Éleveurs : leurs nouveaux défis
Le 11 septembre dernier dans le cadre de Terre 2017, assises de l’élevage et de l’alimentation organisées à Rennes par le quotidien Ouest France, Christiane Lambert, présidente de la FNSEA et Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération paysanne ont eu l’occasion de s’exprimer sur ce que pensent les éleveurs des nouveaux défis qui s’imposent à eux.
Une consommation de viande qui diminue, des Français végétariens plus nombreux, des associations pour la défense des animaux qui prennent de plus en plus de place dans les réseaux sociaux et dans les médias, des éleveurs qui vivent un malaise profond.
Qu’en pensent les éleveurs ? Comment voient-ils leur avenir ?
Voici les questions auxquelles ont été amenés à répondre deux responsables syndicaux : Christiane Lambert, présidente de la FNSEA et Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération paysanne. Christiane Lambert a d’abord souligné que les éleveurs français vivaient un malaise profond. Elle a aussi voulu préciser que, pour elle, il y avait plusieurs types d’associations de défense des animaux. Il y a celles avec lesquelles le dialogue est possible : celles que l’on appelle « les wellfaristes », et puis il y a les associations dites « abolitionnistes », celles qui tétanisent les éleveurs.
Christiane Lambert a insisté sur le fait qu’en France, nous avons la meilleure application des normes européennes. Les éleveurs intègrent tous les éléments pour améliorer le bien-être des animaux dans les nouveaux bâtiments. Mais, a-t-elle ajouté, on a aussi un contexte difficile.
Laurent Pinatel a précisé qu’il était d’accord avec Christiane Lambert sur sa vision de la situation des éleveurs et des associations. Pour lui, il y a eu une perte de liens entre les paysans et les citoyens. Aujourd’hui, dit-il, on redécouvre qu’il y a des gens qui travaillent avec des animaux. Il condamne les actions violentes de certaines associations extrémistes qui jettent les éleveurs sur la place publique à un moment où les éleveurs souffrent. Pour Christiane Lambert « tout le monde est au travail ». Elle ajoute « nous avons travaillé avec nos partenaires, un recueil de bonnes pratiques a vu le jour ». En indiquant également que les éleveurs se forment : 4 500 suivent des formations. Pour elle, « il faut retisser des liens de compréhension avec les consommateurs. Il faut que l’on se mette d’accord avec eux ». Car, ajoute-t-elle, « il ne faut pas dire tout le temps que seuls les petits élevages sont magnifiques, et que les autres sont épouvantables ». Pour Laurent Pinatel, il faut que les politiques publiques accompagnent la transition des élevages. Il a insisté sur le fait que tous les Français ne sont pas logés à la même enseigne en ce qui concerne l’alimentation. Tout le monde n’a pas les moyens financiers d’acheter des produits plus chers. Pour lui, il faut peut-être retravailler un modèle à la Française. Il indique que, par exemple, la production d’œufs peut être relocalisée. Les collectivités locales doivent pouvoir aider à cette relocalisation.
Pour Christiane Lambert, « les éleveurs savent tout faire, à condition que les productions soient rentables ». Elle ajoute que les éleveurs ont envie de parler de leur métier. Ces derniers temps, on a vu se multiplier les opérations « Portes ouvertes » avec notamment « Agridemain », « Made in viande », et les « Fermes ouvertes ». Pour Christiane Lambert, les évolutions dans les élevages doivent être pensées avec l’amont et l’aval. Elle souligne que la majorité des produits carnés est vendue dans les grandes surfaces et qu’Emmanuel Macron a promis un plan d’accompagnement. Pour Laurent Pinatel, il faut que les contrats soient très transparents, et qu’une loi cadre la marge de la grande distribution. Pour la présidente de la FNSEA, il faut que le consommateur accepte de payer plus cher les efforts des agriculteurs. L’alimentation a un prix, c’est ce qui doit ressortir des États généraux de l’alimentation.
