Éleveur aux 35 heures : et si ce n’était plus une utopie ?
Dans le cadre du programme Actife, auxquels quatre autres établissements auvergnats sont associés, le lycée agricole Pompidou d'Aurillac expérimente des innovations organisationnelles et technologiques pour doper l'attractivité du métier d'éleveur.
Dans le cadre du programme Actife, auxquels quatre autres établissements auvergnats sont associés, le lycée agricole Pompidou d'Aurillac expérimente des innovations organisationnelles et technologiques pour doper l'attractivité du métier d'éleveur.
Éleveur à 35 heures ? Une hérésie dans les campagnes pour bon nombre d’agriculteurs jeunes et moins jeunes, héritiers d’une culture paysanne où les journées de travail s’étirent en longueur. Pourtant, c’est autour de ce concept, volontairement un brin provocateur que le lycée agricole d’Aurillac et son exploitation pédagogique ont postulé à l’appel à projet ministériel Actife. Avec quatre autres établissements d’Auvergne, le lycée Pompidou a été retenu avec comme ambition commune d’innover pour œuvrer à l’attractivité du métier et au renouvellement des générations.
Si on continue à dire qu’il faut faire 80 heures par semaine pour gagner moins que le Smic, on n’y arrivera pas", Éric Cazassus, directeur de l'EPLEFPA
Le constat initial est en effet sans appel : dans les années à venir, pour maintenir le tissu d’élevages cantaliens en place, il va falloir remplacer la moitié des chefs d’exploitation arrivés à l’âge de la retraite. Les installations des seuls fils/filles d’agriculteurs ne suffiront pas et pour attirer des jeunes dans le métier, surtout ceux qui ont eu un parcours salarié auparavant, c’est notamment sur l’organisation et le temps de travail qu’il faut jouer, estime Éric Cazassus, directeur de l’EPLEFPA d’Aurillac. “Demain, on ne s’installera plus dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui. Les jeunes ont d’autres attentes. Si on continue à dire qu’il faut faire 80 heures par semaine pour gagner moins que le Smic, on n’y arrivera pas. La notion de métier passion a ses limites. Il faut changer de discours et intégrer aussi le fait qu’un tiers des installés sont des femmes”, avance le chef d’établissement. L’idée est donc de mettre l’innovation et la connectique sur l’exploitation agricole du lycée au service de l’attractivité. “On ne veut pas être un exemple à suivre mais un showroom”, appuie Éric Cazassus.
Monotraite payante
La première révolution, organisationnelle, a donc consisté au passage en juin 2023 à la monotraite du troupeau de 70 prim’holstein et brunes des Alpes dont le lait bio est transformé en cantal et salers AOP dans l’atelier pédagogique. Au terme des 18 premiers mois de traite quotidienne, les résultats sont plus que satisfaisants même s’ils méritent d’être confirmés sur la durée. Certes, la production a diminué de 19 % mais cette baisse est compensée par un rendement fromager accru : il ne faut plus 10 litres mais seulement 7,8 l pour un kilo de fromage. Parallèlement, c’est un gain de 4 points sur le TP, 6 sur le TB(1) en moyenne sur un an. Surtout, la monotraite s’est accompagnée d’une baisse des charges sensible : “On a perdu 240 € de produits par vache et par an mais les charges ont reculé de 1 160 €/VL/an”, résume le directeur, qui évoque des frais vétérinaires divisés par deux, des coûts alimentaires en recul de 60 %, de 30 % pour l’électricité... “On n’a plus alimenté le Dac depuis 18 mois, mais cela suppose des pâtures qui crachent”, avance Éric Cazassus, ajoutant que l’exploitation a atteint 98 % d’autonomie fourragère.
Deuxième volet du programme : la connectique, ou comment gagner du temps et de l’argent grâce aux nouveaux outils et technologies. Les premiers équipements, adaptés au système, ont ainsi débarqué dans l’exploitation du lycée. Un Dal, distributeur automatique de lait, un investissement (2 stalles) de 15 000 €(2), a déjà fait ses preuves avec quatre heures de travail quotidiennes économisées, tout en diminuant les risques musculo-squelettiques et en visant une hausse de GMQ (gain moyen quotidien) des veaux les premières semaines de vie.
Un show room au service des (futurs) éleveurs
Un robot repousse-fourrage (d’occasion et en leasing) a également fait son apparition dans la stabulation, synonyme de gain de temps, de flexibilité du travail mais aussi d’une meilleure ingestion, de moindre gaspillage et de frais GNR abaissés. Un robot aspirateur de lisier et une pailleuse connectée ont suivi, avec comme objectif premier de réduire les maladies infectieuses des aplombs, de gagner du temps et d’économiser du carburant.
Les vaches ont par ailleurs été équipées de détecteurs de rumination pour déceler précocement une maladie, elles le seront également de colliers détecteurs de chaleur afin de diminuer les frais d’IA et l’astreinte de surveillance. Dans un souci de bien-être animal, des rideaux intelligents connectés à une station météo vont bientôt être installés.Enfin, l’acquisition d’un robot débroussailleur porte-outils radiocommandé est programmée.
“On est là pour tester. On ne veut pas donner de leçon, ni dire qu’il faut que chacun ait tout ça sur son exploitation, mais expliquer ce qui marche, ce qui ne marche pas, proposer des conseils en termes d’usages, de coûts, de financement avec des formules en location, neuf, d’occasion...”, affiche Éric Cazassus, qui souhaite à terme que ce showroom soit ouvert aux élèves, étudiants, futurs installés mais aussi aux éleveurs en place.
(1) Taux protéique (TP), taux butyreux (TB).
(2) L’ensemble des investissements devraient dépasser les 200 000 € aidés par France 2030 mais aussi le Pacte Cantal, la MSA...