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Témoignages
De Kharkiv à Saint-Péray, un couple d’Ukrainiens sème les graines d’une nouvelle vie

Les premiers contrats saisonniers se mettent en place en France avec les réfugiés ukrainiens fuyant la guerre. Exemple en Ardèche où un couple a pu trouver du travail chez Benoît et Magali Nodin à Saint-Péray.

De gauche à droite : Nila et son mari Elnur, réfugiés ukrainiens, accueillis à Saint-Péray en Ardèche, accompagnés par Hugues Heurtel, salarié.
De gauche à droite : Nila et son mari Elnur, réfugiés ukrainiens, accueillis à Saint-Péray en Ardèche, accompagnés par Hugues Heurtel, salarié.
© DR

« Avant de prendre la décision de partir, j’ai pleuré pendant 48 heures. » Le 12 mars, Nila et son mari Elnur ont réussi à passer la frontière. Ce couple d’Ukrainiens originaire de Kharkiv a été confronté, comme beaucoup de leurs concitoyens, au dilemme de fuir ou de rester dans leur pays bombardé par les Russes. Grâce à l’aide de l’une de leurs com­patriotes, arrivée en France il y a sept ans, ils ont pu être accueillis et mis en sécurité. « Les communes de Saint-Pé­ray et de Cornas en Ardèche ont accueilli une cinquantaine de réfugiés ukrainiens. Les associations nous aident à récolter des dons », explique Anna Bouchardeau, amie d’enfance de Nila, qui aide à tra­duire ses propos. Il y a maintenant deux semaines que le couple a commencé à travailler chez Benoît et Magali Nodin, producteurs de fruits à Saint-Peray et propriétaires de 6 ha de vignes.

Nouvelle vie, nouveaux métiers

« Notre première idée était de partir en Es­pagne. Grâce à leur accueil, nous avons dé­cidé de rester », témoigne Nila. Souriante et soulagée, cette décoratrice d’intérieur de 36 ans, spécialisée dans la conception de rideaux, a troqué ses ciseaux pour le sécateur. En charge, en ce moment, de l’ébourgeonnage des plants de tomates, elle découvre un tout nouveau métier, dans une langue complètement étran­gère. Sous la responsabilité de Marina, salariée de l’exploitation, elle s’occupe des plants et du jardinage. «Le plus dur, c’est de faire passer des consignes sans employer des termes trop techniques. Je m’aide des logiciels de traduction et parle parfois en anglais avec elle. Notre intention était avant tout de venir en aide au peuple ukrainien. Nous savions qu’il y aurait du travail pendant la saison. Tout se passe très bien, du moment où l’envie et la motivation sont là », raconte Benoît Nodin, gérant de l’entreprise Le Fruitier. Pour Elnur, ancien conducteur de taxi, la barrière de la langue n’en est pas vrai­ment une. Grâce à sa maîtrise de l’azéri (langue parlée en Azerbaïdjan), du russe, du turc, de l’anglais, de l’ukrainien et du polonais, l’apprentissage du français se fait très vite. « Au bout de deux jours, il savait déjà dire « pioche ». En arrivant, il a monté les serres de fraises avec l’équipe arboriculture. Cette semaine, il devrait pouvoir attaquer l’éclaircissage des pê­chers et, dans quelques jours, la cueil­lette des cerises », ajoute le président de l’AOC Saint-Péray. Avec un contrat de 35 heures, Elnur découvre un nouveau métier, tout comme sa femme qui se perfectionne en suivant des cours de français quatre fois par semaine.

Un bonheur au goût amer

Les deux réfugiés ont pu être embauchés comme n’importe quel autre travailleur français ou européen. Bénéficiant d’une autorisation temporaire de séjour «pro­tection temporaire » (APS-PT) délivrée par le ministère de l’Intérieur, celle-ci facilite le recrutement des salariés ukrainiens. « J’ai pu réaliser un contrat tout à fait ordinaire sur une base de ré­munération habituelle. Nila et Elnur ont simplement dû justifier de leur identité et de leur hébergement en France pour ob­tenir leur titre de séjour. En une semaine, ils ont obtenu leurs papiers et, quelques jours plus tard, ont commencé à travailler. Pour obtenir un contrat OFII (contrat spé­cifique aux travailleurs saisonniers étran­gers), la procédure est plus longue et les contraintes plus strictes, y compris pour les employeurs », précise Benoît Nodin. S’il a retrouvé une vie loin du chaos et des bombardements, le couple ukrainien est confronté à une sorte d’ambivalence de sentiments. « Une partie de moi est heureuse mais une autre a la tête en Ukraine. Notre peuple consacre toute sa vie à sa maison. Nous ne partons pas en voyage. Ce qui importe pour nous, c’est l’amour, pas les cartes postales ! C’est très difficile, voire impossible, de partir pour certains », témoigne-t-elle. Com­ment imaginer la suite ? « La guerre a montré qu’il n’y a pas de futur en Ukraine. Elle a tout détruit. Nous avons une telle proximité avec les Russes que même si la guerre s’arrête, nous aurons toujours la peur qu’elle recommence », reprend Nila, malgré l’espoir d’un cessez-le-feu. Elle vit pour l’heure au jour le jour, n’arrêtant pas de penser à ses parents qui, eux, n’ont pas quitté l’Ukraine. Solidarité et inquiétude restent entières. « Même si Vladimir Poutine devait nous promettre la paix, nous savons très bien que ces pro­messes ne tiendront pas ».

 

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