolution économique défavorable sur 30 ans
« Dans les années 90, on vivait bien. On avait des aides, comme l'aide à la cochette ». D'après Valérie Lathieyre, les aides étaient plus nombreuses et plus efficaces qu'aujourd'hui, où elles ne sont pas adaptées. Quand les cours étaient à la baisse, les agriculteurs étaient soutenus. Ce qui n'est que peu le cas aujourd'hui. « Depuis cette décennie, il n'y a eu que peu d'augmentation des prix du porc en euro constant. Mais les charges ont largement augmenté ce qui nous laisse peu de marge. On se demande qui voudrait travailler sept jours sur sept, sans salaire. Ça fait dix ans que je suis saturée. ». Une note de désespoir apparait dans les paroles de Valérie qui ne voit plus de satisfaction vers l'avenir. « Nous avons un avantage, nous sommes engagés avec un groupement, nous avons des engraisseurs derrière. Mais les aides à l'alimentation animal, ne paient même pas une livraison... Les aides pour la prise en charge de cotisation MSA, avec les minimis, nous ne passons pas » ajoute-t-elle. Heureusement, l'exploitation n'a pas de dettes, les bâtiments ne sont pas flambants neufs, l'alimentation animale est payée, les annuités aussi.
Des normes, pas toutes mauvaises, mais trop nombreuses
Les normes sont la bête noire de beaucoup d'éleveurs. Elles changent souvent et demandent des investissements particulièrement importants. Là encore, Valérie Lathieyre a beaucoup à dire. En effet, si elle n'est pas contre les normes qui améliorent le bien être animal, elle pense que les autres normes vont trop loin, sont trop nombreuses : « Ça n'arrête pas, les normes sont faites par des gens qui ne connaissent pas l'élevage, ils feraient bien de se déplacer sur le terrain pour comprendre ».
Quant à l'encadrement des prix, c'est une bonne idée pour pouvoir augmenter les marges. Mais comment faire ? D'après l'éleveuse, les consommateurs ne sont pas prêts à payer plus cher pour acheter de la viande, et préfèreraient s'en passer que de voir les prix augmenter. Il faut donc trouver un juste milieu. Elle poursuit : « Je ne suis pas sûre que le prix de la viande doive être plus élevé, par contre, il y en a qui se font des marges excessives, et entre l'éleveur et le consommateur, il y en a certains qui vivent très bien ».
Face au porc « bio »
D'autres problèmes apparaissent au cours de la conversation. En effet, le consommateur, et la communication qui lui est destinée insiste tout particulièrement sur la qualité de la viande bio, tout en dénigrant la filière traditionnelle. Mais ici, Valérie Lathieyre réagit vivement : « Ils font la même viande que nous ! D'abord, le bio c'est hors de prix, et nous faisons, nous, dans le porc traditionnel, de l'agriculture raisonnée sans le savoir. On ne donne que de bonnes choses à manger, c'est contrôlé, sain, très raisonné, nous les soignons avec peu d'antibiotiques, des plantes et de l'homéopathie. Si on fait les comptes, nous, les humains, sommes bien plus traités et piqués que nos cochons ».
Mais il y a aussi les nouvelles mesures liées à l'environnement, par exemple, il est de plus en plus demandé à l'agriculteur de ne pas labourer : « On a essayé : ça n'a pas marché. On a semé du sorgho sur deux parcelles : une qui est labourée, et l'autre non. Le rendement a été lamentable sur la parcelle non labourée. Ce n'est pas faisable ». Ne nous trompons pas, l'exploitation Lathieyre n'est pas contre la prise de mesures en faveur de l'environnement, en revanche, l'idée est lancée d'adapter les mesures région par région, voire département par département, parce que le climat n'est pas le même partout, le sol non plus. Ce qui marche ailleurs, ne marche pas forcément ici.
Quant à la suite ? Une transmission ?
« Je ne peux même pas prendre mon fils comme salarié de l'exploitation, je n'en ai pas les moyens, et les charges sont trop élevées », constate Valérie. Arnaud est obligé de créer sa propre exploitation, pour faire de l'engraissement, mais cela demande un investissement de 500 000EUR pour mettre aux normes une exploitation à reprendre. Même avec une aide de 140 000EUR, c'est un lourd endettement pour commencer son activité professionnelle. Pascal Lathieyre le mari et co-gérant avec Valérie de l'exploitation intervient : « Je ne pense pas que pour transmettre aux prochaines générations, il faille faire des chèques et distribuer de l'argent. Le point primordial, c'est le social : il faut pouvoir s'associer pour se remplacer l'un et l'autre, afin de pouvoir bénéficier de weekends, de vacances et de loisirs. Les problèmes financiers sont secondaires, ça va se régler tout seul. Il faudra payer les produits plus chers, sinon les gens vont mourir de faim ! ».
Quant à partir à la retraite, le couple Lathieyre n'y pense pas. Malgré la fatigue et l'usure des corps et des esprits, le niveau des pensions n'est pas suffisant : « On finira par vendre l'exploitation ».
Un changement à venir avec la jeunesse ?
Jennifer Durand, étudiante en BTS Production Animale à Naves et stagiaire sur l'exploitation, veut devenir technicienne. Elle confirme que les jeunes maintenant ne veulent pas se donner à 100% dans un métier pour ne récolter que peu de revenus. La vie, ce sont aussi des loisirs les weekends. Elle nous rassure : « Je vois qu'il y a de plus en plus de postes disponibles en agriculture, beaucoup trop de choses sont demandées aux exploitants, tant du point de vue financier, qu'au niveau du temps de travail. Il faut des gens qualifiés pour les seconder, les conseiller. Je n'ai pas de soucis pour trouver du travail »
Arnaud Lathieyre, le fils n'a pas peur de l'avenir : « Si ça se termine mal, je revends tout, et je fais autre chose. J'ai été un mois en Espagne, voir des porcheries. 5000 truies - naisseurs engraisseurs - 40 salariés roumains. Les cochons dans les lisiers, les fausses débordaient. Ils épandaient dans les champs sans écarter, le vent s'en occupait. Des flaques de lisier partout. Ils n'ont pas les mêmes normes, et ne suivent pas comme nous les règles européennes » Sa mère renchérit : « La jeune génération est différente de la nôtre. Quand on prenait l'exploitation, qui était familiale, on restait jusqu'au bout. Alors que les jeunes sont plus mobiles, ils ne craignent pas de partir sur des projets nouveaux, de changer ».
Il semble bien que la prochaine génération ne compte pas se laisser faire par les décideurs, les GMS ou encore les groupements et autres coopératives. Ils comptent imposer leur agriculture, leur vision des choses, leurs prix. C'est un espoir pour pouvoir conserver à terme une souveraineté alimentaire sur notre territoire.