Devant la justice pour avoir défendu ses cultures
Pour prévenir les dégâts causés par les sangliers, un agriculteur corrézien a abattu un animal sur sa parcelle. Parce que le droit de chasse aurait été cédé à une société, une plainte a été déposée et l’Office français de la biodiversité mène une enquête digne d’une série policière.
1er janvier 2020, 8 h 30. Gilbert Mesturoux, éleveur à Palazinges, en Corrèze, apporte du foin à ses vaches sur une parcelle située à Cornil dont il est fermier. Il surprend alors une troupe de six sangliers en train de ravager sa prairie. Pas de chasseurs en vue. Titulaire du permis de chasse depuis 43 ans, Gilbert, excédé et bien décidé à faire quelque chose, retourne chez lui prendre son chien et son fusil. Il recrute également un ami, lui aussi chasseur, qui se poste sur une parcelle voisine sur laquelle le droit de chasse n’a pas été concédé. Le chien a vite fait de dénicher les sangliers et 18 animaux sortent précipitamment du fourré. Gilbert tire et abat un seul animal de 25 kilos qu’il offre aussitôt à des propriétaires fonciers. On est loin d’un acte de braconnage…
Heureusement, le ridicule ne tue pas
17 janvier 2020. À la suite d’une plainte déposée par la société de chasse locale, un inspecteur de l’environnement de l’Office français de la biodiversité (OFB) est dépêché sur place pour mener une enquête. Ça n’est pas R.I.S Police scientifique mais ça y ressemble. Détecteur de métaux, relevé d’empreintes, de poils, fouille au sein des ronciers…, rien n’est laissé au hasard. La « scène de crime » est investiguée dans les moindres détails. Dommage, le rapport ne précise pas si des prélèvements ADN ont été réalisés. Le procès-verbal qui en découlera confirme la découverte d’une douille de carabine. L’indice est mis sous scellé [sic] bien que M. Mesturoux n’utilise qu’un fusil. Dix-sept jours après les faits donc, l’enquête relève « que les ronces sont écrasées comme si quelqu’un avait essayé de pénétrer dans les fourrés », mentionne « des poils de sangliers dans une clôture en fil de fer barbelé », ainsi que « des traces de roulage laissées par la circulation d’un gros véhicule 4x4 ». Pas très surprenant quand on sait que Gilbert, en bon éleveur, rend visite à ses bêtes tous les jours ou presque. Le rapport conclut ainsi : « pas de dommages apparents sur les lieux, hormis la suspicion d’utilisation d’une arme à feu à des fins cynégétiques ». Rappelons que deux semaines de chasse venaient de s’écouler…
Seul le chien n’a pas été entendu
17 février 2020. Gilbert ouvre le courrier et suffoque en recevant « une convocation en qualité de suspect dans le cadre d’une enquête judiciaire ». Prolongeant la lecture, il s’apaise en découvrant le motif : « faits de chasse sur le terrain d’autrui sans le consentement du détenteur du droit de chasse ». Des voisins sont également entendus comme témoins potentiels. Au total, huit personnes ont été mobilisées. « Dans cette affaire, seul le chien n’a pas été entendu » en vient à plaisanter Gilbert.
À ce jour, la plainte et le rapport ont été transmis au parquet et le verdict reste en suspens.
Face à l’absurdité de l’affaire, les chances qu’aucune suite ne soit donnée sont réelles et à vrai dire souhaitables. L’agriculteur risque potentiellement une amende de 1 500 €, le retrait du permis du chasse, ainsi que le remboursement de la bête.
Obtenir le droit de défendre ses cultures
La FDSEA lui a apporté son soutien et a rappelé au procureur de la République « les nuisances financières, matérielles et morales qu’occasionnent les dégâts de grand gibier aux cultures agricoles » ainsi que « l’obligation pour les agriculteurs de défendre leurs cultures et leurs revenus face à l’incapacité des chasseurs, de leur propre aveu, à enrayer la prolifération du gibier ». Pour ne plus revivre de tels désagréments, Gilbert invite les propriétaires à retirer le droit de chasse aux sociétés locales lorsqu’elles affichent des comportements aussi affligeants. La FDSEA réclame un texte qui permettrait aux agriculteurs titulaires d’un permis de chasse, d’user du droit de défendre leurs cultures, de jour comme de nuit, dès lors qu’elles sont directement menacées. L’affaire interroge également sur les priorités de l’État. Tandis qu’on manque de policiers, de professeurs ou d’infirmières, l’OFB se pare de moyens lui permettant de traiter des affaires qui n’en sont pas et d’encombrer la justice qui déclare régulièrement ne plus être en mesure de juger les « vrais » criminels. Le malaise est palpable.