Au terme de Terre 2017, journée riche en débats sur les pratiques d’élevage, les filières animales ou encore le véganisme, le 11 septembre, le philosophe Francis Wolff est venu conclure sur les évolutions du statut de l’animal dans nos sociétés occidentales, évolutions à l’origine du courant abolitionniste incarné notamment, en France, par l’association L214.
Comprendre l’abolitionnisme pour le combattre
« L’élevage n’est pas un mal, c’est un bien, à condition que l’animal puisse exprimer les comportements normaux de son espèce », a expliqué Francis Wolff, philosophe et professeur à l’École normale supérieure, lors de la conclusion des Assises de l’élevage et de l’alimentation (Terre 2017) organisées à Rennes le 11 septembre par Ouest France. Car, poursuit le philosophe, « si on libère les animaux, certaines espèces ne seront jamais capables de survivre dans la nature, et celles qui sauront se réadapter souffriront de nouveau de faim, de soif, de douleur, de maladie ». L’homme a en effet un certain nombre d’obligations envers les animaux, en fonction des relations qu’il entretient avec eux : les animaux de compagnie nous donnent de l’affection, nous leur donnons la nôtre. Les animaux de rente nous donnent des œufs, du lait, du cuir, de la viande, etc., nous devons en échange les protéger de la faim, du stress, des prédateurs ou du froid. C’est, pour le philosophe, la définition de la « bientraitance », expression qu’il préfère à celle de « bien-être animal », car si l’on peut difficilement juger si les animaux sont plus heureux, on peut en revanche vérifier que les éleveurs le sont et traitent bien leurs animaux. Enfin, vis-à-vis des animaux sauvages, le devoir de l’homme est de protéger la biosphère, ce qui est aussi une condition nécessaire pour préserver l’avenir de l’humanité.
Un nouveau sens du mot « animal »
Cependant, les abolitionnistes, qui prônent la fin de l’élevage et la libération des animaux, ne font pas la distinction entre ces différentes relations, ni même, d’ailleurs, entre les différentes espèces. Pour Francis Wolff, ce courant de pensée s’explique par la fin des utopies révolutionnaires qu’ont connu les générations précédentes. « Ce sont des gens qui, en général, sont généreux », souligne le philosophe. « Pour les jeunes d’aujourd’hui, les vraies victimes, au bout de la chaîne de l’exploitation, ce ne sont plus les prolétaires, ce sont les animaux : vous rêvez d’un monde plus juste, eh bien vous voulez libérer les animaux ! », développe-t-il. En ajoutant aussitôt : « c’est absurde ! ». Absurde, parce que premièrement, libérer les animaux de l’homme ne les libérera pas de la nature, et que les prédateurs ne s’allient pas avec les proies. Deuxièmement, parce que pour prôner la justice, il faut un étalon de mesure commune, or il est impossible de mesurer la justice entre espèces animales. « Comment comparer le stress d’un dauphin contraint à vivre en delphinarium, avec le plaisir qu’il va donner à des milliers de familles ? » demande ainsi le philosophe. Si le mouvement abolitionniste continue ainsi à monter en puissance, c’est aussi car le mot « animal » n’a plus le même sens aujourd’hui, dans nos sociétés occidentales où les seules bêtes que connaissent les citadins sont les animaux de compagnie, élevés pour qu’ils ne fassent rien, et les images de bêtes en batterie diffusées à la télévision. C’est pourquoi Francis Wolff conseille avant tout de ne pas parler de l’animal en général, comme une catégorie unique et indifférenciée, alors que les relations que nous avons avec les animaux sont diverses. Et pour les éleveurs, cible régulière des anti-viande, ils doivent avant tout « comprendre leurs adversaires, et comprendre que le flambeau du bien-être animal, ce sont eux qui doivent le porter, car ce sont eux qui connaissent le mieux leurs bêtes », insiste-t-il. Avec davantage de prise de parole par la profession, « les vérités de vos élevages s’imposeront », conclut le philosophe, catégorique.